Témoignage. Elle traque les pédophiles sur le net, rencontre avec une jeune femme membre de la Team Moore

Depuis 2019, une jeune mère de famille de la région Auvergne Rhône-Alpes fait partie de la Team Moore. Ce collectif piège les pédophiles sur les réseaux sociaux en créant de faux profils. Aujourd'hui, elle réclame, à l'instar de ce qui se pratique en Grande-Bretagne, un cadre légal pour que son organisation continue d'aider la justice.

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La rencontre se fait dans la plus grande confidentialité. Nous ne sommes pas autorisés à dévoiler le lieu du rendez-vous, encore moins à filmer le visage de notre interlocutrice. Neila Moore, c’est son nom d’emprunt, travaille en «sous-marin», sur la toile. Depuis 2019, cette activiste qui vit en Auvergne Rhône-Alpes fait partie de la Team Moore, un collectif de citoyens qui piègent les prédateurs sexuels sur les réseaux.

On a formé ce collectif aussi pour montrer que notre système était bancal 

Neïla, team Moore

Neila créée de faux profils d’adolescentes sur Facebook pour traquer et dénoncer à la justice des supposés pédocriminels :

«J’ai voulu agir parce que clairement, je trouvais que notre pays, l’État, ne faisait pas grand-chose pour protéger les enfants, que la parole de l’enfant était complétement occultée et je me suis dit qu’il fallait agir… On a formé ce collectif aussi pour montrer que notre système était bancal.»

Il y a quelques mois, elle a permis l’interpellation d’un Stéphanois d’une quarantaine d’années en se faisant passer sur internet pour une jeune fille de 12 ans.

Rester dans la légalité

Cette mère de famille veille à rester dans la légalité. Elle doit respecter un protocole : pas de propos incitatifs, aucune demande d’amis pour ne pas être accusée de provoquer le délit. Ce sont les pédophiles présumés qui la contactent. Les échanges peuvent durer plusieurs semaines avant qu’elle n’alerte la justice par le biais de captures d’écran :

«Il y a 2 catégories : les pervers qui rentrent directement dans le sujet et qui vont parler de sexe au bout de trois lignes et puis il y a les faux anges gardiens qui vont prendre des semaines, voire des mois à manipuler un enfant. Il y a aussi ceux qui se font passer pour de véritables mineurs, ils sont très dangereux.»

Les membres de la Team Moore opèrent surtout dans les pays francophones. Le collectif revendique à ce jour plus d’une centaine de signalements aux forces de l’ordre et 72 arrestations dont la moitié a donné suite à une condamnation. En Rhône-Alpes, ce sont 8 prédateurs qui ont été signalés par le collectif à la justice

Des pratiques qui divisent

La Team Moore s’inspire des traqueurs britanniques qui chassent les pédophiles sur les réseaux depuis plus de 10 ans et travaillent de concert avec la police. En juin 2021, Maud Petit, députée membre du Mouvement démocrate à l’assemblée nationale, interpellait Éric Dupond-Moretti sur la possibilité d’un «encadrement légal qui définirait les possibilités, mais aussi les limites de cette collaboration».

À l’époque, le garde des sceaux évoquait des risques de dérive et rappelait que les policiers et les gendarmes agissaient dans le strict respect de la procédure pénale :

 « Que les citoyens dénoncent de tels faits quand ils en ont connaissance, c'est bien le moins ; ensuite, il faut que chacun reste à sa place : je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d'être boulangers, je leur demande d'être policiers ou magistrats ! »

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

À chaque alerte de la Team Moore, les services de police vérifient que les faits sont bien constitués et pas provoqués. Une enquête est diligentée pour rechercher éventuellement d'autres preuves.

Pour le syndicat Unsa Police, il faut que la Team Moore veille dans un premier temps à ne pas se mettre elle-même en danger. Une personne se sentant piégée pourrait avoir des velléités de vengeance. Quant à une possible collaboration, Christophe Pradier délégué départemental Rhône UNSA-Police n’y est pas réticent à conditions que des règles soient édictées :

«Les services de police travaillent en s’appuyant sur le code de procédure pénale. On a des façons de travailler, des façons d’interpeller, de mener des enquêtes… On peut arriver par le biais de cette association à faire des interpellations, mais certains avocats mettront vite des bâtons dans les roues si tout n’a pas été fait correctement… maintenant, j'ai l’impression qu’ils veulent se mettre à notre portée pour qu’on puisse travailler ensemble et je pense que c’est une bonne chose. Il faut aller plus loin et qu’il y ait un cadre légal qui soit bien défini».

Les dossiers transmis par le collectif peuvent déboucher sur des poursuites et des condamnations. Pour Neila le ministre se prive d’une «aide gratuite». Elle n’en démord pas : il faut un cadre légal pour définir les possibilités de collaboration avec les forces de l’ordre : «On a prouvé maintes et maintes fois par des décisions de justice que notre travail était très bien réalisé… On a des forces de l’ordre qui n’ont pas de moyens humains, matériels et financiers. Ils font ce qu’ils peuvent, il ne faut pas les blâmer».

Aujourd’hui, la jeune femme passe une trentaine d’heures par semaine connectée à ses faux profils. Entre la violence des images, des mots auxquels elle est confrontée et le temps passé sur les écrans, la vie personnelle de Neila est forcément impactée. Pourtant, son engagement reste intact :

Si les membres du collectif n’étaient pas là on ne pourrait pas protéger les enfants.

Un ange gardien plutôt qu’une justicière, voilà comment se définit Neila Moore. Elle ne supporte pas, dit-elle, que quiconque puisse faire justice soi-même.

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