Au retour des vacances, les crèches peinent toujours à recruter le personnel nécessaire pour s’occuper convenablement des enfants. Pour pallier ce manque, le gouvernement a autorisé le recrutement de personnels non-diplômés alors que de jeunes qualifiés jettent l'éponge.
C'est un long entretien que Manon Gouttebel nous a accordé, pour témoigner de sa désillusion quant à son métier d'éducatrice de jeunes enfants que, paradoxalement, elle adore. 3 ans d'études avec à la clé, un diplôme d'Etat et "du rêve" qu'on lui a vendu en formation : construire des projets éducatifs, transmettre aux tout-petits. « Mais en fait, dans la réalité la priorité c'est que les enfants soient changés, propres, prêts à partir. Décalage, décalage total. »
Des journées à rallonge
Avec ses 4 ans d'expérience, Manon a vécu l'expérience du public et du privé, les fameuses micro-crèches « qui poussent comme des champignons». Si elle ne veut pas généraliser à toutes les structures privées, Manon, elle, y a laissé sa santé, par conscience professionnelle pour ces parents « qui nous déposent leur vie le matin »
« Trop de fatigue et de surmenage suite à l’absence de personnels qu’on n’arrivait pas à remplacer malgré les ressources qu’on avait ». Résultat, Manon Gouttebel, éducatrice de jeunes enfants dans une micro-crèche lyonnaise, fait un burn-out à 25 ans.
Beaucoup d'heures supplémentaires
« Beaucoup d’heures supplémentaires, pas le temps de se concentrer sur les activités pédagogiques, on était plus dans de la garde pour maintenir le service auprès des parents », assure la professionnelle. Si depuis elle a fait un break et compte reprendre son activité cette fois dans le public, Manon reste marquée. « Les crèches sont en train de prendre une pente de l’enfer et on ne va pas sur le bien être des usagers ni des personnes qui travaillent dans ces structures ».
Les crèches sont en train de prendre une pente de l’enfer et on ne va pas sur le bien être des usagers ni des personnes qui travaillent dans ces structures
Manon, éducatrice en crèche à Lyon, après un burn-out à 25 ans
La moitié des crèches dans la difficulté
50% des crèches collectives souffrent de difficultés à recruter du personnel qualifié. Si le problème n’est pas nouveau, il continue de s’intensifier. Le métier n’attire plus autant. 10 000 personnels sont manquants selon une étude de La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Résultat, les places en crèche se font de plus en plus rares pour les parents.
Pour Marion Gorce, membre du Syndicat National des Professionnels de la Petite Enfance (SNPPE), « c’est une pénurie programmée et annoncée. Ça fait plusieurs années que ça dure. Le nerf de la guerre c’est le manque de reconnaissance du métier », pratiqué à 98% par des femmes.
Des collectivités donnent un coup de pouce aux salaires
En juin dernier, la ville de Lyon avait été marquée par le décès d'un nourrisson empoisonné par une employée. La problématique des crèches est une grande priorité du mandat "avec 71 millions d’euros pour créer de nouvelles crèches et les végétaliser", détaille Steven Vassselin, adjoint à la petite enfance de Lyon.
« En début d’année, on a augmenté l’ensemble de nos personnels de crèche de 80 à 200 euros brut mensuel pour revaloriser les salaires de ces équipes », ajoute l'adjoint. Dans les 50 crèches municipales de la ville, « à la rentrée on déplore encore une petite quinzaine de personnels absents donc c’est dire que les progrès ont été énormes cet été », se félicite-t-il.
Des salaires qui restent au SMIC
« Les professionnels de l’enfance commencent souvent en début de carrière au SMIC. Après, il y a peu d’évolution de salaire au cours des carrières. Dans le privé comme le public, tout le monde est logé à la même enseigne », assure Marion Gorce du syndicat national de la petite enfance SNPPE.
Le salaire annuel moyen des professionnels de la petite enfance est de 19 748 euros contre 20 940 euros en France d’après le baromètre des salaires de la petite enfance 2021. Pour le syndicat le constat est clair : « c’est un très grand manque de revalorisation ».
Des conditions de travail détériorées
Pour le syndicat SNPPE, le peu de succès que rencontre le métier découle aussi des conditions de travail. « La politique de la CAF, notre principal financeur, nous oblige à des résultats. Il faut que les crèches soient occupées à 80% de la capacité totale d’accueil. Sauf qu’entre 7h30 et 18h30, elles ne sont pas remplies tout le temps. Certains parents récupèrent les enfants plus tôt ou les amènent plus tard. Ces heures où nous ne sommes pas à 80% d’occupation nous font perdre de l’argent », détaille Marion Gorce.
Des personnels non qualifiés peuvent désormais travailler
Depuis le 31 août, l’Etat a autorisé le recrutement de personnels non-qualifiés « à titre exceptionnel, dans un contexte local de pénurie de professionnels », détaille l’arrêté du 29 juillet. Au programme : 120 heures de formation et 35 heures en immersion dans une crèche, encadrées par les collègues.
« On est très en colère. Etre professionnel de la petite enfance est un vrai métier qui nécessite entre 1 à 4 ans de formation. Alors oui, ça fait du personnel en plus c’est super mais c’est à nous de les former alors qu’on a déjà pas le temps de s’occuper convenablement des enfants », regrette Marion Gorce.