Quand les premières gueules cassées retrouvaient un visage à Lyon

Lyon fut l'épicentre de la chirurgie maxillo-faciale en pleine guerre de 14/18. Des chirurgiens ont su inventer de multiples techniques pour rendre leur visage à des poilus qui n'en avaient plus, les fameuses gueules cassées.

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14/18 une guerre industrielle. Sur les champs de bataille apparaissent des armes de plus en plus meurtrières, artilleries lourdes, mitrailleuses, canons, grenades, lance-flammes. Même protégée par un casque, la tête des soldats est plus exposée aux projectiles. Dans les tranchées, les mauvaises conditions sanitaires entraînent l'infection des plaies.
Dès l'automne 1914, Lyon devient ville hôpital. Des milliers de poilus reviennent du Front, méconnaissables.

Des traumatismes jusqu'alors inimaginables

Le nez, la mâchoire, les yeux, sont mutilés, parfois, il reste un simple trou au milieu de la figure. La complexité des blessures est telle qu'elle oblige les praticiens à innover pour réparer, voire recréer des visages. "C'est un travail collectif, de stomatologues, de chirurgiens, de médecins de différentes disciplines pour donner un résultat qui quelquefois semble vraiment étonnant pour l'époque, parce que c'étaient les débuts de la chirurgie maxillo-faciale. Les médecins ont tout de suite apporté des réponses assez étonnantes" rappelle Anna Germeyan, responsable service civilisation bibliothèque municipale de Lyon.

Lyon innove

Ce sont les balbutiements de la discipline. Des chirurgiens d'exception se mobilisent. Parmi eux, Albéric Pont. Il crée et dirige à Lyon l'un des premiers centres de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale de France.
Les praticiens appareillent les bouches et les mâchoires, réparent les plaies béantes. 7 000 broyés de la guerre sont soignés dans son service.

Les progrès ont été très documentés à l'attention des étudiants en médecine et pour l'histoire. Les Hospices civils de Lyon possèdent ainsi de nombreux moulages de gueules cassées et des inventions techniques.
Quand la greffe est impossible, l'usage de prothèses est nécessaire. Pour le nez et les oreilles, le docteur Pont invente une pâte malléable qui remplace les prothèses en céramique, fragiles et coûteuses. Pour les blessés soignés sur le front, un kit d'urgence.

Il se rend compte que leurs blessures se sont souvent cicatrisées d'une manière qui ne convient pas pour pouvoir les soigner sur le long terme, pour que les mâchoires puissent être mobiles, pour qu'ils puissent à nouveau manger facilement, respirer et cetera. Alors, il va créer une trousse de premiers secours adaptés aux blessures de la face, qui peut être utilisée par les médecins directement sur le front pour pouvoir stabiliser la blessure en maintenant les dents dans leur état.

Des témoignages forts

Fracture des incisives inférieures, ecchymoses sous conjonctivales de l'œil gauche, arrachement du nez au niveau de la cloison... Des registres sont tenus par les chirurgiens dès les premiers mois de la guerre, témoignages qui sont aujourd'hui conservés aux archives municipales de Lyon.
La clinique ophtalmologique du professeur Étienne Rollet devient le centre de référence en France. Il reçoit des milliers de soldats blessés de tout le territoire.

"Le plus impressionnant, c'est le volume. Ce qui correspond à la période 14/18 et au nombre de blessures répertoriées dans les archives donne une idée de l'ampleur du travail des médecins à l'arrière. Ça donne un aperçu de ce que va être la vie de ces rescapés, une fois la Première Guerre terminée" valorise Virginie Gentien.

Un héritage

Les soignants ont réparé les survivants, leur ont redonné une dignité. "Le médecin est la première personne qui considère le patient ou le blessé comme un humain, comme une personne à part entière. Ce regard est extrêmement important. C'est le premier qui va dire aux blessés : je te reconnais dans ton visage, dans ton intégrité, dans ton identité" ajoute Sergueï Piotrovitch d'Orlik.

Les praticiens d'aujourd'hui sont les héritiers d'une histoire scientifique des pionniers de la chirurgie maxillo-faciale.
Un siècle plus tard, à l'hôpital de la Croix Rousse, des chirurgiens opèrent une lésion de la mâchoire pour rendre, cette fois encore, son visage à leur patient. La technique consiste à transférer un morceau de l'os du fémur à la tête. "On s'est rendu compte qu'en fait, c'était une vraie discipline à part entière, au même titre que l'orthopédie, que la chirurgie viscérale. On est encore en plein progrès au niveau technique, au niveau de ce qu'on est capable de faire chirurgicalement" explique Dr Mathieu Daurade, service chirurgie maxillo-faciale Hôpital de la Croix-Rousse.

En 1921, 3 hommes fondent l'Association des blessés de la face et de la tête. Ils choisissent de s'appeler Les gueules cassées, leur devise sera "Sourire malgré tout".

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