Alors que la majorité des vélos vendus dans notre pays viennent de Chine, une trentaine d'artisans a fait le pari de créer des vélos sur mesure en France. Rencontre avec l'un d'entre eux, dans son atelier, sur les hauteurs de Chambéry.
Le marché du cycle est en plein boom. En France, il a fait un bond de 25% en 2020, avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, d'après l'Union Sport et Cycle, qui note également une montée en gamme des vélos achetés par les Français.
Des vélos fabriqués pour l'essentiel en Chine et à Taïwan, au grand regret de Julien Fritsch qui a décidé il y a quelques années de se lancer comme artisan du cycle.
Il a installé son atelier sur les hauteurs de Chambéry pour y créer des vélos sur mesure, à son rythme, dans l'esprit d'un pirate... Sa marque, il l'a baptisée "Jolie Rouge", référence au drapeau des pirates "Jolly Roger". Il porte ainsi en étendard leur devise "pas de quartier !", appliquée aux deux roues interchangeables, produits à la chaîne.
"Je travaillais dans l'industrie du cycle et en voyant comment les vélos dont je rêvais quand j’étais petit dans les magazines étaient fabriqués aujourd’hui, j’ai eu une déception totale. On ne voyait ni la passion, ni la discussion : des donneurs d'ordre envoient leurs consignes aux fabricants. C'est produit à la chaîne dans de grosses usines. Donc, je me suis dit autant que je fasse mes vélos".
A l'échelle du marché du cycle, "on est rien"
Depuis, le trentenaire construit douze à quinze bicyclettes par an. Pas de quoi concurrencer les grandes marques. "Nous, les artisans du cycle, on est rien du tout, pas grand-chose, on est 0,01% du marché. On est une petite communauté de 30 à 40 artisans".
D'ailleurs, Julien n'a pas pignon sur rue. Pas de boutique pour faire étalage de son travail. Il préfère cultiver des relations privilégiées avec ses clients qui viennent le voir avec un projet, sur rendez-vous.
"On ne fait pas un vélo pour s’en séparer trois ans plus tard ou alors, pour moi, c’est une défaite. C’est un vélo qui est construit pour les 20 prochaines années. On essaye d’anticiper au mieux le besoin futur du client, c’est pas toujours facile, les modes changent, les besoins changent. On a un cahier des charges qui est fait pour anticiper tous ces paramètres".
"Des vélos pour les vingt prochaines années"
Le profil de sa clientèle ? Des cyclistes avides de grands espaces et d'aventure. Des voyageurs désireux de faire un tour du monde à vélo. Des adeptes des chemins de traverse qui souhaitent fuir les grands axes de circulation, ou seulement partir en autonomie quelques jours à la découverte de leur région. Des clients français mais aussi étrangers.
Et ils sont de plus en plus nombreux à être séduit par les longues distances. Un public de cyclistes qui cherche donc des vélos à la fois résistants, pour porter le poids des sacoches, et confortables.
"Ça évolue assez vite, les gens se rendent compte qu’on a une vraie valeur ajoutée. On est à l’identique d’un luthier. Les réponses qu’un luthier apporte aux musiciens, nous, on les apporte aux cyclistes : de l’écoute, du sur mesure, beaucoup de discussions sur les compromis du vélo, ce qu’il va être possible de faire, ce qui ne sera pas possible. C'est ce que l’artisan peut apporter au pratiquant et c’est une fierté pour nous".
Ces vélos s'adressent à une clientèle avertie, prête à investir dans un vélo. Chaque exemplaire coûte plusieurs milliers d'euros, 3500 euros au minimum, car presque tout est fait à la main.
La passion du détail
Dans son atelier, Julien Fritsch fabrique les cadres de A à Z à partir de tubes d'acier venus d'Italie.
"Je fais toutes les petites pièces, les pièces de renfort, les boitiers de pédaliers, tous les petits détails du vélo sont usinés sur place. Je suis quasiment à 100%. Il y a encore une ou deux pièces qui sont faites soit aux Etats-Unis, soit à Taïwan. Mais j'y travaille. Je suis sur le point de pouvoir les sortir de mon atelier, mais ça nécessite un peu de conception, un peu de temps".
"En étant tout seul, on peut faire 35 vélos par an au maximum. Moi je me limite à 12 à 15 par an. Ça dépend des projets : si on doit faire les garde-boues, les porte-bagages, les potences, les fourches, les cadres…ça fait des projets beaucoup plus volumineux qu’un cadre de gravel simple".
"Ici par exemple", nous dit-il en désignant le cadre bleu qu'il est en train de travailler, "on a une petite lampe intégrée. Cela nécessite d’usiner la pièce, la mettre en position, faire les découpes, souder et polir les soudures. A chaque élément rajouté sur le vélo, on rajoute vite des heures.
Le Tour de France des Artisans du Cycle
Des connaissances acquises au fil du temps. "J'ai toujours bricolé des vélos", dit-il. Mais c'est surtout en échangeant avec d'autres "cadreurs", d'autres passionnés de la petite reine que Julien Fritsch continue de peaufiner sa formation.
"On s’échange beaucoup de petites astuces entre nous et c’est grâce à cette petite communauté qu’on arrive à fabriquer dans nos ateliers avec de bons résultats", se félicite le jeune homme.
Une communauté active qui organise elle aussi en ce mois de juillet son tour de France : le Love tour des Artisans du cycle qui fait étape dans les ateliers de ces orfèvres de la bicyclette. Le peloton est passé chez Jolie Rouge dimanche. Cette grande boucle, initiée par le magazine 200, fait la promotion d'une autre approche de la petite reine.
"Le vélo est une aventure que chacun invente lui-même". Julien Fritsch ne saurait dire mieux.