Jeune chercheur à l'université Savoie Mont-Blanc, Mathis Arnaud a publié une étude sur l'évolution depuis 50 ans des 100 plus belles courses du massif des Écrins, dans les Alpes. Un constat scientifique des impacts du réchauffement climatique qui révèle de profonds bouleversements sur nombre de ces itinéraires d'alpinisme.
Que reste-t-il des 100 plus belles courses et randonnées du massif des Écrins ? Ce livre conçu sous forme de répertoire, publié en 1974 par le guide de haute montagne Gaston Rébuffat, qui fait office de bible dans le milieu de l'alpinisme, a connu son lot de bouleversements.
La plupart de ces itinéraires sont devenus plus difficilement praticables et certains ne sont plus accessibles en été. Ce constat résulte d'une étude menée dans le massif des Écrins, entre Isère et Hautes-Alpes, par Mathis Arnaud, jeune chercheur et aspirant-guide de haute montagne.
Un vaste travail de documentation et de cartographie répertoriant l'impact du changement climatique sur l'alpinisme depuis 50 ans. "On a sélectionné 70 itinéraires de ce livre, qui sont variés, de différentes natures. Il y a des itinéraires mixtes, rocheux, neigeux, avec différentes difficultés. Et parmi ces 70 itinéraires, il y en a uniquement deux [rocheux et de plus faible altitude, NDLR] qui n'ont pas subi de modification", explique l'étudiant en master à l'université Savoie Mont-Blanc (USMB).
Conditions globalement dégradées
Pour qualifier ces évolutions, Mathis Arnaud a mené 15 entretiens avec des guides de montagne, scientifiques et gardiens de refuge, témoins de ces bouleversements. Aucun itinéraire n'a complètement disparu, mais beaucoup sont dégradés dans leurs conditions.
Parmi les courses étudiées, 30 ont peu évolué, 22 sont modérément affectées - conditions optimales rares, difficulté technique et/ou exposition aux dangers plus importante - et 16 ne sont plus fréquentables en été. Les itinéraires deviennent donc globalement plus techniques, plus exposés aux dangers naturels tels que des chutes de pierres ou de séracs.
Un exemple en photos : le couloir Davin, à gauche du glacier du Casset, "toujours en conditions" pour Rébuffat en 1975, praticable seulement l'hiver et au printemps aujourd'hui. + d'infos ➡️ https://t.co/3kThQ7km1M pic.twitter.com/DYUUr53rmG
— Parc national des Écrins (@PnEcrins) February 6, 2024
"Un alpiniste qui choisit un itinéraire doit, en moyenne, adapter son comportement, sa technique, son évolution sur le terrain, à neuf processus géomorphologiques et glaciologiques. Le premier, c'est le retrait glaciaire qui impacte 68 des 70 itinéraires étudiés, soit 97 % d'entre eux sur le massif des Écrins. Il y a aussi des glaciers plus raides, plus rapidement en glace, des crevasses généralement plus ouvertes", développe l'auteur de l'étude.
La méthodologie de ce travail a été calquée sur celle du chercheur chambérien Jacques Mourey, auteur de deux études sur le massif du Mont-Blanc et les Alpes valaisannes, en Suisse. "Sur les trois massifs étudiés, 25 % des itinéraires d'alpinisme ne sont plus fréquentables pendant la période estivale à cause du changement climatique", résume le chercheur associé au laboratoire Environnement dynamique et territoires de montagne (Edytem) de l'université Savoie Mont-Blanc.
C'est nous, alpinistes, qui contribuons au changement climatique et on va forcément devoir adapter notre pratique en arrêtant de prendre l'avion pour faire cinq jours de ski en Norvège.
Mathis Arnaud, étudiant à l'USMB et aspirant-guide de haute montagne
Les images aériennes permettent de recouper, détailler et cartographier ces bouleversements pour établir un constat scientifique de l'évolution des itinéraires. Les Alpes ont connu une hausse des températures supérieure à la moyenne du globe, de 2 °C entre la fin du XIXe siècle et le début du XXIe, avec une forte accélération depuis les années 1990. La haute montagne, milieu particulièrement sensible, en est très affectée.
La fonte des glaciers et la neige plus rare en hiver font apparaître des crevasses plus tôt au printemps et davantage de glace vive en surface en été. Des évolutions qui obligent les pratiquants à revoir leurs objectifs en été, faisant émerger un décalage de la pleine saison d'alpinisme plus tôt dans la saison.
"On a des difficultés techniques qui sont généralement plus élevées, plus de dangers objectifs et d'un autre côté, on voit que notre pratique en tant qu'alpiniste impacte la montagne. C'est nous qui contribuons au changement climatique et on va forcément devoir adapter notre pratique en arrêtant de prendre l'avion pour faire cinq jours de ski en Norvège, essayer de se questionner sur ce qui a du sens dans notre pratique", ajoute Mathis Arnaud.
Un alpinisme plus sobre, plus proche : c'est le credo de cette nouvelle génération de guides dont le désir est avant tout de faire évoluer les pratiques pour mieux partager les beautés de ce monde à part qu'est la montagne.