Témoigner "sans juger" : le procès de Nordahl Lelandais dans les yeux des dessinateurs judiciaires

Pendant sept jours, ils ont assisté aux débats. Témoins discrets, "spectateurs sensibles", ils ont observé minutieusement chacun des protagonistes pour saisir, d'un coup de crayon, une émotion, un instant, une personnalité. Ils nous livrent leur vision de leur métier de dessinateur de justice.

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"Dans ce procès, il y avait une vraie densité émotionnelle, dans les témoignages particulièrement, dans les regards, c'était très fort". On les entend rarement et pourtant leur témoignage est partout, dans chaque article relatant en détails les journées d'audience d'un procès d'assises. Ils sont les seuls à pouvoir livrer une image de ce qui se passe dans la salle des débats : un dessin élaboré sur le vif, en quelques coups de crayons, pour donner à voir un témoin, un accusé, des avocats.

ZZIIGG a dessiné des instantanés du procès Lelandais pour le journal Le Monde. Ce cinquantenaire a plus de 70 procès d'assises à son actif. D'ordinaire, il officie en Bourgogne pour le quotidien régional Le Bien Public. Et même s'il travaille pour la presse, il préfère ne pas trop la lire avant un procès, ne pas se renseigner sur l'affaire pour avoir un regard neutre en entrant dans la cour d'assises.
 

Un procès marqué par un calme et une sérénité aux antipodes de la frénésie médiatique.

Publiée par Le Monde sur Mardi 11 mai 2021


"Un spectateur sensible"

"Je souhaite dessiner tout le monde, je ne souhaite pas porter de jugement, c'est l'affaire des jurés. Moi je suis un spectateur, un spectateur sensible. J'essaye de capter des émotions ou des comportements et de les mettre en dessins du mieux que je peux. Donc pour que je puisse dessiner tout le monde, il ne faut pas que j'ai de préjugés ou d'avis sur qui que ce soit", nous confie-t-il.

Cette fois-ci pourtant, difficile d'arriver à la cour d'assises de la Savoie, à Chambéry, sans avoir entendu parler de Nordahl Lelandais...

"J'ai été déstabilisé (...) On m'avait annoncé un monstre, un tueur en série. Et le premier jour, quand je suis arrivé et que je l'ai vu, j'ai été surpris par la douceur de sa voix. C'était le cousin ou le neveu que n'importe qui pourrait avoir. Cela dénotait avec ce que j'avais pu entendre". 
 


Nordahl Lelandais "dans la maîtrise"

Christophe Busti, quadragénaire basé près de Lyon, fait ce métier depuis plus de vingt ans. Vous avez pu voir ses dessins dans nos pages, puisqu'il a travaillé pour France 3 Alpes sur ce procès. Il a trouvé que Nordahl Lelandais était dans son rôle, celui de "quelqu'un dans la maîtrise, dans sa coupe de cheveux, dans ses vêtements, dans ce qu'il racontait". Pour autant, "il n'était pas de marbre, il a su faire perler des sentiments, à certains moments".

Valentin Pasquier, 28 ans, exerce lui depuis quelques années seulement pour le réseau régional de France 3. Il a débuté en faisant quelques croquis pendant des audiences, avant d'être appelé pour être dessinateur lors du procès des parents de la petite Fiona ou pour celui de Jonathann Daval.

Il fait le portrait d'un Nordahl Lelandais "très peu expressif". "Compliqué", dans ce contexte, "de faire des dessins variés de l'accusé", d'autant que le port du masque ne simplifie pas la tâche des dessinateurs.
 


"On a conscience de ne pas capter la globalité de la personne mais on essaye d'être juste"

Tous gardent en mémoire ce qui restera pour eux l'un des moments forts de ce procès, lorsque Nordahl Lelandais a présenté pour la première fois ses excuses aux parents d'Arthur Noyer, lors de la première journée d'audience.

"Il a interpellé Arthur en lui disant qu'il était désolé. A ce moment-là je me suis dit qu'il se passait quelque chose. J'ai pris un autre carnet parce que j'étais en train de faire un autre dessin, et j'ai commencé à dessiner en essayant de reproduire ce moment-là. C'est ce que j'aime, et c'est ce que je trouve stimulant, pouvoir être réactif quand on sent qu'il y a quelque chose qui se passe", explique Valentin Pasquier.

"On saisit un moment donc on est forcément partiel dans notre façon de faire. On a conscience de ne pas capter la globalité de la personne, après on essaye d'être au plus juste dans notre perception", complète Christophe Busti qui a été particulièrement touché par la dignité de la famille d'Arthur Noyer. 

 


Une charge émotionnelle "extrêmement forte"

"Ce sont des gens qui ont une force incroyable pour se relever de tout ça. Ce sont des gens qui vont de l'avant tout en disant à quel point ils sont touchés profondément et à quel point Arthur leur manque au quotidien. Pendant le procès, ils ne sont pas tombés dans le pathos. C'est des gens qui nous donnent envie de continuer. Moi je sais que je ressors toujours de ces procès gonflé d'énergie à bloc, grâce à des gens comme ça". C'est d'ailleurs "pour ces rencontres-là", qu'il continue à "croquer en direct" ces instants captés dans les cours d'assises.

"Je trouve que c'est une véritable chance pour un dessinateur de travailler dans un lieu comme celui-là", renchérit ZZIIGG. Dans les tribunaux "on a une grande complexité dans l'humanité, une grande densité dans les intelligences et on a globalement une très belle justice française", dit-il. Lui aussi a été ému par la famille Noyer.
 


"Le témoignage de la famille a été un moment extrêmement fort, j'ai été un peu paralysé par le témoignage du père, par sa densité humaniste, par toute cette charge émotionnelle", reconnaît-il.

"Des amis de Nordahl Lelandais sont également venus témoigner et je suis assez sensible à cela parce que ce sont généralement des gens qui n'ont pas envie d'être là, qui ont des difficultés à s'exprimer. J'ai beaucoup d'empathie à ce niveau-là. Mais j'aime aussi beaucoup les experts et j'essaye de prendre tout, comme une éponge", nous confie le dessinateur bourguignon. 
 


"C'est non-stop mais c'est passionnant"


Valentin Pasquier se souvient lui aussi de ces témoins, notamment d'Alexandra, une des meilleures amies de l'accusé. "Elle lui a dit qu'il avait choisi une manière très étrange de briller et elle lui a sommé de dire la vérité. C'était assez émouvant. J'ai essayé de reproduire ce moment où ils se sont interpellés et où ils ont échangé spontanément". Une autre manière pour ce rédacteur web d'exercer son métier de journaliste, en "témoignant par le dessin".

ZZIIGG le vit plutôt comme une pression : "le fait d'être les seuls autorisés à faire une image, ça lui donne plus de valeur parce qu'elle est plus rare. Donc, le regard va être plus exigeant".
 


D'autant que le dessin doit être fait en quelques dizaines de minutes, avant que le témoin n'ait fini sa déposition à la barre. Il faut ensuite, pour les dessinateurs, livrer au plus vite leurs esquisses aux journalistes. "J'avoue que ces 7 jours, c'était très intense, donc je ne ferais pas ça toutes les semaines", indique Valentin Pasquier.

"C'est épuisant parce qu'on n'a pas de pause. Pendant les suspensions d'audience, on peaufine les dessins et ensuite c'est la course pour les donner aux médias", ajoute ZZIIGG.

"C'est non-stop mais c'est passionnant".

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