REPLAY. A deux semaines du scrutin des 20 et 27 juin, les quatre représentants des principales listes en Savoie se sont confrontés ce 7 juin sur le plateau de France 3 Alpes : Hervé Gaymard, (LR), Hugues Aspord, (PC), Brice Bernard (RN) et Gaëtan Pauchet (PS). Voici ce qu'il faut en retenir.
La Savoie restera-t-elle le fief de la droite ou peut-elle basculer à gauche ? Voilà tout l'enjeu de ces élections départementales 2021.
En 2015, la droite avait emporté 15 cantons sur les 19. "Cette année, le rapport est plus indéchiffrable, d'abord parce l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir a fait éclater le traditionnel clivage droite-gauche, ensuite en raison de la pandémie inédite du Covid-19 qui a profondément bousculé les esprits et fait peut-être basculer les priorités fondamentales des citoyens, et leur vision du monde d'après" analyse Pierre-Eric Burdin, notre confrère du Dauphiné Libéré.
Les forces en présence
Le parti de La République en Marche a décidé de ne pas établir sa propre liste en Savoie pour ces élections départementales des 20 et 27 juin. Dans un département traditionnellement ancré à droite, l'absence de la majorité peut jouer en faveur d'Hervé Gaymard (LR), président du conseil départemental et chef de file de la liste "La Savoie nous unit”.
A gauche, la liste “Savoie ensemble/Fraternité” rassemble les principales forces écologistes et de gauche (EELV, Ensemble, Génération.s, LFI, PCF, Savoie citoyenne, écologique et solidaire). Son but : établir un nouveau leadership à gauche après la déconvenue du PS en 2015. Mais la prudence est de mise : les socialistes et apparentés restent présents dans certains cantons avec la liste "Savoie en commun".
Le Rassemblement national, qui a fait une percée sur le territoire lors du premier tour des dernières élections présidentielles, pourrait tenter de récupérer ses premiers cantons. Le parti d'extrême-droite s'est positionné dans toutes les circonscriptions.
Les participants au débat
Sur le plateau du débat animé par Jordan Guéant et Pierre-Eric Burdin du Dauphiné Libéré :
- Hervé Gaymard, président sortant du département de la Savoie qu'il dirige depuis 2008. Représente la droite et le centre. Candidat de "La Savoie nous unit" sur le canton d’Albertville 1.
- Hugues Aspord, candidat lui aussi sur le canton d'Albertville 1. Membre du Parti Communiste Français. Représente le collectif "Ensemble pour une Savoie écologique, démocratique et solidaire".
- Brice Bernard. Responsable du Rassemblement National en Savoie, candidat sur le canton de Saint-Pierre d’Albigny.
- Gaëtan Pauchet, candidat sur le canton de Chambéry 1, adjoint au maire de Chambéry, président du groupe socialiste au sein de l’actuel conseil départemental.
N.B : pour des raisons d’équité des temps de parole, et pour ne pas pénaliser leurs adversaires directs, le débat ne doit pas évoquer les cantons respectifs mais s'attacher à l’ensemble du département de la Savoie.
Un nouveau paysage politique ?
En préambule, cette question de Jordan Guéant, façon de clarifier un peu le paysage politique en ordre de bataille : "On a l'impression que bon nombre de candidats cachent un peu leurs étiquettes : c’est la nouvelle mode ? "
"Pas du tout" répond le premier Hervé Gaymard. "J'ai toujours regroupé des sensibilités différentes, de droite, du centre, les électeurs n'ont rien à faire d'étiquettes partisanes, il y a toujours eu dans nos rangs des gens qui ne sont encartés nulle part, moi je me sens gaulliste, point."
Hugues Aspord, souligne "que son collectif représente une gauche large et authentique, qu'il s'agit d'inverser réellement le sens du courant" et il attaque bille en tête le président sortant : "vous siégez depuis trop longtemps dans le Palais des Ducs, mais vous n'êtes pas le Duc de Savoie, vous gouvernez avec votre clan, dans l'entre-soi, on veut mettre fin à ça, d'alleurs on ne vous voit jamais sur le terrain, comment faire campagne avec en binôme une sénatrice avec un mandat national, et revendiquer un mandat de proximité ?"
Entre ces deux-là, le ton est donné, mais Hervé Gaymard reste calme et laconique : "je suis régulièrement sur le terrain, je n'ai pas à me justifier, ce sera aux électeurs de juger."
Brice Bernard lui, "assume avec fierté (son) étiquette RN : c'est pour moi un label d'authenticité politique, une force politique, je défends tous nos candidats RN, je défends Marine Le Pen et je défends mon étiquette ici en Savoie". L'homme est par ailleurs candidat tête de liste aux régionales dans le Puy-de-Dôme. Quel choix fera-t-il s'il le faut ? "Je ne vois pas d'obstacle à garder les deux, en choisissant des commissions compatibles et sur les mêmes thèmes du tourisme, de la montagne, du thermalisme".
Enfin, dernière question, à Gaëtan Pauchet : pourquoi le PS n’est-il pas sur la même liste de l'union de la gauche alors que cela a été possible lors des municipales à Chambéry par exemple ? "Nous avons des convictions en commun, des accords, des sensibilités un peu différentes, mais c'est vrai, notre liste n'a pas le même nom, c'est un choix, une conviction que nous pouvons faire basculer cette majorité ancrée depuis 38 ans. Ce département manque d'ambition, d'idée, et n'a plus de grande vision. Nous, nous incarnons un projet plus juste, plus écologique, plus dynamique, une force alternative".
"Fusion" des Savoie... ou pas ?
Au-delà des questions d'alliances ou de stratégie, une premier sujet "serpent de mer" et un tour de table sur la fusion des Savoie : faut-il la faire ou non ?
Hervé Gaymard : "j'ai toujours été favorable à la création d'une grande collectivité territoriale Savoie Mont-Blanc, avec des compétences augmentées, nous sommes dans les Alpes, les seuls à ne pas en avoir, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs et il faut sur le sujet avant tout un grand débat démocratique dans les deux départements".
Hugues Aspord : "Oui, je suis pour, ok pour un grand débat, mais il faut que la décision soit soumise à un référendum populaire en Savoie, comme en Haute-Savoie, " et il relance une pique de l'autre côté de la table : "tout ne peut plus se décider comme vous le faites, Mr Gaymard, avec des petits arrangements entre amis".
Brice Bernard est contre : "à force de rajouter des strates, on en oublie la proximité, et étant donné la différence de poids démographique, la voix de la Savoie risquerait d'être laissée pour compte, les grandes entités sont de plus en plus déconnectées de la réalité".
Gaëtan Pauchet est circonspect : "Moi je pense qu'il faut d'abord poser la question aux citoyens, en posant tout sur la table. Aujourd'hui nous n'avons pas plus à voir avec Annecy, qu'avec Grenoble, ou l'Isère, il ne faut pas oublier que le Département, c'est d'abord la proximité, et il est respecté pour cela, c'est ce dont on a besoin aujourd'hui, je suis pas sûr que les Savoyards aient envie de laisser les clés à la Haute-Savoie, pour prendre les décisions d'avenir".
Quel monde d'après Covid ?
Quand on leur demande comment ils ont appréhendé cette crise sanitaire sans précédent, tous s'accordent au moins sur le fait que ce fut une épreuve inédite et saisissante.
Alors quels enseignements en tirer ? Gaëtan Pauchet se dit "convaincu que le Département-dont il fait partie- a bien répondu à cette crise : on a distribué des chèques alimentaires aux plus fragiles, aux jeunes très touchés, mais il reproche à Hervé Gaymard, président en exercice "d'avoir délaissé les quartiers les plus défavorisés et populaires".
Réponse de l'intéressé : "Pas du tout, il faut aller plus loin en revanche, notamment dans la prise en charge des aînés", et il défend "la mise en oeuvre de maisons pour séniors, une formule intermédiaire entre Ehpad et maintien à domicile, et nous soutenons les associations d'aides à domicile".
Hugues Aspord, pour sa part, rend hommage aux soignants, et aux enseignants, évoque la revalorisation des salaires, et s'en prend de nouveau, comme un leit-motiv, à la gestion "de ceux qui sont aux affaires et qui ont tout simplement laissé à l'abandon le système hospitalier, le covid a provoqué la consternation mais aussi de la colère".
Brice Bernard retient surtout "les grandes difficultés de la jeunesse frappée par l'impact du covid, comme les entreprises. Moi, j'augmenterais aussitôt le fonds d'aide à destination des jeunes".
Quel avenir économique pour les stations de montagne ?
Thématique essentielle, directement liée à la pandémie et à ses conséquences, celle du tourisme ô combien important en Savoie avec un développement touristique qui interroge désormais : la Savoie est LE département français du ski, 50% de son PIB dépend de l’industrie des sports d’hiver.
Jordan Guéant lance le débat : "Quelles leçons tirez-vous de la dernière saison, historique et totalement blanche ? Faut-il réinventer le modèle de développement touristique du département et, si oui, comment ?
Hervé Gaymard s'agace un peu : "Tout le monde a l'air de dire que nous dépendons trop du tourisme, mais attention il ne faut pas inverser le raisonnement, c'est le Covid qui a mis à l'arrêt le tourisme et non l'inverse. C'est pour nous une activité essentielle, sinon, dans certains secteurs ce serait le désert. Il faut renouveller encore plus vite notre politique montagne quatre saisons, et accompagner les investissements, sans oublier notre industrie".
Brice Renard dit "vouloir relancer les activités d'été, miser sur les séminaires d'entreprises, le bien-être, le bien-respirer, accueillir plus de séniors avec des séjours à thème."
Plus mordant, Gaëtan Pauchet hausse le ton et lance, mine de rien, le pavé dans la mare du président sortant : "Comment a t-on pu attendre si longtemps pour lancer la transition ? Je me le demande ! Le ski est notre or blanc mais il ne suffit plus !" et de citer le Puy-de-Dôme qui a réussi à rassembler tous les acteurs, les citoyens à réfléchir à un projet commun : "pourquoi ne pas le faire nous en montagne ? Avec les citoyens et non pas en vase clos (...) Il faut redonner la montagne à tout le monde, pas seulement aux riches, mais aux classes plus populaires, les stations par exemple pourraient faire des tarifs modulables".
Une idée qui fait pschitt du côté de Brice Bernard qui "précise que c'est important d'avoir des investissements, et que les clientèles des stations huppées comme Courchevel ou d'autres apportent des richesses, des capitaux, même si je reconnais que pour les jeunes, qui voient encore le ski comme un sport élististe, les petites stations familiales ne font peut-être pas assez passer le message".
Hervé Gaymard fair remarquer au détour d'une phrase : "les stations ont déjà mis en place des systèmes de forfaits modulables et avantageux".
Hugues Aspord reprend son leit-motiv : "C'est scandaleux d'avoir fermé les stations, tout ça parce parce que le système de santé a été désossé. Si les services hospitaliers n'avaient pas été tous saturés, on aurait pu skier ! Bon le tourisme, on est tous d'accord, il faut un tourisme vert et quatre saisons, mais surtout je suis d'accord avec Gaëtan, il faut rendre accessible la montagne aux moins nantis, un jeune savoyard sur quatre ne va jamais à la montagne. Qu'est-ce qu'on en a à fiche de quelques oligarques russes qui vont à Courchevel ! Il faut que les électeurs confient enfin le Département à la gauche."
Les transports de demain : des oppositions politiques majeures
C'est un chapitre qui intéresse très directement les électeurs, et c'est sans doute le plus polémique entre les candidats.
A commencer par les transports du quotidien qui s’organisent, certes, avec la région mais sur lesquels le département a un rôle à jouer. Faut-il structurer un axe Aix-les-Bains /Chambéry /Montmélian pour les trajets du quotidien (Bus à haut niveau de service, tram ou RER savoyard en concertation avec la Région ), par exemple ?
Faut-il développer la ligne Albertville/Ugine avec raccordement au potentiel tram-train en projet autour du lac d’Annecy, rive ouest ?
Hervé Gaymard remonte loin dans le passé, quand "la gauche d'Hollande a supprimé les trains de nuit", qu'il faut absolument remettre en service". Il se félicite "d'avoir sauvé la ligne Albertville/ Ugine, pour les acieries" mais espère, au-delà du frêt, développer le trafic de voyageurs, accélérer le tram-train et les modes de transports doux, et être prêt à accompagner le "projet formidable" du RER savoyard.
En face, Gaëtan Pauchet réagit : "Mr Gaymard refait de la politique quand il accuse le gouvernement de l'époque, mais oublie de dire que le président sortant de la Région, qu'il soutient, a participé à la suppression des petites lignes et des trains de nuit. Le président du groupe socialiste lui reproche aussi d'être "le président de l'autoroute", et d'avoir fait voter-sans les voix du PS- une subvention, aux entreprises d'autoroutes A41 et A43 pour désengorger les zones d'habitation. Une contrepartie comme une voie de co-voiturage aurait été le minimum". Le candidat PS se dit sans illusion : "sur un RER qui porte mal son nom, qui ne sera jamais cadencé comme en île-de-France, (...) sans attendre d'investissements lourds, il faut, dit-il, développer un maillage de très haute qualité de service car, bus, vélos, sans oublier de territoires sur le chemin".
Le candidat du RN lui, plaide "pour une réflexion sur le contournement de Chambéry, véritable carrefour engorgé , et déplore "que la vallée de la Maurienne soit équipée de l'autoroute la plus chère qui soit : 20 euros pour faire Chambéry, Saint-Jean-de-Maurienne, c'est ahurissant, moi je ferai des efforts sur ce point là".
Huhues Aspord dresse son diagnostic : "l'enjeu des transports, c'est l'écologie, c'est un enjeu grave, et on va droit dans le mur, pour ne pas dire que nous y sommes déjà quand on voit la pollution. Il faut absolument développer la ligne Albertville/Annecy, nous sommes contre le percement de tunnels, il est impératif que les transports restent sous l'égide des pouvoirs publics, il faut développer le train, les transports collectifs, le transport par câble, mais culturellement, ce sera long, ça fait 60 ans qu'on est dans le tout voiture.
Autre problématique abordée, l'avenir de l'agriculture, et sur ce thème aussi, les visions des candidats divergent assez radicalement.
Au terme d'une heure de débat, "tous, vous partagez manifestement le même constat" résume le journaliste Pierre-Eric Burdin "vous plaidez pour une montagne quatre saisons,un département plus connecté, mais vos modes de gouvernance divergent, vos solutions et vos priorités aussi (...) la question qui se pose à présent, c'est dans quelle direction les Savoyards ont envie d'aller, après les difficultés, les frustrations, mais aussi les initiatives nées de la crise du Covid ?"
*Pour consulter toutes les actualités de ces élections, vous pouvez retrouver nos JT de campagne, et les éditions "Elections" de nos confrères du Dauphiné Libéré.