Le Tour de France a retrouvé l'un de ses reliefs favoris, le Galibier. La 4e étape reliait, ce mardi, Pinerolo en Italie à Valloire en Savoie. Une première journée en montagne pour les coureurs, conclue par le triomphe du Slovène Tadej Pogačar à l'issue d'une accélération foudroyante. Immersion dans le peloton de cette 4e étape.
Les trois premiers jours de la course n'avaient pas encore laissé les favoris s'exprimer pleinement. Un court séjour en Italie a permis au Tour de France de garder toutes ses promesses. Et ce suspense a commencé à se dissiper dès ce mardi 2 juillet avec, au programme, un géant des Alpes : le Galibier.
Sur la place Vittorio Veneto de Pinerolo, l'effervescence monte peu à peu. Le village du Tour de France se remplit progressivement. La foule se masse. Les spectateurs jouent des coudes pour obtenir une place de choix lors de la présentation des coureurs.
Se mettre dans sa bulle
A deux pas du village, dans les paddocks, les staffs s'empressent. D'un sens à l'autre, les équipes ne perdent pas une seconde pour préparer les voitures qui accompagneront les coureurs. Au centre des attentions, les machines de course, des bijoux de technologie, sont photographiées, scrutées par les amateurs de cyclisme, lors des derniers réglages.
Ces instants d'attente, de concentration, sont également le temps des derniers contrôles menés par l'Union cycliste internationale. Chaque jour, les commissaires de la fédération inspectent à la loupe les vélos du jour pour lutter contre la fraude technologique.
Si certains coureurs ont quitté leur bus pour rouler quelques kilomètres et se mettre en jambes, la grande majorité s'enferme au frais, loin des 30 °C qui s'abattent sur la cité italienne. Rares sont ceux qui sortent de l'ombre, devant leur car, pour pédaler devant leurs supporters.
"Aujourd'hui, il n'y a que 4 kilomètres de départ fictif, donc c'est assez court par rapport au début d'étape avec près de 60 kilomètres de faux plat montant. [...] C'est un travail de préparation important, mais cela va dépendre de la routine de chacun et de son rôle dans l'équipe", confie Damien Pommereau, ancien cycliste professionnel.
Embarquement dans le peloton
Damien, c'est lui qui nous embarque dans sa voiture pour vivre cette 4e étape au cœur du peloton. Cet ancien cycliste professionnel a passé deux saisons (2000 et 2001) sous les couleurs de Cofidis. Mais comme il le dit lui-même, la route, "ce n'est pas (son) truc". C'est sur la piste qu'il s'est distingué, notamment lors des Championnats du monde en 2000 à Manchester où il a remporté la médaille de bronze en poursuite par équipe.
Aujourd'hui, cet ancien directeur sportif de l'équipe Vendée U garde les deux pieds sur les pédales. Outre sa présence au comité départemental de la Vendée, il revient chaque année sur les plus belles routes du Tour de France en tant que chauffeur pour France Télévisions.
"Ce n'est pas un rôle facile, car il faut connaître les codes du peloton, savoir rouler dans une file de voitures derrière les coureurs. [...] Dès que je reviens sur le Tour, je reviens avec plaisir car c'est un événement planétaire. C'est la plus belle course du monde, mais la plus stressante aussi dans ce qu'on fait là", raconte Damien Pommereau.
Et dès les premiers kilomètres dans la voiture, nous sentons l'expérience du coureur. Un sens du placement pour ne pas gêner les cyclistes qui affrontent la montée de Sestrières, classée catégorie 2. Une première mise en jambe de 3,7 % sur 39,9 kilomètres.
La technicité de la descente
Au sommet du col de Sestrières, le peloton, en retard d'environ 2 minutes sur l'échappée d'une quinzaine de coureurs, contrôle. Mais les premiers non-spécialistes de la montagne sont lâchés. Un gruppetto se forme à l'arrière et termine l'ascension à son rythme.
Le sprinteur d'Arkea-B&B Hotels, Daniel McLay, tente de raccrocher le peloton dans une descente sinueuse, sous un soleil éblouissant. Lâché dans la montée, il peut espérer reprendre quelques précieuses secondes pour rester dans le coup. Couché sur son vélo, il engrange de la vitesse avant de négocier les virages un par un, tout en gardant un œil sur l'arrière de la course.
Dans les descentes, chacun connaît ses capacités, les risques à prendre et à ne pas prendre. Une chute pourrait être fatale avant l'arrivée au col de Montgenèvre. Une seconde ascension où les jambes de certains sprinteurs peuvent commencer à tirer. Mais aucune grimace ne se devine sur leur visage.
Conscients de ce qui les attend, les 174 cyclistes engagés sur cette 4e étape en terminent avec ce col et retrouvent la France après plusieurs jours d'exode en Italie. La France et ses reliefs, ses géants des Alpes.
Avant d'y songer, les coureurs se dirigent vers Briançon où les Haut-Alpins leur réservent un accueil bruyant mais chaleureux. Depuis 1922, entre la Grande Boucle et la cité de Vauban, c'est une histoire d'amour qui dure. Mais elle annonce aussi la couleur aux athlètes avec des sommets d'exception à gravir.
Les organismes déjà attaqués dans le Lautaret
Alors que le peloton contrôle son retard sur l'échappée, le groupe de tête entre dans le Lautaret. Une ascension synonyme de mise en bouche avant le Galibier, et qui entraîne d'importantes pertes. Devant, l'échappée voit le groupe maillot jaune se rapprocher à vitesse grand V. Et derrière le peloton, le gruppetto grandit et les visages se crispent.
Depuis le départ du Tour, les coureurs étaient plutôt ménagés. Les voici dans le dur, dans leur première étape de montagne. Un plaisir pour les grimpeurs qui ne cessent de se dresser sur leur vélo, une souffrance pour les sprinteurs et autres spécialistes.
Les favoris, eux, rattrapent l'échappée devant une foule massée sur les pentes du Lautaret. Le vent souffle et vient de face. Sur les bords de route, les polaires et les doudounes sont de sortie dans un décor presque automnal.
Un Galibier enneigé se dresse devant les coureurs
Certains redoutaient ce virage à droite, à 2 061 mètres d'altitude. D'autres l'attendaient pour attaquer. Le groupe des favoris accélère dans l'ascension du Galibier et de nombreux concurrents de taille ne peuvent plus suivre à ce niveau de l'étape, comme le champion du monde Mathieu van der Poel, qui peine à rejoindre le sommet.
La route se dévoile au dernier moment. La foule encourage, porte les coureurs sur ces pentes mythiques. Certains prennent même des risques pour observer et toucher leurs idoles obligeant les cyclistes à redoubler de prudence.
Dans un décor de film, les coureurs longent des murs de neige qui coulent sur la chaussée. Un paysage hivernal dans un col purgé et ouvert à la circulation depuis seulement quelques jours. Malgré ces conditions, le Slovène Tadej Pogačar n'a pas hésité à placer une dernière attaque, laissant ses concurrents impuissants. Seul Jonas Vingegaard parvient à résister mais lâche à son tour, puis laisse partir son rival dans la descente.
Les jeux sont faits. Chacun doit désormais limiter son retard tout en gardant un œil sur les pentes glissantes. A des vitesses approchant les 90 km/h, ces athlètes avalent les kilomètres, couchés sur leur machine, bravant la puissance du vent et sa fraîcheur.
Tadej Pogačar s'impose et frappe un grand coup
Dans les rues de Valloire, la foule en délire n'a pas perdu une miette de ce qui s'est joué 1 200 mètres plus haut. Les derniers virages de Tadej Pogačar sont réalisés sous une ola et les applaudissements du public. Ils n'auront pas assisté à un dernier sprint mais se délectent d'un final de champions.
Sur la ligne d'arrivée, le Slovène fait coup double. Il remporte cette 4e étape du Tour de France 2024 et s'empare du maillot jaune. Il place Remco Erenpoel à 45 secondes de lui et Jonas Vingegaard à 50 secondes au classement général avant le départ de la 5e étape.
Pour la 60e fois dans l'histoire de la Grande Boucle, le Galibier aura offert une course à suspens. Un duel décisif au terme d'une étape de 139,6 kilomètres dans un décor rare, mêlant les saisons et offrant un spectacle fascinant aux Savoyards et amoureux du cyclisme venus profiter de ce passage dans les Alpes.