Lundi 11 mai, les tribunaux de commerce sont en grève pour protester contre une disposition du projet de Loi Macron, qui prévoit de confier à des tribunaux spécialisés les contentieux concernant les plus grandes entreprises. Grève et portes closes à Chambéry.
Ce mouvement, annoncé comme illimité par la Conférence générale des juges consulaires de France (CJCF), intervient alors que la loi Macron doit être votée mardi au Sénat. Les juges s'inquiètent notamment de l'impact de cette réforme sur la "justice de proximité".
Dans les Alpes, le mouvement est surtout suivi à Chambéry. A Grenoble le greffe a maintenu son activité mais les juges consulaires sont en grève et ne rendront aucune décision jusqu'au 25 mai inclu (renouvelable).
"Plus de 98% des tribunaux ont suspendu leurs audiences aujourd'hui", soit "près de 130 tribunaux de commerce sur 135", a assuré Yves Lelièvre, président de la CJCF. "Au total, ce sont plus de 3.000 juges qui sont en arrêt total d'activité".
Selon M. Lelièvre, la Conférence n'est pas hostile par principe à la délocalisation de certains dossiers importants, mais s'inquiète du seuil qui déclenchera le transfert automatique d'une affaire vers une autre juridiction.
Ces seuils doivent être déterminés par décrets, mais le gouvernement envisage de les fixer à 150 employés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, des bornes que la Conférence juge trop basses.
Seuil de 250 salariés
"Que les grandes entreprises soient traitées par des tribunaux spécialisés, pourquoi pas, mais à condition qu'ils soient suffisamment nombreux sur le territoire et que les tribunaux de proximité continuent à s'occuper des entreprises de taille moyenne", estime M. Lelièvre.Selon lui, certains patrons devront faire "200 ou 300 kilomètres", à cause de la réforme, pour régler leur contentieux. Un coût important "en temps" et "en argent", surtout pour les entreprises en difficulté.
La Conférence réclame ainsi l'insertion dans la loi Macron d'une référence à la classification des entreprises de la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008, soit un seuil de 250 salariés. Elle demande aussi que le nombre de tribunaux spécialisés soit fixé à 15 et non huit.
"A ce stade, aucun seuil n'a été décidé par le gouvernement. Ils seront déterminés ultérieurement par voie de décret", assure de son côté le ministère de l'Economie, qui conteste également le chiffre de huit tribunaux avancé par la CJCF.
"La réforme consiste à spécialiser certains tribunaux de commerce existants pour gérer les dossiers de redressement judiciaire les plus complexes. On parle d'une petite centaine de dossiers par an sur les 63.000 redressements judiciaires opérés chaque année", ajoute Bercy.
Entreprises en sursis
Conséquence de la grève: de nombreuses affaires étaient reportées lundi, plaçant en sursis le sort des entreprises concernées, à Toulouse, Chambéry, Rouen, Montauban, Perpignan ou encore Rennes...A Lille, les procédure collectives, les contentieux et les référés étaient reportés, mais pas celles concernant les salaires des entreprises en difficulté. "Il n'est pas question de frapper les salariés", a expliqué le président du tribunal, Eric Feldmann.
"S'il y a péril sur un bâtiment, si une entreprise se trouve en très grande difficulté, évidemment nous entendrons cette urgence", a fait savoir de son côté François Chassaing, président du tribunal de commerce de Nanterre, où plus de 500 dossiers devraient être renvoyés cette semaine.
A Bordeaux, Lyon mais aussi Paris, les audiences étaient en revanche maintenues, les Assemblées générales n'ayant pas voté la grève lancée à l'appel de la CJCF.
Dans un communiqué, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) a apporté lundi son soutien aux juges consulaires, en demandant "que les tribunaux de commerce de proximité gardent compétence pour les PME jusqu'à 250 salariés", sauf cas spécifiques.
"Il est important que dans une telle période, les chefs d'entreprise, déjà fragilisés par les difficultés économiques qu'ils traversent ne soient pas, en outre, confrontés à des problèmes matériels liés à l'éloignement", estime la CGPME.
Le Sénat a validé mercredi lors de l'examen du projet de loi la création des très controversés tribunaux de commerce spécialisés, mais en proposant, contre l'avis du gouvernement, que leur compétence ne soit automatique que pour les entreprises de plus de 250 salariés. Le texte doit être voté solennellement mardi avant de retourner devant l'Assemblée nationale.