Quatre skieurs de l'équipe de ski d'Haïti vont concourir en cette fin de semaine lors des Championnats du monde de ski alpin 2023 à Courchevel et Méribel. Au-delà des performances, les athlètes tiennent à représenter au mieux le petit pays des Antilles.
"Les conditions de ce matin, elles ne sont pas pour moi. C'est une patinoire dans le mur. J'ai essayé de mettre du miel sous mes skis, mais ça ne change rien", plaisante Jean-Pierre Roy. Ce mardi matin, à l'entraînement du slalom, sa tenue dénote parmi celles des autres nations comme la Croatie, l'Islande ou encore l'Australie. Sa combinaison, floquée de palmiers, de dragons et d'un coucher de soleil, c'est celle d'Haïti.
A 59 ans, cet amoureux du ski s'apprête à prendre le départ des manches qualificatives pour le géant et le slalom des Mondiaux de Courchevel-Méribel. Il représentera le petit Etat des Antilles et la Fédération haïtienne de ski, qu'il préside, et qui compte 6 membres actifs.
Sur un de nos papiers pour monter la fédération, on nous avait même appelé 'Fédération haïtienne de sky', avec un 'y'. C'est dire à quel point nous partions de loin.
Jean-Pierre Roy, président de la FHS.
Le pays des Caraïbes, qui ne compte aucune station ou piste de ski, a créé sa fédération de ski en 2010 : "On est la deuxième fédération la plus active du pays. On a déjà participé à des compétitions de la FIS (la Fédération internationale de ski, ndlr), aux Championnats du monde junior, on est allé aux Jeux olympiques d'hiver de Pékin et, maintenant, nous sommes aux Championnats du monde de Méribel-Courchevel", fait remarquer Thierry Montillet, cousin éloigné de l'ancienne championne de ski Carole Montillet.
Les deux amis, Thierry Montillet et Jean-Pierre Roy, sont partis de rien pour monter cette fédération. Et les démarches, effectuées depuis la région parisienne, ont été parfois laborieuses : "Pour monter la structure, ce n'était pas facile. Personne ne comprenait notre projet à Haïti. Sur un de nos papiers pour monter la fédération, on nous avait même appelé 'Fédération haïtienne de sky', avec un 'y'. C'est dire à quel point nous partions de loin", se souvient Jean-Pierre Roy, président de la FHS.
Treize ans après sa création, la FHS est parvenue à aligner quatre skieurs pour ces Mondiaux. Certes, les chances de médaille ou de top 10 sont minces pour ne pas dire inexistantes. Mais l'important n'est pas là pour le président de la fédération : "Ce que je veux, c'est qu'on ramène la médaille du soleil, la médaille de la paix. Je veux aussi la médaille de l'amitié ! C'est pour cela que je le fais, parce que, franchement, je préfère être sous la couette et regarder ça à la télé !"
Des résultats à 20 ans
Il est neuf heures. Les télésièges de Courchevel, dont celui du "Plantrey" qui survole la piste d'entraînement, sont ouverts depuis peu. Ce mardi matin, les Haïtiens sont les chouchous des skieurs assis sur la remontée mécanique. Les "Allez Haïti" et autres encouragements sont nombreux. Jean-Pierre répond par un sourire et un grand geste de la main : "Je suis trop content d'être là. Je suis arrivé en France à deux ans. J'y ai fait mes études, j'y travaille : la France m'a nourri. Mon corps, il est français. Mais ce qui coule dans mes veines, c'est du sang haïtien. C'est un mélange, c'est génial !"
A quelques mètres de lui, Richardson Viano sourit. Le jeune homme de 20 ans chausse ses skis et s'apprête à prendre le départ de son entraînement. Lui aussi est né à Haïti, puis il a été adopté à l'âge de trois ans par des parents italiens, avant de passer son enfance du côté du Puy-Saint-Vincent dans les Hautes-Alpes.
Notre rêve, c'est de pouvoir partir parmi les meilleurs dans une très grande course internationale.
Thierry Montillet.
Le jeune homme, doué entre les piquets, ne s'attendait pas forcément à concourir pour l'Etat des Grandes Antilles : "Pour l'anecdote, j'ai skié pour la France jusqu'à mes 16 ans. Pendant ma première année sur le circuit FIS, j'ai été contacté par 'JP' (Jean-Pierre Roy, ndlr) un soir et il a voulu que j'intègre la FHS. Je ne lui ai pas répondu tout de suite. J'ai attendu de voir comment ça se profilait avec la France, mais je n'ai pas eu les résultats nécessaires. Alors, je suis revenu vers Jean-Pierre et je lui ai dit que j'étais partant", raconte Richardson Viano, qui espère retourner à Haïti prochainement, pour la première fois depuis son adoption.
Avec son "Haïti" inscrit dans les cheveux, "Richie" a été le premier athlète du pays à participer à des Jeux olympiques d'hiver. Et avec la manière : il est arrivé 34e du slalom olympique à seulement 19 ans. En 2021, un an plus tôt, il était arrivé 35e du géant des Mondiaux de Cortina d'Ampezzo, en Italie.
Ça me fait plaisir de faire parler d'Haïti en positif, de dire que, malgré les problèmes là-bas, on est présent dans un sport que l'on n'imaginerait même pas.
Richardson Viano.
"C'est quelqu'un qui est capable d'aller aux JO et de faire une bonne place. C'est totalement extraordinaire. Là, il travaille tous les jours pour améliorer ses performances. Notre rêve, c'est de pouvoir partir parmi les meilleurs dans une très grande course internationale. Et on s'en approche tranquillement. On est partis de très loin, on nous prend un peu pour une anecdote. Mais 13 ans après, ce n'est plus une anecdote, c'est du concret", raconte Thierry Montillet.
Comme lui, Richardson Viano attend donc beaucoup de ces Championnats du monde :
"C'est toujours motivant de skier pour Haïti, surtout que le pays est en galère depuis des années. Donc ça me fait plaisir de faire parler d'Haïti en positif, de dire que, malgré les problèmes là-bas, on est présents dans un sport que l'on n'imaginerait même pas."
Sa première course de ces Mondiaux sera vendredi à l'occasion du géant hommes. Il devrait ensuite prendre le départ du slalom, dimanche, dernier jour de ces Championnats, avec peut-être une surprise venue des Antilles.