À l'occasion de travaux de maintenance sur les installations hydroélectriques, le niveau du lac du Chevril, en Savoie, a atteint des niveaux particulièrement bas cet hiver. Dévoilant un paysage rare : celui de l'ancien village de Tignes, détruit lors de la construction du barrage.
Il est selon EDF la "clé de voûte de l’aménagement hydroélectrique de Haute-Tarentaise" : le barrage de Tignes, le plus haut de France, surplombe ces dernières semaines un champ de limon craquelé. Des travaux de maintenance ont poussé l’exploitant à abaisser progressivement le niveau du lac du Chevril, qui se trouve en cette mi-avril presque à sec. Avec le recul du niveau de l’eau, les vestiges du village savoyard refont surface.
Pour un œil non averti, le plus remarquable est le pont qui permettait de rallier Val d’Isère par le col de l’Iseran. Son âge : "100 ans dont 72 sous la flotte", souligne Bernard Reymond. "C’est la dernière chose un peu imposante qui marque qu’il se passait quelque chose ici avant". En contre-bas, seuls quelques signes discrets – restes de fondations et parois de pierres - témoignent de ce qui fut "une magnifique plaine, avec plein de hameaux et une activité agricole importante".
Lui y a vécu jusqu’à ses cinq ans. Lancés en 1947, les travaux de construction du barrage aboutissent cinq ans plus tard à la mise en eau de la zone. Les quelques centaines d’habitants sont évacués et les édifices détruits – l’église sera répliquée à l’entrée de la station érigée plus haut. "Les souvenirs que j’ai, ce sont les énormes camions de chantier qui passaient devant la maison, et puis la baston avec les CRS", témoigne celui qui en fut maire du "nouveau" Tignes de 1995 à 2001. Mais "pour la génération qui habitait là, le déracinement a été terrible", appuie-t-il.
Petit à petit, j’ai eu conscience de vivre dans un milieu familial et social complètement désemparé qui n’avait pas compris ce qui lui était arrivé.
Bernard Reymond, ancien maire de Tignes
"Les Tignards ne voulaient pas partir de chez eux, abonde Marie Guillet. Ils ont sorti les familles une par une, progressivement, et dynamité les maisons au fur et à mesure que l’eau montait." La jeune femme s’est passionnée pour cette histoire dont ne subsiste que peu de traces. Aujourd’hui, accompagnée d'une amie architecte, elle saisit cette occasion décennale pour "créer une sorte d’émulation" et se lancer dans une reconstitution du plan du village et des maisons. Un moyen de "retrouver un peu nos racines".
Malheureusement, cette mémoire, elle n’a pas été vraiment entretenue – je pense, aussi, à cause du traumatisme psychologique. Les gens sont partis et n’avaient plus envie forcément de parler de tout ça.
Marie Guillet, habitante de Tignes
"C’est parti d’une idée de retrouver la position des maisons de nos ancêtres", décrit-elle, soulignant "qu’entre l’envasement et le fait que les maisons ont été dynamitées, c’est un peu compliqué de retrouver des choses". Elle espère que ces travaux aboutiront à la création d’une maquette ou d’un plan interactif intégrés à une exposition.
En 2022, les 70 ans de l’engloutissement du village avaient été l’occasion d’un travail sur les archives photographiques que la commune compte afficher de nouveau à partir du mois de juillet. "Mettre en valeur la mémoire de nos ancêtres, c’est la moindre des choses", estime Capucine Favre, adjointe au maire en charge du patrimoine, qui martèle : "Nos anciens nous ont transmis leur détresse, mais ils ne s’en sont jamais remis."
Au fil de la fonte des neiges, l’eau submergera de nouveau l’ancien village. Charge donc aux générations suivantes de faire perdurer sa devise : "Tignes, toujours vivant."