En Auvergne, le monde du spectacle vivant est au point mort. Entre reports et annulations, ce deuxième confinement en raison du Covid 19 fragilise encore davantage les tourneurs, les compagnies et les salles de spectacles déjà minés par le premier. Plongée dans un océan d'incertitudes.
 

Au théâtre d'Aurillac, la compagnie Le souffleur de verre termine sa résidence. Le spectacle que l'équipe du metteur en scène Julien Rocha a finalisé là-bas est prêt à être montré au public. On prévoit l'avant-première pour la semaine suivante. Il reste encore un jour de travail mais ce jeudi soir, tout s'arrête brutalement. Le gouvernement vient d'annoncer un nouveau confinement : le spectacle ne pourra pas être joué, même pas devant la moitié d'un public masqué, le théâtre d'Aurillac, comme toutes les salles de spectacles de France, doit fermer ses portes. « J'ai été vraiment éprouvé par cette nouvelle parce que ce sont des années de travail... Réunir la prod, écrire le texte, les résidences d'écritures, les répétitions... On travaille sur ce spectacle depuis environ deux ans ! Je sais que cette fois, on peut continuer de répéter mais si on ne peut pas rencontrer le public, c'est extrêmement frustrant ! » nous livre Julien Rocha. 

Et en effet, ce nouveau confinement n'empêche pas les compagnies de produire : les répétitions peuvent se maintenir et les interventions en milieu scolaire également. « Sur la dernière semaine de travail qu'on a fait confinés, poursuit le metteur en scène, c'était une ambiance partagée. Je sens les gens plus vraiment à ce qu'ils font, un peu ailleurs. Ils savent très bien qu'on ne pourra pas jouer... » 


Le spectacle "Surexpositions" raconte l'histoire de l'acteur Patrick Dewaere. Pour l'instant, les quatre dates au Théâtre des Célestins à Lyon en février sont maintenues. La compagnie s'accroche, même si depuis le début de l'épidémie, il est impossible de prévoir ce qui va se passer dans six mois. A Aurillac, le directeur du théâtre Dominique Bertrand leur a réservé la date du 7 octobre de l'année prochaine. 

Des spectacles désormais programmés un an à l'avance

C'est inédit pour certains programmateurs, encore davantage dans le domaine des musiques actuelles. Habituellement, ces scènes dédiées établissent leurs programmations sur deux ou trois mois. Parfois, un concert est prévu six mois à l'avance si c'est une grosse structure. « Toute la production musicale, c'est à ce rythme-là. Pour la première fois, nous sommes contraints de reporter des dates à l'année prochaine. » nous explique Pascal Favier, directeur du 109, la scène des musiques actuelles de Montluçon. « A force de reporter depuis le mois de mars, on en est à une troisième vague de reports... Les dates qui n'ont pas pu avoir lieu, je ne peux pas les laisser tomber. Le groupe Von Pariahs, ça fait deux fois que je les reporte, je les reprogramme dans un an. On s'y fait. On est obligés de continuer. Mais est-ce que les artistes vont pouvoir attendre l'année prochaine ? Est-ce que leur statut d'intermittent va être prolongé ? Certains artistes commencent déjà à réfléchir à une reconversion. »

Pas question de se reconvertir pour Johanny Bert. Le metteur en scène et comédien s'occupe exclusivement de sa compagnie depuis qu'il a quitté la direction du Centre dramatique national de Montluçon (Allier) fin 2015. Artiste associé à la Comédie de Clermont-Ferrand de 2016 à 2018, il est depuis artiste compagnon de la scène nationale de Dunkerque. En novembre, il devait présenter deux spectacles à Clermont-Ferrand qui mêlent, comme à son habitude, marionnettes et comédiens. « On a vécu un premier confinement pendant lequel on a dû annuler 164 représentations des différents spectacles de la compagnie, qui étaient en tournée entre mars et juin. Et là, deuxième confinement, on doit annuler 62 représentations, rien que pour ce mois de novembre... Des représentations qui sont déjà des reports ! » se désespère le metteur en scène. « Ce qui est un peu dur, c'est qu'en novembre, on devait jouer une belle série d'une création qui s'appelle "Une épopée", à la nouvelle Comédie de Clermont. Et également une série du spectacle "HEN". C'était deux rendez-vous pour moi et pour la compagnie, très importants, à cause du lien qu'on a avec la Comédie, du lien qu'on a avec le public clermontois et de la métropole qui me suit depuis 2004. Ce sont deux spectacles auxquels je tiens beaucoup parce que ça a du sens de les jouer en ce moment... » 
 

"Une épopée" est une aventure qui demande aux spectateurs de se rassembler au théâtre une journée entière : « C'est un spectacle qui parle beaucoup de la relation de l'homme avec son environnement et c'est exactement ce qu'on vit en ce moment. Quant à "HEN", c'était mon retour sur scène, puisque je n'ai pas joué depuis très longtemps ! Je pense que l'insolence du personnage principal me fait du bien quand je la joue et qu'elle peut faire du bien aux autres dans cette période anxiogène... » Avec tous les spectacles en tournées qui devaient se jouer ce mois de novembre ("Elle pas Princesse / Lui pas héros", spectacle itinérant, "Le petit Bain", spectacle jeune public, "Dévaste-moi" avec Emmanuelle Laborit...), la « petite » compagnie de Johanny Bert faisait travailler soixante intermittents. Pour lui aujourd'hui, le but, c'est de chercher des solutions pour que toutes ces personnes ne se retrouvent pas en difficulté. 
Pour les artistes et les compagnies, les soutiens sont importants. La compagnie le Souffleur de verre travaille aussi avec des intermittents du spectacle et il faut s'assurer de la pérennité des cachets. La DRAC (Direction régionale des affaires culturelles d'Auvergne Rhône-Alpes) entretient des relations étroites avec la compagnie pendant cette période. « La DRAC est très protectrice. Par exemple, le premier lundi qui suivait le confinement, il était impossible d'envoyer nos intermittents sur des ateliers en milieu scolaire. La DRAC le sait et l'argent sera versé quand même. » raconte Julien Rocha. 

Continuer de travailler

A l'opéra de Vichy, on travaille, sans spectateurs. Martin Kubich, directeur de l'opéra mais aussi de toute la politique culturelle de la ville de Vichy, essaye de vivre ces évènements avec tout l'optimisme qui le caractérise. L'ancien chanteur lyrique tente de regarder au-delà des sièges vides de l'opéra : « On navigue à vue en essayant de garder le cap. On tente de trouver par tous les moyens des solutions pour maintenir notre activité, soit par l'intermédiaire des réseaux sociaux et d'internet en général, soit par l'intermédiaire de résidences d'artistes puisque l'Etat nous autorise à organiser des résidences et même à donner des concerts et des spectacles, mais sans public. Donc là, notre état d'esprit actuellement est d'entrouvrir toutes les portes possibles qui se présentent à nous et tenter de mettre en place un programme inédit. Notre temps, on le passe à travailler sur les annulations, les reports et à préparer l'avenir. » 

Mais le temps passe et les spectacles initialement prévus en mars dernier sont de plus en plus difficiles à maintenir. Après plusieurs reports de spectacles, les saisons commencent à être saturées et les annulations sont annoncées, à l'opéra de Vichy comme partout. A force de reporter, les tourneurs n'ont plus les capacités de tourner et d'autres projets sont prévus avec les artistes.  Mais les annulations ne sont pas sans conséquences pour les compagnies, les ensembles, les tourneurs privés ou publics : « Nous allons contribué pour les dates prévues à Vichy à leur verser un dédit pour qu'ils puissent s'en sortir aussi financièrement. On le fait sur tous les spectacles annulés. » insiste Martin Kubich.
 

Pas question d'annuler quoi que ce soit pour Arachnée Concerts. L'organisateur d'évènements auvergnat reporte encore et encore. L'entreprise est à l'arrêt et pourtant les journées sont chargées pour Charline Pouzet, co-dirigeante : trouver de nouvelles dates, rassurer les clients, rembourser les spectateurs qui jettent l'éponge. Depuis le mois de mars, l'organisateur de spectacles n'organise plus. Il gère la situation. « Nous, on est habitué à faire du divertissement dans des grandes salles type Zenith et ces salles ont été très vite impactées. Avec des jauges de mille, ça supprime beaucoup de spectacles. On ne pouvait pas s'imaginer faire un tirage au sort avec le public. Et puis il y a la distanciation ! Impossible à gérer avec un spectacle dont les places sont numérotées et avec un public qui a acheté ses places de trois à six mois à l'avance pour être bien placé ! Et puis d'un point de vue économique, ça revenait à réduire la jauge de 65% de sa capacité. Nous, sachant qu'économiquement, on est à l'équilibre aux alentours de 80% de remplissage, on imagine ce que ça peut donner. Alors c'est bien simple, depuis le mois de mars, on a pu assurer que deux spectacles...» nous confient Charline Pouzet. Cette dernière insiste sur le fait que dans son secteur, son entreprise n'est pas la plus mal lotie. Une base saine, peu de charges et l'espoir de pouvoir bénéficier d'aides de l'Etat dans quelques semaines font que l'entreprise n'est pas encore en danger. Claude Cyndecki de Cheyenne Productions, le plus gros producteur de spectacles en France, producteur des Bodin's, de Maître Gim's ou de Stars 80, confiait récemment à nos confrères de France Bleu qu'il était à deux doigts de mettre la clé sous la porte

Combien de temps ça va durer ?

La question que tout le monde se pose, c'est avec celle-ci que les professionnels du spectacle se réveillent le matin et s'endorment le soir : combien de temps va durer cette pandémie ? Martin Kubich l'a même mise à l'ordre du jour d'une de ses réunions : « On va pouvoir tenir encore quelques semaines, quelques mois peut-être mais on ne pourra pas continuer à creuser des déficits, notamment avec des spectacles joués en demi-jauge. Si les pouvoirs publics nous soutiennent, si les fonds de soutien sont activés, on pourra le faire mais pour combien de temps encore ? On s'est donc posé la question : est-ce que ça vaut la peine de maintenir notre saison ? Notre réaction est unanime au sein de la direction et je pense que les salariés auront les mêmes réactions que nous, c'est qu'il n'est pas possible de capituler, autant pour des spectateurs qui ont payé leur place, qui ont besoin de spectacle vivant mais autant pour les artistes qui ont besoin de travailler. »

Pour le marionnettiste Johanny Bert, c'est aujourd'hui, alors qu'elle est au point mort, que la culture a son rôle à jouer : « Plus que jamais je pense que les enfants comme les adultes ont besoin de s'ouvrir à autre chose que la pandémie, que les attentats. On a besoin de penser à autre chose. »



 
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