À Bordeaux, l'association SOS Amitié reçoit chaque jour une cinquantaine d'appels. Depuis la crise sanitaire, ils proviennent davantage de jeunes adolescents âgés de 12 à 14 ans. Leurs motifs sont variés bien que la violence, le harcèlement, la scarification et les troubles du comportement reviennent souvent au cœur des échanges.
Véronique (le prénom a été modifié) est assise à son bureau, devant son ordinateur fixe. Face à elle, les volets sont baissés, seule une lampe de table éclaire la pièce où sont réceptionnés les appels reçus par l'association SOS Amitié, à Bordeaux, qui compte une quarantaine de bénévoles. Le téléphone sonne. Elle décroche. "Bonjour, qu'est-ce qui vous arrive ?", questionne aussitôt la bénévole.
Dans le combiné, les mots fusent. Ils resteront cependant secrets à toute autre oreille. À l'autre bout du téléphone, elle reprend, toujours à l'écoute. "C'est un sentiment permanent ? Vous ressentez cela au quotidien ?" À mesure que les secondes défilent, l'échange se précise : "vous pensez souvent au suicide ?", sonde Véronique.
Des appelants de plus en plus jeunes
Chaque jour, et à n'importe quelle heure de la journée comme de la nuit, l'association bordelaise reçoit une cinquantaine d'appels. Au niveau national, seuls 22% des appels entrants sont décrochés par les bénévoles, faute de moyens et de personnel.
Ce temps d'échange accorde aux appelants l'occasion de faire part de leurs craintes, de leurs doutes et des épreuves, souvent difficiles, qu'ils traversent. Depuis quelques années, les opérateurs de l'association, qui s'adresse aux jeunes comme aux adultes, voient un nouveau profil d'appelants se dessiner : ils sont de plus en plus jeunes, âgés de 12 à 14 ans. "Que ce soit au niveau des appels ou du tchat écrit, on observe davantage d'appels de jeunes adolescents, remarque Sylvie (le prénom a été modifié), une autre opératrice de l'association qui a embrassé ce rôle une fois à la retraite.
Ces conversations peuvent en effet se dérouler de vive voix, ou par écrit. "Le tchat écrit est tout aussi important. Il permet d'instaurer une proximité avec l'appelant parce qu'il peut communiquer en toute discrétion s'il est en compagnie d'autres personnes. Et ce, aussi à n'importe quel moment", précise Sylvie.
Harcèlement et relations familiales
Les raisons de ces appels sont globalement liées au harcèlement, aux relations avec la famille ou l'environnement proche. "Quand on les écoute, on a le sentiment qu'il y a une rupture entre les jeunes et leur famille, rapporte Sylvie. Ils témoignent d'un mal-être profond, souvent en lien avec la dureté du monde. Ils font part de l'isolement qu'ils peuvent ressentir quand on ne les écoute pas, qu'on ne les croit pas, ou quand on nie leurs ressentis, poursuit la bénévole. Des propos qui dépassent, selon cette écoutante, "la crise existentielle ou de la crise d'adolescence".
Les adolescents, comme les jeunes enfants, parlent de suicide. Ils sont en souffrance.
Sylvie (prénom modifié)Bénévole au centre d'appels bordelais de l'association SOS Amitié
Une écoute singulière
"L'association propose une écoute unique, insiste Bruno Teisseire, président de l'association SOS Amitié, à Bordeaux. L'opérateur qui décroche le téléphone est focalisé sur l'autre. On se centre sur l'appelant, sur ce qu'il ressent. On l'aide à s'exprimer et à nommer ses émotions." Une écoute loin des échanges "sur la pluie et le beau temps qu'ils peuvent avoir ailleurs".
Ce rajeunissement du profil des appelants a débuté au lendemain des confinements successifs liés à la crise sanitaire. "Le Covid-19 a été une période angoissante. Les jeunes ont vécu dans un environnement clos sans pouvoir sortir, note le président de l'association. Alors les relations s'exacerbent et la pression ne s'échappe pas. C'est là où le malaise s'installe."
Nous ne sommes pas des thérapeutes, des soignants ou des amis. Nous écoutons de manière bienveillante et empathique.
Bruno TeisseirePrésident de l'associations SOS Amitié à Bordeaux
Covid-19 et écrans, mauvais cocktail
Ce malaise chez les jeunes adolescents est aussi ressenti par Leonardo Cirne, psychologue et psychanalyste à Bordeaux depuis 17 ans. "À mon cabinet, je constate qu'il y a un avant et un après Covid-19. Je vois de plus en plus de parents emmener leurs enfants en consultation, remarque le professionnel de santé. Et de leur côté, les adolescents sont aussi demandeurs."
Les confinements ont ancré de nouvelles pratiques chez les jeunes adolescents : celles des écrans et des réseaux sociaux. "Cette utilisation a été un refuge pour ces jeunes durant les confinements face au manque d'occupations, insiste le psychologue. Sauf que cela a des effets directs : beaucoup sont en rupture avec le monde réel."
Les jeunes ont peur de s'engager, de faire des projets. Le Covid-19 a montré que tout pouvait s'arrêter.
Leonardo CirnePsychologue et psychanalyste à Bordeaux
Pour le professionnel de santé, les jeunes demandent aujourd'hui "à être écoutés sans jugement et de manière continue", à l'image du fonctionnement de l'association SOS Amitié.