Edito : pourquoi Paris a parfois du mal à comprendre la Bretagne !

La sphère politico-mediatique nationale a parfois bien du mal à décrypter la révolte de la Bretagne ! Car vu de Paris, politiques et journalistes en perdent parfois leur latin devant ce peuple d'irréductibles bretons ! Voici donc quelques petites histoires pour éclairer la grande...

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Le 29 octobre, un papier du Monde s'ouvrait sur ce titre : "Les étonnantes alliances de la fronde bretonne". En effet, pour qui n'est pas breton, difficile de comprendre comment des agriculteurs, des patrons et des syndicalistes peuvent se retrouver sous la même banderole. Ou dans la même manifestation, à Pont de Buis, pour en découdre avec les forces de l'ordre.
Difficile encore de comprendre pourquoi Daniel Sauvaget, le patron de Tilly-Sabco manifeste avec ses salariés. Lui qui annonce la suppression probable d'un millier d'emplois en janvier prochain défile pourtant avec ses ouvriers charlotte rouge sur la tête ! Une journaliste venue de Paris croit y voir de la récupération et on voit bien que le courant passe mal....


Pour comprendre, il faut juste passer derrière le miroir des apparences. En Bretagne, dans les zones rurales, le patron est très loin du type en costard-cravate, attaché-caisse à la main ! A Guerlesquin, dans le Finistère, comme à Lanrelas, dans les Côtes d'Armor, les abattoirs ou les couvoirs, sont très souvent le seul employeur du coin. Et cela, au fin fond de la campagne, loin, très loin des grandes villes.
Alors forcément, son patron, on le croise très régulièrement dans la rue ou au bistrot du village. Ou bien encore le dimanche, au terrain de foot, où cadres et ouvriers jouent parfois dans la même équipe, sponsorisée par... le patron du coin. Et tout ce petit monde se retrouve après pour la troisième mi-temps.
Mouiller le maillot ensemble, en Bretagne, ce n'est pas qu'une expression. C'est aussi un mode de relation sociale, y compris dans le monde de l'entreprise. 

La culture du travail en équipe

La plupart du temps, en Bretagne, les patrons sont respectés et souvent appréciés. Dans un récent sondage paru  dans Ouest-France, une écrasante majorité des Bretons disent d'abord faire confiance aux salariés (90% des sondés) et à leurs patrons (80%) pour sortir de la crise, plutôt qu'au gouvernement ou aux syndicats.

Le samedi 19 octobre dernier, sur France 3 Bretagne, un documentaire consacré à Jean-Guy Le Floch, le patron d'Armorlux, a même recueilli 16,7% d'audience ! Jean-Guy Le Floc'h, ancien n°2 du groupe Bolloré, revenu en Bretagne afin de reprendre une petite entreprise, les Bonneteries d'Armor, devenue depuis une entreprise symbole ! Symbole du produire au pays et de la relocalisation, depuis qu'Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif a posé en marinière à la une d'Aujourd'hui en France.


Voilà donc le genre de patrons que les Bretons apprécient : ceux qui créent de l'emploi dans les territoires. Certes avec les syndicats, il peut y avoir des différends. On peut s'en mettre plein la tête mais à la fin, c'est comme dans le village d'Astérix : on termine ensemble à boire un coup dès lors qu'il s'agit de défendre les mêmes intérêts !

La culture du vivre ensemble

Car en Bretagne, on aime par dessus tout discuter autour d'un verre, sur le bord d'un zinc ! Les bistrots, dans les villages, et même dans les villes, restent un espace inégalé de mixité sociale, où personne ne craint d'interpeller, souvent en le tutoyant, le patron du coin ou l'élu du secteur. A Brest, rien ne vaut de descendre sur le Port de Commerce, au pub de Dan, l'Irlandais, ou bien s'arrêter au Crabe-Marteau, un restau où l'on mange des araignées avec un marteau en bois sur les pages de Ouest-France en guise de nappe !
Et voilà comment, dans le brouhaha des conversations, décideurs, politiques, acteurs économiques, syndicalistes ou même des "péquins lambas" sont capables d'échanger sur toutes sortes de problèmatiques et souvent de trouver de bonnes idées qui ne tardent pas à être appliquées !

Certains caricaturent parfois l'alcoolisme présumé des Bretons ? ils s'en moquent et ils préfèrent revendiquer l'esprit Breton un peu partout sur internet, ou proclamer leur dicton préféré : "En Bretagne, la pluie ne mouille que les cons !"


Et puis, faut-il rappeler que la Bretagne reste aussi une championne du milieu associatif ? En 2011, on comptait plus de 60 000 structures, 500 000 bénévoles, 93 000 salariés et 3000 créations nouvelles par an ! Là encore, de la mixité sociale à tous les étages, et un formidable tissu d'échanges d'expériences et de compétences. Les Bretons aiment vivre ensemble, alors c'est logique qu'ils se mobilisent ensemble, tous milieux et toutes tendances confondues.

Une fierté bafouée

Ajourd'hui, la fierté des travailleurs bretons se retrouve mise à mal sur le terrain de l'agroalimentaire ! Cette agro-industrie, présentée comme un symbole de la performance économique française dans les années 70, se retrouve non seulement en grave difficulté, mais aussi vertement critiquée pour son modèle de production intensive. Pourtant, qui a demandé à la Bretagne de produire de cette manière ? L'Etat français.
Dès la sortie de la deuxième guerre mondiale, le Général de Gaulle nomme un breton à la tête du ministère de l'Agriculture. François Tanguy Prigent, député socialiste du Finistère jusqu'en 58, à qui il demande de moderniser l'agriculture française et notamment celle de la Bretagne.
Que dire aussi du mutualisme breton, né à Landerneau, il y a plus d'un siècle et qui progressivement a sorti les campagnes de leur misère pour construire le modèle agricole breton ? Tout cela est raconté par Didier Boussard et Jean-Etienne Frère dans un documentaire diffusé en 2012 sur France 3 Bretagne  "Du bruit dans le Landerneau". 


Le contre-sens d'EELV

Aujourd'hui, face à la situation de crise qui asphyxie leurs campagnes, les Bretons ont vécu comme une nouvelle provocation l'instauration de l'Ecotaxe, qui viendrait lourdement pénaliser des entreprises agroalimentaires dans une région excentrée. Certes, on le répète, on peut ne peut dédouaner les grands groupes agroalimentaires bretons de leurs responsabilités dans la situation actuelle. Mais quand l'agriculture est menacée, tout le monde se sent concerné en Bretagne. La manifestation de Quimper est venue pour le rappeler : plus de 20 000 manifestants, dans un rassemblement hétéroclite qui peut certes surprendre, mais qui parle d'une seule voix et qui entend ne pas se tromper de cible ! La défense de l'emploi dans les campagnes passe d'abord par le soutien des entreprises qui y sont implantées.

Pendant ce temps là, à Carhaix, une autre manifestation rassemblait 2500 personnes à l'appel de la CGT, relayé par le Parti Communiste et Europe Ecologie Les Verts. En posant le débat sur le terrain politique et des clivages idéologiques, Pascal Durand, le secrétaire national d'Europe Ecologie Les Verts, fustige la FNSEA et le MEDEF. Selon lui, ils sont responsables de tous les mots et la manifestation de Quimper est donc instrumentalisée.  Problème : les Bretons ne l'entendent pas forcément de cette oreille. Mauvaise pioche ?


La méfiance de Paris... et du centralisme

C'est aussi de cette manière, dans des propos politiques tenus trop hâtivement, que se nourrit le ressenti des Bretons vis à vis de tous ce qui vient de l'Etat Français. Dans ce sentiment d'être parfois incompris, abandonnés, voir méprisés. Pendant la première guerre mondiale, les campagnes bretonnes ont été littéralement "saignées" de leurs hommes, réputés courageux et bons soldats. Qui s'en souvient en France ? Pas grand monde. Seul est resté dans l'imaginaire collectif le mot "baragouiner", du breton "bara" (pain) et "gwin" (vin). C'est à peu près tout.

Entre deux guerres, les bonnes bretonnes montées à Paris ont été caricaturées sous le terme  "bécassines". Une expression devenue ensuite une définition dans le Larousse : "fig., péj. femme stupide ou ridicule" ! Enfin les Bretons de l'ouest de la région, et surtout les Finistériens, ont très mal vécu l'affaiblissement de la langue bretonne au profit du Français au cours du 20 ème siècle, avec pour conséquence, une langue classée aujourd'hui comme "sérieusement en danger" par l'UNESCO.

De Gaulle et la décentralisation manquée

La France, les Bretons l'ont pourtant bien servie. En 1940, les 128 pêcheurs de la petite île de Sein s'embarquèrent pour l'Angleterre dès le lendemain de l'appel du 18 juin 1940 ! Quelques jours plus tard, ils représentaient  25% des Français rassemblés à Londres, ce qui fit dire au Général de Gaulle : "Sein est le 1/4 de la France !"

C'est à Quimper, en février 1969, que De Gaulle annonce un référendum sur la réforme des régions et plus de décentralisation. Le général y prononce même quelques phrases en langue bretonne, c'est dire ! On connaît la suite : la France rejettera le référendum et la Bretagne loupera donc ce premier rendez-vous avec la décentralisation.

Soif d'autonomie

De tout temps, les Bretons ont donc exprimé leur défiance vis à vis du pouvoir central et de Paris. De la révolte des Bonnets Rouges, en 1675, à l'incendie du Parlement de Bretagne,en 1994, en passant par l'assaut de la sous-préfecture de Morlaix en 1961, les passes d'armes avec le pouvoir central sont régulièrement le symbole d'une certaine incompréhension entre Paris et la Bretagne.

Dans les années 60-70, le FLB s'en ait fait le bras armé, revendiquant plus de 300 attentats. Toile de fond de la contestation : la reconnaissance des spécificités bretonnes et surtout, avant toute chose, une soif intense de décentralisation et d'autonomie de décisions ! Un documentaire en deux volets racontera cette histoire les 9 et 16 novembre sur France 3 Bretagne.


Certes, il faut rappeler que l'Etat a souvent servi les intérêts de la Bretagne.  Par exemple avec le plan autoroutier breton, offrant une gratuité totales des quatre voies dans toute la région, annoncé par . Malgré tout, les Bretons se sentent toujours un peu éloignés des préoccupations nationales, dans cette péninsule armoricaine, que même le TGV ne parvient pas à rapprocher de Paris ! De fait, l'annonce du report à 2030 du futur tronçon Rennes Brest n'a fait que renforcer ce sentiment de mise à l'écart.



Bref, comme souvent, les Bretons préfèrent se faire confiance d'abord à eux même, et présider à leur propre destinée, avec une méfiance innée du centralisme. Y compris d'ailleurs, au niveau même de la région. Pour tempérer les ardeurs décentralisatrices des Bretons, Bernard Poignant, le maire PS de Quimper et proche conseiller de François Hollande, a pourtant cette formule : "il n'y a pas plus français qu'un Breton ! Avec tous les paradoxes que ça suppose. D'un côté, on veut moins d'Etat. Et de l'autre, on lui demande toujours de l'aide !". Ce à quoi Jean-Guy Le Floc'h répond dans le documentaire qui lui est consacré : "le Finistère a de l'avenir, car il est rempli de Finistériens !" 

Fiers d'êtres différents

Cette fierté de la différence bretonne, et le besoin de le prouver à la France entière, s'exprime à longueur d'années sur le web. où fleurissent des tas de sites destinés à le démontrer. A l'exemple du Breizh Flag Trip Tour, qui recense tous les photos de Bretons arborant dans le monde entier le Gwenn ha Du, le drapeau noir et blanc symbole de la Bretagne !  
Le Gwenn ha Du, ça ne vous rappelle rien ? Finale de la coupe de France 2009. Entre Rennes et Guingamp. Une finale 100% bretonne dans un stade de France déjà rempli une heure et demie avant le match et 40 000 drapeaux bretons s'agitant dans les travées ! Les Bretons ont même pu chanter le Bro Gozh Ma Zadou, l'hymne breton dans le temple du football français. Aujourd'hui, la légende bretonne raconte que l'ambiance ce soir là, était encore plus chaude que lors de la victoire de la France en 98 ! Décidément, on ne se refait pas !



Bertrand Rault
Délégué Régional France3 Bretagne

 

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