Les 17, 18 et 19 juin 40, les quais de Paimpol sont noirs de monde. Devant l'avancée des troupes allemandes, chacun cherche un embarquement pour fuir la France. Parmi eux, les élèves de l’école d’hydrographie de la ville. Certains rejoignent l'Angleterre et deviennent officiers des FNFL.
Le 17 juin 1940, c’est la panique dans les ports de la façade ouest française. Le maréchal Pétain a demandé l’armistice aux Allemands, mais son ministre de la Marine, l’amiral Darlan, entend sauver les bateaux français des mains ennemies en les abritant en Afrique du Nord ou en Angleterre.
Ordre est donné par ailleurs aux militaires, aux fonctionnaires et aux jeunes gens en âge d’être mobilisés par les troupes allemandes de quitter la France. C’est dans ce contexte qu’une cinquantaine d’élèves de l’école d’hydrographie de Paimpol embarque dès le 17 juin sur le chalutier le sauveur du monde. Direction l’Angleterre.
L'Albert-Faroult et la Manou
Le lendemain, le 18, changement de directives : d'autres camarades de l'école tentent d'embarquer, mais les autorités portuaires s'y opposent. Seuls les militaires sont désormais autorisés à quitter le sol français et ces élèves officiers de la marine marchande sont des civils.
Dix-sept d’entre eux parviennent tout de même à embarquer sur un bateau pilote de Rouen, l’Albert-Faroult, arrivé à Paimpol pour échapper aux Allemands.
Le lendemain, le 19 juin, une cinquantaine d’élèves de l’hydro quitte aussi Paimpol pour l’Angleterre sur le yacht la Manou.
Aucun n’a entendu l’appel de Charles de Gaulle, il est même probable que la plupart ne connaissent pas l’existence de ce militaire, nommé général trois semaines plus tôt.
"La France s’est écroulée en cinq semaines, c’est un événement inconcevable. Les gens sont choqués et tentent d’échapper à l’avancée des Allemands, analyse l’historien Erwan Le Gall. Dans ces départs, il y a un phénomène de groupe. On fait comme son entourage."
"La plupart n’entendent parler de de Gaulle qu’en arrivant en Angleterre, précise Jacques Omnès, qui prépare un livre sur cet épisode méconnu de l’histoire bretonne. Ils ont quitté la France par patriotisme anti-Allemand."
Environ 120 élèves de l'école d'hydrographie arrivent en Angleterre. Mais il est difficile d'en connaître le chiffre exact car dans la pagaille de juin 1940, les soucis ne sont pas de tenir des livres de compte pour documenter l’histoire. On sait qu’une trentaine d’autres élèves partis pour la Grande-Bretagne arrivera finalement à Casablanca, leur bateau ayant été dérouté.
Officiers de marine dans les Forces navales françaises libres
Forts des compétences acquises à l’hydro de Paimpol, une partie de ces jeunes gens intègre l’école navale anglaise ou la Royal Navy.
Une vingtaine d’entre eux deviendra officiers de la marine de guerre de la France Libre, les Forces navales françaises libres (FNFL). A ce titre, ils escortent les bateaux transportant du matériel, des vivres ou des militaires entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis. Ils rapatrient aussi des résistants depuis l’Angleterre sur le sol français.
Difficulté de pister les non-officiers
Concernant ceux qui n’ont pas été répertoriés comme officiers, la documentation manque pour connaître précisément leur parcours. S'il est certain qu'une partie d'entre eux a rejoint les FFL (forces françaises libres) sans devenir officier, pour d'autres, Jacques Omnès avance l’hypothèse d’un retour sur le sol français après la signature de l’armistice le 22 juin 1940.
Fermeture de l'hydro de Paimpol
Dans la nuit du 20 au 21 mars 1942, les forces d’occupation ferment l’école de Paimpol. Ils craignent que ces élèves officiers, basés sur la côte, espionnent leurs installations stratégiques implantées le long du littoral et livrent des informations aux alliés. Dans un premier temps, les élèves sont transférés à Guingamp, puis Pontivy et enfin Paris en octobre 1942. L’école rouvre à Paimpol en 1945 puis fermera définitivement en 1986.
Cet épisode, jusqu'à présent peu documenté de l'histoire bretonne, a été l'objet de recherches de la part de Jacques Omnès, coordinateur du groupe de recherche sur les FNFL au sein de la fondation de la France Libre. Ses travaux sont à la source de cet article et feront l'objet d'un livre prochainement.