Entretien avec le climatologue Jean Jouzel : "Cette crise a mis en lumière nos fragilités"

Ecrivains, artistes, scientifiques bretons, ces "grands témoins" nous racontent ce que la pandémie a changé et comment ils envisagent le monde d'après. Pour le climatologue Jean Jouzel, cette crise a mis en lumière la fragilité de nos civilisations et l'urgence climatique.  

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Comment avez-vous vécu le confinement?

On a fait le choix avec mon épouse de rester à Paris et de ne pas aller à Janzé, en Ille-et-Vilaine où je suis né et où nous avons un pied à terre. Depuis le 17 mars, tout est très calme. Pendant un mois, on n'est pas sorti du tout. J'ai 73 ans, j'ai été très malade il y a deux ans, donc je fais partie des personnes à risque. Même après le 11 mai, je vais limiter mes déplacements, je ne prendrai pas le métro. 

Le confinement pour moi a été une période de travail intense. J'ai été très sollicité par les medias. Mon engagement au sein de la Convention citoyenne pour le climat m'amène également à écrire de nombreux articles. Nous avons pour mandat de définir une série de mesures pour réduire d'au moins 40% nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.


Est-on au seuil d'une transformation de nos vies? A quoi ressemblera le monde d'après? 

Depuis le rapport du Giec de 2007, on dit que l'année 2020 sera une année charnière. Nous y sommes en 2020 et la réalité le confirme. Si l'on veut limiter le réchauffement climatique à +2°, il faudrait diminuer d'au moins 40% nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 10 ans et de moitié pour ne pas dépasser +1,5°. On a des chiffres très précis. On sait très bien ce qu'il faut faire. C'est pour cela qu'on parle d'urgence climatique. 

L'an dernier on a émis 54 milliards de tonnes d'équivalent CO2, essentiellement à travers les combustibles fossiles mais aussi par la déforestation ou la fabrication du ciment. Si l'on ne fait rien on sera probablement à 70 milliards de tonnes en 2030 et à +4° ou +5° de réchauffement. Il faut tout faire pour éviter ça. L'Accord de Paris limiterait le réchauffement à + 3° mais ce serait quand même très difficile pour les populations de s'adapter. Le problème c'est que l'on s'accroche à cette addiction aux combustibles fossiles avec beaucoup d'égoïsme par rapport aux jeunes générations.

La crise est l'occasion de repenser le monde d'après, en terme d'énergies fossiles, d'économie ou de modèle agricole. L'arrêt de presque toutes les activités pendant deux mois, à l'échelle planétaire, devrait entrainer une baisse de 4 à 5% des émissions de gaz à effet de serre. Regardez les images de New Delhi où l'on voit enfin le ciel! Ce que démontre la pandémie, c'est que c'est possible et que ça n'a que des avantages! 
Mais je ne suis pas naïf non plus. En 2009, un an après la crise mondiale des subprimes, les rejets de CO2 avaient diminué de 1 à 2%. En 2010, ils étaient revenus à leur niveau d'avant la crise. 

Aujourd'hui, ce que l'on relance en premier ce sont l'automobile et l'aviation, des secteurs qui sont très consommateurs d'énergies fossiles. Certes, il faut des mesures immédiates pour sortir de la crise. Mais ces aides doivent être conditionnées à un changement de cap. Ce n'est pas normal par exemple que les transports aériens ne payent pas de taxe sur le kérozène. 

Je ne suis pas révolutionnaire mais il est urgent de réfléchir à un autre modèle pour une relance économique plus verte et plus vertueuse. Il suffit pour cela que la France applique les objectifs qu'elle s'est fixée dans la loi énergie-climat. Même chose pour la biodiversité. Certains scientifiques pensent que l'apparition du virus est liée à la déforestation. En tant que citoyen je trouve largement plus crédible l'hypothèse d'une zoonose, d'une transmission par le pangolin ou la chauve-souris plutôt que la théorie d'un virus qui se serait échappé d'un laboratoire, accidentellement ou intentionnellement comme le dit Donald Trump. 


L'autre enseignement, c'est que le confinement a ouvert la réflexion sur nos modes de vie. A commencer par nos déplacements que l'on a été contraint de restreindre durant ces deux mois. Grâce au numérique, on s'est rendu compte qu'on peut interagir à distance. Sans prendre l'avion, on peut par exemple participer à une conférence n'importe où dans le monde. Le télétravail s'est développé dans des proportions inédites jusqu'à devenir la règle. Ce sont des choses qu'on savait, que certains espéraient mais l'actualité en a fait la démonstration. Il est clair que le développement exponentiel du transport aérien tel qu'il était prévu avant la crise n'est pas compatible avec l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. Dans un autre registre, les circuits courts d'approvisionnement de denrées alimentaires ont beaucoup fonctionné. J'espère sincèrement qu'on est au seuil d'une réelle transformation de nos vies


Cette crise a-t-elle mis au premier plan la question des inégalités, des solidarités et de l'interdépendance de nos sociétés? 

C'est un moment privilégié pour réfléchir à notre avenir. Cette crise est sanitaire, économique, écologique mais c'est aussi une crise de civilisation. On doit en profiter pour repenser notre modèle de développement dont on sait qu'il n'est pas viable sur le long terme. Le virus a mis en lumière nos fragilités dans des proportions qu'on n'imaginait même pas.

C'est un autre mode de société moins inégalitaire qu'il faut mettre en place. Le réchauffement climatique risque d'accroitre les injustices. Ce sont les plus vulnérables qui en souffriront en premier. En économie c'est pareil. L'ultra-libéralisme et la mondialisation à tout crin ont montré leurs limites.
La crise a relancé la question des relocalisations notamment dans le domaine de la santé. C'est vrai aussi en ce qui concerne les énergies renouvelables puisque une grande partie des matériaux proviennent de Chine. Cela freine leur développement en France et en Europe. Il y a, à certains égards, une convergence entre ce que l'on devrait faire pour mieux se préparer à la prochaine crise sanitaire et ce qu'il faut mettre en place pour affronter la crise climatique. L'urgence climatique est aussi importante que l'urgence sanitaire. Il faudrait 20 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour accompagner la transition écologique. C'est ce que l'état débloque chaque semaine, à juste titre, pour faire face à la crise du Covid-19


Après cette période de confinement, comment penser la relation avec les autres? Quel sera l'impact des gestes barrières et de distanciation sociale? 

La relation aux autres sera sûrement différente. J'aime bien le contact. Et là, il va falloir faire attention, être prudent, porter un masque, respecter les gestes barrières. Moi qui suis fragile, je vais éviter les transports en commun, limiter mes déplacements pendant encore quelques semaines. On a envie de revenir à la vie normale mais ça ne va se faire tout de suite. 

Ce que l'on a vécu nous a peut-être fait perdre un peu de notre insouciance. Je fais partie de la génération des Trente Glorieuses née après la guerre pour qui la vie a été facile. Je n'ai jamais eu du mal à trouver un emploi. Pour ceux qui vont arriver maintenant sur le marché, ça va être très compliqué. Je m'en rends compte. La crise actuelle s'ajoute à la crise climatique. J'essaie de dire cette urgence, de témoigner, de m'investir y compris politiquement. Il y a des signes encourageants. 


Qu'est-ce qui vous a manqué le plus pendant le confinement? Quelle sera votre priorité lors du déconfinement? 

On a sept petits enfants avec qui on a gardé un contact par skype mais on aimerait les serrer dans nos bras. Est-ce que l'on pourra bientôt revoir nos amis, aller au cinéma, au théâtre? En tout cas, on ne prendra pas de risque. On respectera les règles de distanciation sociale même si ce n'est pas facile. Le marché d'Aligre en bas de chez moi, c'est une foule joyeuse, mais c'est clair, je n'y retournerai pas tout de suite. En revanche, j'ai hâte de retrouver la Bretagne. Ce ne sera pas avant le mois de juillet. Nous irons passer nos vacances à Janzé puis dans le sud Finistère. C'était prévu avant la crise. Et j'espère que ça ne changera pas!
 
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