Lucas Bosseboeuf a choisi la rade de Brest pour son sujet de thèse. Il veut en retracer l'histoire écologique et sociale. Le jeune chercheur a besoin de la mémoire collective et lance un appel aux Brestois "pour qu'ils fouillent leurs souvenirs et leurs placards". Rencontre
La rade s'offre à son regard à chaque fois qu'il pousse la porte de l'Institut universitaire européen de la mer (IUEM) de Plouzané, dans le Finistère. Un bureau avec vue, ou presque, pour Lucas Bosseboeuf, jeune doctorant de 27 ans qui, depuis quelques mois, planche sur son projet de thèse.
Durant les trois prochaines années, la rade de Brest sera son seul et unique terrain de recherche dans son aspect écologique mais aussi social. Lucas, historien de formation, va remonter le temps pour retracer l'évolution de la pêche, des espèces marines, la vie des hommes, depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. La rade, dans ce qu'elle a de visible et d'invisible à l'oeil, "car l'un sans l'autre n'aurait pas de sens" remarque-t-il.
Appel à la mémoire brestoise
HistoRade - c'est le nom du projet - est né dans la tête de son co-directeur de thèse, Yves-Marie Paulet. Le biologiste marin de l'IUEM avait amorcé le travail en 2019. Lucas Bosseboeuf, arrivé de Poitiers après son master d'histoire maritime, reprend le flambeau et mène une première étude. "Elle s'arrête à l'année 1960, souligne-t-il. Ma thèse ira plus loin".
J'ai déjà reçu pas mal de vieilles photos et cartes postales, des témoignages, etc. Les gens fouillent dans leurs souvenirs et leurs placards
Lucas Bosseboeuf
Et comme le jeune doctorant souhaite écrire l'histoire collectivement, il fait donc appel à la mémoire brestoise. Celle des pêcheurs et anciens pêcheurs professionnels mais aussi celle des simples habitants. "C'est ouvert à toutes et tous, sans limite, indique Lucas. J'ai déjà reçu pas mal de vieilles photos et cartes postales, des témoignages, etc. Les gens fouillent dans leurs souvenirs et leurs placards".
A l'instar de Jean-Claude Meudec, ancien ouvrier du port de Commerce de Brest et collectionneur de cartes postales anciennes, qui a prêté une série de 52 iconographies, ainsi que le montre Lucas Bosseboeuf sur la page Facebook du projet.
"Peu de traces écrites sur la rade de Brest"
Depuis qu'il a plongé littéralement dans le sujet, Lucas Bosseboeuf constate qu'il existe peu de traces écrites et de littérature sur la rade de Brest. "Il y a quelques petits ouvrages, en édition limitée, rédigés par des acteurs locaux, dit-il, comme ceux de Bernard Cadoret (l'un des fondateurs de la revue Chasse-Marée, NDLR), sur lesquels je m'appuie évidemment pour travailler".
Cette thèse a mis la fille d'un ancien pêcheur de Plougastel sur la route du chercheur de l'IUEM. Marie-Annick Guivarc'h lui a confié des photos de famille. Mieux : elle est devenue l'une des chevilles ouvrières du projet car c'est avec elle que Lucas prépare une collecte mémorielle qui interviendra dans les prochaines semaines. "On est en train d'organiser une réunion avec des pêcheurs en activité et à la retraite, pour qu'ils nous racontent comment ils pêchaient autrefois, comment leur métier a évolué".
Une "pêche cadenassée"
Lucas Bosseboeuf articule son projet autour de trois questions : l'apparition et la disparition des espèces marines ; pourquoi sont-elles apparues ou ont-elles disparu et, enfin, comment les sociétés littorales réagissent-elles. "Est-ce qu'elles s'adaptent ou est-ce que l'économie locale s'effondre, exemple avec la sardine à Douarnenez" interroge-t-il.
En regardant de plus près la frise chronologique, l'historien maritime constate que "plus ça va, plus la pêche est cadenassée en rade de Brest parce que les ressources en poissons et autres coquillages ont diminué".
Il cite l'exemple de l'huître plate, ramassée sans aucune restriction jusqu'au XIXe siècle, "dont la pêche sera encadrée après la Seconde guerre mondiale. On pouvait la pêcher pendant quelques heures et les bateaux autorisés à le faire étaient même tirés au sort" relate-t-il.
Du phare du Minou jusqu'à l'Elorn, Lucas Bosseboeuf s'apprête à explorer 180 km2 de mer et les terres alentour. Et compte sur vous pour l'épauler.