Le restaurant Cuisine du monde II fermera ses portes à la fin du mois de mai. Pendant 6 mois il a été entièrement géré par des personnes souhaitant créer leur propre établissement. Une expérience grandeur nature qui participe à leur épanouissement.
« Il nous reste quoi à faire ? le riz pour toi, préparer la marmite pour faire frire les nems et les desserts à surveiller ». L’heure du service approchant, Philippe fait un point d’étape avec l’équipe. Le chef cuistot garde un œil sur tout ce qu’il se passe en cuisine mais lui en fait un minimum. En réalité Philippe Aragou Le Bris est là pour encadrer la brigade de cuisiniers.
Suivant les jours ce sont Solène, Amy, Jean ou Fatoumata qui peuvent être aux manettes. Suivant les jours ce sera blanquette de poulet au bleu, rougaille saucisse ou thiébou yap guinar, une spécialité sénégalaise. Le menu proposé par le restaurant Cuisine du monde II change chaque jour. Ici chacun propose une recette pour une entrée, un plat ou un dessert et le groupe choisit collectivement ce qui sera à la carte la semaine suivante.
Car l’établissement est un peu particulier. Cuisine du monde II est en fait un restaurant coopératif éphémère. Hébergé au centre social de Pontanézen dans la salle Atalante il a une durée de vie de 6 mois, la durée du contrat qui lie chacun des coopérants à Chrysalide 29, la coopérative d’activité et d'emploi du Finistère.
Une expérience professionnelle sérieuse
Depuis décembre 2020 ils sont 13 à tourner sur tous les postes de l’entreprise : élaboration des menus, cuisine, gestion des approvisionnements, plonge, réservations, service aux clients mais aussi établissement du prix de vente, calcul de la marge et comptabilité.
« C’est vraiment très intéressant » réagit Fatoumata. Originaire du Burkina Faso, Fatoumata gérait une chambre d’hôte dans son pays. Depuis 2015 elle est installée à Brest. Après avoir travaillé dans la restauration en tant qu’intérimaire elle a désormais le projet de monter son propre restaurant: « Au Burkina je faisais comme je pouvais. Ici j’ai appris ce qu’était une étude de marché, la comptabilité, la gestion des stocks et des réservations. En plus j’ai découvert plein de recettes auprès des autres coopérants comme les samoussas, les bouchons de la réunion, ou les lentilles des Comores. Dans mon restaurant j’ai envie de proposer une cuisine mixte»
Pour Solène, qui a un diplôme de crêpière en poche, le bilan est aussi positif : « Nous avons épousé le costume d’entrepreneur et avons gagné en autonomie. Nous apprenons et nous nous améliorons dans tout ce qui concerne la gestion de la coopérative ».
Le projet a été lancé par l’association ADESS (Association pour le développement de l’économie sociale et solidaire) de Brest en 2019. L’idée consiste à accompagner des personnes qui ont un projet professionnel dans la restauration en leur proposant de se mettre dans la peau d’un patron. Ainsi pendant 6 mois les coopérants ont la responsabilité de faire fonctionner le restaurant comme s’il s’agissait de leur propre affaire.
« L’idée ce n’est pas forcément d’en faire des chefs d’entreprise. C’est de leur montrer ce qu’est la réalité du métier et de les confronter à cette réalité. Ici on leur donne l’espace pour mesurer la prise de risque »
Un projet d’émancipation
Si la majorité des coopérants sont en recherche d’emploi ou au RSA, l’Adess se défend de faire de l’insertion. « Nous faisons avant tout de « l’empowerment », de l’émancipation professionnelle et personnelle » explique la chargée de mission de l'ADESS.
Grâce aux nombreux partenariats tissés avec les structures de l’économie sociale et solidaire, les structures d’accompagnement à l’emploi, la Région Bretagne et la ville de Brest, l’association porteuse du projet a réussi à trouver les financements et le statut adéquat pour garantir aux coopérants un contrat payé pendant 6 mois.
Après ces quelques mois aux commandes du restaurant Solène, Fatoumata, Jean et les autres ont acquis une sérieuse expérience. Pour certains elle leur a permis de confirmer leur projet de création d’entreprise, pour quelques uns elle a été l’occasion de réaliser qu’ils préféraient rester salariés, d’autres enfin se sont découvert de l’appétence pour des domaines d’activité différents, comme le marketing ou le numérique.
« Pour nous c’est réussi. Notre objectif était de proposer un outil de coopération, de mobiliser l’intelligence collective et de participer ainsi à l’émancipation professionnelle et personnelle des coopérants. C’est une très belle aventure humaine que nous avons partagée. Le bilan est positif » conclut Carine Sola.
L’association Adess espère pouvoir pérenniser le dispositif avec un public renouvelé tous les 6 mois.