C’est un rapport très inquiétant qu’ont publié début mai des scientifiques appartenant au groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité. Dans les prochaines décennies, un million d’espèces sur les 8 millions que compte la planète pourrait disparaitre de la surface.
Plantes ou animaux, beaucoup sont menacés par notre mode de vie. En Bretagne ou dans les Pays de la Loire, des programmes de conservation ont été mis en place pour certaines espèces, comme la mulette perlière.
C’était une espèce que l’on trouvait autrefois en abondance dans les cours d’eau de l’hexagone et notamment en Bretagne : la mulette perlière, une moule d’eau douce capable de produire une perle de nacre dans sa coquille. Exploitée pour ses perles jusqu’au milieu du XXème siècle, elle a ensuite été victime de la détérioration de la qualité des eaux : les pratiques agricoles et certains phénomènes climatiques comme les tempêtes ont apporté trop de sédiments. Conséquence : en 50 ans, les scientifiques estiment qu’entre 80 et 99% des mulettes ont disparu. Il n’en resterait plus qu’une centaine de milliers dans toute la France, principalement en Bretagne (15 000 individus), Normandie et dans le Massif Central. En Europe, leur déclin est tout autant inquiétant : seules la Scandinavie, la Russie et l’Irlande sont parvenues à conserver des populations significatives.
La mulette, une espèce en danger critique
Pierre-Yves Pasco qui travaille pour l’association Bretagne Vivante, est l’un des spécialistes français de la mulette perlière. Il connait bien la situation des rivières bretonnes :
« Aujourd’hui, on trouve des mulettes dans une quinzaine de cours d’eau comme la Bonne Chère, dans le Morbihan, et l’Elez, dans le Finistère. Mais les individus que l’on trouve sont âgés. Ils n’ont pas réussi à se reproduire depuis 20, 30 ou 40 ans. » Et leur survie n’est pas garantie malgré les efforts faits depuis une dizaine d’années sur le bassin versant pour supprimer les sources potentielles de pollution.
Alors depuis 2010, Bretagne Vivante et la Fédération de pêche du Finistère ont décidé de réagir. Grace au programme LIFE (1), ils ont pu financer une station d’élevage à Brasparts dans le Finistère (coût : environ 500 000 euros). Deux millions d’euros supplémentaires ont servi au programme de conservation jusqu’en 2016, en Bretagne mais aussi en Normandie. Puis en 2017, c’est un « Plan National d’Actions en faveur de la mulette perlière » (2) qui s’est substitué au programme LIFE. Il bénéficie de 100 000 euros de budget chaque année. De quoi entamer un travail de fourmi qui commence à peine à porter ses fruits.
Une station d’élevage unique
A Brasparts, la station d’élevage, gérée par la Fédération de Pêche, est unique en France. Durant l’été, des larves de mulettes sont prélevées dans les rivières. Comme en milieu naturel, elles vont, pendant une année, coloniser les branchies de jeunes truites élevées dans les bassins de la station (environ un millier de larves par poisson). C’est ce qui leur permet de se développer.
"Au bout d’un an, les larves qui mesurent pas plus de 300 microns, sont collectées grâce à des filtres puis déposées dans des bacs ou elles seront élevées pendant six ou sept ans avant d’être réintroduites dans le milieu naturel", explique Pierrick Dury, le responsable de la station d’élevage.
S'il existe une quinzaine de stations d’élevage de mulettes en Europe, la station de Brasparts est la seule en France et fait aujourd’hui figure de référence. Environ 100 000 moules sont élevées ici et depuis 2017, quelques centaines de jeunes moules ont pu retrouver l’eau fraiche de l’Elez ou du Loch. Des spécimens ont été placés dans des sortes de boites témoins qui permettent de contrôler leur développement et pour l’instant, l’expérience semble concluante même si il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir réellement évaluer l’expérimentation.
Malheureusement, la pérennité de ce programme de conservation n’est pas garanti pour une question de financement. Depuis cette année, l’Agence de l’eau a considérablement réduit ses aides pour la conservation de la biodiversité. Il pourrait manquer 50 000 euros fin 2019 et autant fin 2020. Pas sûr dans ces conditions que le programme puisse se poursuivre dans le temps.
Un reportage de Isabelle Rettig, Jean-Michel Piron, Céline Dupeyrat, Antoinette grall et Tanguy Descamps
Un état des lieux alarmant
Pourtant, les menaces qui planent sur la biodiversité n’ont jamais été aussi graves. Les scientifiques le reconnaissent : on pourrait s’acheminer vers la 6eme extinction de masse : insectes, oiseaux, poissons, mammifères, fleurs ou plantes… de nombreuses espèces sont menacées.
En Bretagne, l’Observatoire de la Biodiversité a, dès 2015, dressé une liste rouge des espèces menacées. Sur 1798 espèces étudiées, près de 350 ont déjà disparu ou pourraient disparaitre dans les prochaines décennies : 79 espèces d’oiseaux, nicheurs ou migrateurs, 24 espèces de papillons, 9 espèces de mammifères comme le castor ou le grand rhinolophe (une chauve-souris), 8 espèces de reptiles, poissons, crustacés, ou mollusques comme la mulette perlière.
Quant au Conservatoire de Botanique basé à Brest, il estime dans une étude récente que 271 espèces de plantes et fleurs sauvages sont menacées en Bretagne. Une quarantaine aurait déjà totalement disparues ces dernières années.
François Siorat, chef de projet biodiversité à l’Observatoire de l’Environnement explique ces menaces par plusieurs facteurs : « Il y a un problème d’habitat. Les hirondelles, par exemple ont du mal à trouver des endroits pour accrocher leur nid. Il y a aussi de moins en moins de réserve alimentaire, des insectes notamment ». A cela s’ajoute l’urbanisation, la déforestation, l’agriculture intensive ou la surpêche.
Il ne faut pas négliger non plus l’arrivée de nouvelles espèces, les espèces invasives qui ont remplacé les espèces locales. « C’est un symptôme : les espèces invasives prolifèrent d’autant mieux quand le milieu naturel est en mauvais état. C’est plus facile pour elles de s’implanter et de modifier l’écosystème. Si les milieux étaient en meilleure santé, toutes ces espèces comme le frelon asiatique ou l’herbe de la pampa auraient beaucoup plus de mal à rester chez nous », précise François Siorat.
Pour autant, les chercheurs se veulent optimistes. On peut encore inverser la tendance en modifiant nos pratiques rapidement et durablement. Faut-il encore en avoir la volonté, que ce soit à l’échelle mondiale ou régionale. L’avenir de la biodiversité est entre nos mains !
(1)Le programme LIFE était cofinancé par la Commission Européenne (50%), l’Etat (32%), l’Agence de l’eau Seine-Normandie (9%), les régions Bretagne et Normandie (7%), les départements du Finistère et de la Manche (3%)
(2) Cofinancé par la Commission Européenne (30%), l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne -35%), l’Etat (5%), les départements du Finistère et des Côtes d’Armor (8%), autres (22%)