Il y a encore 5 ans, la vie de Serge Le Roux ne tenait qu'à un fil, tant ses poumons étaient abîmés par la maladie. Grâce à un don d'organes, il a bénéficié d'une double transplantation pulmonaire. Il veut rendre aujourd'hui au centuple ce nouveau souffle qui lui a été offert. Article initialement publié le 22 juin 2022, remis à jour à l'occasion de la journée nationale de réflexion sur le don d'organe et la greffe 2023.
Renaissance. Serge Le Roux affectionne particulièrement ce mot. Il lui vient d'ailleurs naturellement dès qu'il évoque la double transplantation pulmonaire qui lui a rendu sa vie.
Quand nous nous retrouvons, à Brest, l'homme s'excuse de sa petite forme. "Le Covid m'a attrapé deux fois" dit-il. Et la deuxième salve, en mars, fut carabinée : six semaines en réanimation à l'hôpital, une période de coma. Trois mois plus tard, Serge est sur pied mais fatigué. "Avec ce fichu virus, j'ai le sentiment de faire un bond en arrière".
"A l'arrêt"
Derrière les lunettes à monture orangée, le regard mesure, en silence, le chemin parcouru depuis ce jour de 2018 où il apprend qu'il doit subir une greffe. "Vu mon état, il n'y avait pas d'autre solution". Ses poumons sont usés par un emphysème "à un stade avancé". Le moindre effort le met à bout de souffle. Il vit au ralenti. "J'étais même parfois à l'arrêt, se souvient-il. Pour monter à l'étage de ma maison, j'avais besoin d'au moins trois pauses dans l'escalier".
Je ne saurai jamais vraiment pourquoi ce truc m'est tombé dessus
Serge Le Roux
Le Finistérien - qui, pendant plus de vingt ans, s'est occupé de construire des bateaux sur le chantier naval qu'il a créé à Saint-Pol-de-Léon - se demande parfois si les poussières et solvants respirés quand il travaillait n'auraient pas grignoté ses bronches. "C'est mon hypothèse, note-t-il, mais je ne saurai jamais vraiment pourquoi ce truc m'est tombé dessus".
Ce 'truc' est arrivé sans signes avant-coureurs. Ou tout au moins rien d'alarmant pour cet homme au passé d'asthmatique. Pendant l'été 2016, il se sent épuisé. Il vend son chantier de construction navale quelques mois plus tard. La retraite a sonné et avec Claude, sa femme, ils décident de faire un petit voyage pour les vacances de Noël. "Et là, plus de son, plus de lumière, confie Serge. Je marchais dix mètres, j'étais cuit".
Attente
Retour à Saint-Pol-de Léon. Premiers rendez-vous avec un pneumologue qui finit par orienter Serge vers le service de réhabilitation respiratoire de Plougonven, près de Morlaix. Il souffre d'une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO).
Un an plus tard, un scanner révèle que l'état de ses poumons s'est considérablement dégradé. La BPCO se double d'un emphysème qui gagne du terrain. "C'est à ce moment-là que l'on m'annonce que j'ai besoin d'une double greffe" relate Serge Le Roux, lequel entame alors un très long parcours émaillé de bilans et examens médicaux pour savoir si son corps encaissera cette transplantation.
C'est l'hôpital Foch, à Suresnes, qui le prend en charge. "J'avais peur qu'on lui dise que ce ne serait pas possible, témoigne Claude. Nous n'avions plus de vie, je voyais bien qu'il faisait semblant d'être en forme quand je rentrais du travail. Il se mettait debout, l'air de rien, alors que je me doutais qu'il avait passé la journée assis voire allongé".
Serge obtient le feu vert des médecins et est inscrit sur la liste nationale d'attente gérée par l'Agence de la biomédecine. Il faut trouver un donneur d'organes compatible. Cette attente peut se compter en semaines ou en mois.
"Un miracle"
Le 23 mai 2019, Serge Le Roux reçoit un appel de Paris. Depuis qu'il est sur liste d'attente, les valises sont prêtes. La sienne et celle de Claude qui vient juste de partir à son cours de yoga lorsque le téléphone sonne. "Il était 18h précises, j'étais chez moi. Ça été un peu la panique à bord car je devais être à Foch avant minuit. J'ai appelé ma femme : 'il faut qu'on se barre, il y a des poumons compatibles'. Elle est rentrée dare-dare mais on a perdu du temps à cause d'un imbroglio avec l'ambulance censée m'emmener à Paris".
Claude se remémore le pic de stress, l'horloge qui égrène les minutes, l'ambulance qui n'arrive pas. Le départ finalement de Saint-Pol et l'entrée à l'hôpital à 23h55.
Serge évoque sa "trouille" avant l'opération mais aussi sa "confiance totale" en l'équipe médicale. Le chirurgien qui va pratiquer cette double transplantation pulmonaire l'a prévenu. "Il m'a dit que j'allais me prendre un camion dans la gueule. Et c'est vrai. Sauf qu'il ne m'avait pas précisé que le camion, il allait me broyer la poitrine plusieurs fois par jour ensuite".
Et puis survient ce moment où Serge, vite remis debout par les soignants, respire à pleins poumons. "Cette sensation, je ne l'oublierai jamais. Je me suis rendu compte que je pouvais marcher sans être essoufflé. Un miracle".
Militer pour le don d'organes
L'homme, aujourd'hui âgé de 61 ans, va mettre un an à se reconstruire. Et cogiter beaucoup au don d'organes. Jusque-là, il n'avait pas éludé la question. Il n'y avait pas forcément réfléchi.
J'aurais pu me dire 'c'est bon, j'ai eu ma greffe, je passe à autre chose', mais ce serait trop facile
Serge Le Roux
Le sentiment de gratitude vis-à-vis du donneur - dont il ne sait rien ni s'il s'agit d'un homme ou d'une femme -, de la famille qui ne s'est pas opposée au prélèvement d'organes, ne le quitte pas. "J'aurais pu me dire 'c'est bon, j'ai eu ma greffe, je passe à autre chose', mais ce serait trop facile. Je veux sensibiliser les gens à l'importance du don" indique-t-il.
Il décide de remonter l'association pour le don d'organes et de tissus humains (ADOT) dans le Finistère. Elle est en sommeil depuis quelques années. Il mobilise autour de lui, ses enfants, les amis, etc.
Bien que la carte de donneur n'ait aucune valeur légale en France, Serge et Claude préfèrent en avoir une dans la poche. "C'est un geste militant et une démarche volontaire que de l'avoir sur soi. Au moins, cela évite tout questionnement par la suite".
La loi française indique, depuis 1976, que nous sommes tous donneurs d'organes à notre mort, sauf si nous avons exprimé notre opposition de notre vivant, soit auprès de nos proches soit par une inscription au registre national des refus. "Il y a toujours des familles qui disent non, même si la personne décédée était d'accord, observe Claude. La carte, ça simplifie les choses. C'est un 'oui' que je trouve plus clair".
Un décès peut sauver de nombreuses vies"
Serge Le Roux
La 23e journée nationale de réflexion sur le don d'organes se déroule ce 22 juin 2023. Une date qui mobilise Serge et les membres de l'ADOT 29. Si, en 2022, ils ont embarqué pour un Tour de Bretagne des greffés à vélo, cette fois, ils planteront symboliquement "un arbre de vie" à Lampaul-Plouarzel, une douzaine d'autres le seront dans le Finistère d'ici la fin de l'année. "C'est notre manière de remercier les donneurs et de sensibiliser au don d'organes. Il faut en parler, martèle Serge. C'est un sujet délicat car il touche à la mort mais un décès peut sauver de nombreuses vies" .
La sienne ne tenait qu'à un fil. Aujourd'hui, il en savoure chaque moment et entend bien réaliser quelques-uns de ses rêves. Il raconte ce voyage immobile sur le fleuve Zambèze qu'il avait effectué depuis son lit d'hôpital, à la faveur d'un documentaire diffusé à la télévision.
Il s'était juré qu'en sortant de l'ornière, il partirait faire cette croisière en Afrique australe avec Claude et leurs trois enfants. Le départ est prévu cette année. "Ça va être à couper le souffle" sourit celui qui, avec ses poumons tout neufs, entame sa deuxième vie.