TEMOIGNAGE. Brest. "Qu'on arrête de parler de Pontanézen sans savoir de quoi on parle"

Le quartier brestois de Pontanézen compte 3.000 habitants qui ne cachent pas leur lassitude de voir l'image de leur quartier réduite à la violence urbaine. "Surtout, disent-ils, que ces incidents sont le fait d'une minorité". Anna et Louisa vivent ici depuis plus de trente ans. Elles ont accepté de témoigner.

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En ce lundi matin, le centre socio-culturel Horizons s'éveille doucement.  Quelques retraitées poussent la porte pour suivre un cours de taï-chi. Des mamans déposent leurs enfants à la halte-garderie voisine. 

Cette structure du quartier brestois de Pontanézen a pignon sur rue et développe des actions "au service des habitants". Le 'vivre ensemble' n'est pas qu'une vue de l'esprit ici. Le 'faire ensemble' borne également le projet associatif. Un lieu repère qu'Anna (prénom d'emprunt) a choisi pour me rencontrer.  

Elle arrive, un peu sur ses gardes. Puis nous filons vers une salle abritée des regards. Cette femme accepte de parler sous le sceau de l'anonymat. "J'ai peur des représailles, confie-t-elle d'entrée de jeu. Pas pour moi. Mais pour mes enfants". 

"Ce n'est pas à moi de partir"

Anna vit à Pontanézen depuis trente ans. Elle a 45 ans et est mère de quatre enfants. Chez elle, les émotions sont mêlées. Elle est partagée entre un sentiment de sécurité et d'insécurité. Malgré les violences qui viennent percuter le quotidien des habitants, comme en janvier dernier, elle ne quitterait ce quartier pour rien au monde.  "Ce n'est pas à moi de partir. Ce sont ceux qui mettent le bazar qui doivent s'en aller. A Ponta, il fait bon vivre, on a tout ici et la solidarité existe".

Je me tais et je ne le vis pas bien car j'ai l'impression d'être complice

Anna, habitante de Pontanézen

Elle reconnaît que depuis "deux ou trois ans", cette impression d'insécurité est plus vivace. "En fait, analyse-t-elle, c'est quand j'ose dire que je me sens en insécurité. Alors, je ferme ma bouche pour protéger mes enfants". Et, désormais, elle passe son chemin au lieu d'intervenir. "Aujourd'hui, on n'a plus le droit de faire une remarque. Je me tais et je ne le vis pas bien car j'ai l'impression d'être complice" admet-elle.

"Trop souvent stigmatisé"

En trente ans, Anna a vu Pontanézen évoluer. "En bien puisqu'il y a quand même eu toute une opération urbaine qui a permis d'améliorer le cadre de vie". Et de désenclaver le quartier avec, notamment, l'arrivée du tramway en 2012.

Pour le reste, elle est plus sceptique. "Mes petits frères, ils ont grandi ici, relate-t-elle. Ils jouaient au pied des immeubles et mes parents n'étaient pas obligés d'avoir le nez collé à la fenêtre pour les surveiller. L'époque a bien changé".

Elle déplore que le quartier soit "trop souvent stigmatisé". Avant d'ajouter : "on ne se voile pas la face non plus sur les problèmes qui sont le fait d'une minorité".

Elle tient à citer en exemple ces jeunes qui, au moment du ramadan l'année dernière, ont passé leur journée à cuisiner dans les locaux du centre social pour aller ensuite distribuer des repas aux sans-domicile-fixe. "De cela, les journaux n'en parlent pas. Ils ne s'intéressent à nous que quand il y a des émeutes. Ce qui revient à laisser le pouvoir à cette minorité qui ruine notre tranquillité".

"Etiquette collée"

Après les violents incidents de janvier, cinquante-six jeunes ont décidé de prendre leur plume et signé une tribune dans laquelle ils regrettent "la généralisation et l'amalgame faits par les médias". Ils évoquent la stigmatisation dont ils sont victimes. "Etre un jeune de Ponta, aujourd’hui, c’est avoir une étiquette collée, qui impacte notre CV et inconsciemment certains citoyens brestois ont une image prédéfinie de la jeunesse issue de quartier populaire" écrivent-ils.

Pour les jeunes, être de Ponta sonne comme une condamnation à l'extérieur

Louisa Bouraya, association ICI Femmes d'Europe et d'ailleurs

Louisa Bouraya, qui a fondé l'association I.C.I Femmes d'Europe et d'ailleurs, est une figure du quartier. Quand les gamins la croisent, ils la saluent d'un "bonjour, Tata". Elle aussi déplore la stigmatisation et constate que "pour les jeunes, être de Ponta sonne comme une condamnation à l'extérieur. T'es de Ponta, t'es forcément un délinquant ! Voilà comment on résume leur vie. Pour réussir, ils doivent s'accrocher deux fois plus que les autres".

Lieu de vie, lieu social

Cette femme de 68 ans, n'est pas du genre à tourner autour du pot. "On me reproche parfois mon franc-parler" sourit-elle. Ce quartier, elle le connaît comme sa poche, l'aime viscéralement et garde toujours sa porte ouverte "à ceux qui ont besoin d'aide".

Elle accompagne bénévolement depuis trente-sept ans les familles en difficulté. Et veille à l'émancipation des femmes et des jeunes. "Pontanézen, c'est un lieu de vie et un lieu social, remarque-t-elle. Mais il est clair qu'il existe ici des mômes qui, dès leur plus jeune âge, n'ont aucun cadre éducatif. Et c'est un vrai problème, ces parents qui laissent faire. Ils ne baissent pas les bras, ce n'est même pas la question. Ils laissent faire parce que c'est dans leur nature"

Anna acquiesce. Elle, elle est plutôt "à cheval" sur l'éducation. "Mes enfants ne traînent pas le soir, ils connaissent les limites et je leur fais confiance"

Dans ce quartier brestois, qui compte 3.000 habitants, les périodes d'accalmie alternent avec les flambées de violence. "Ça a toujours été comme ça, observe Louisa. Pour les plus petits, cette violence n'est pas bonne. C'est un environnement qui peut effectivement faire basculer les plus fragiles du mauvais côté. Ils vont devenir guetteurs pour le trafic de drogue, se faire de l'argent facile, etc. C'est une réalité qu'il ne faut pas nier"

La militante associative se bat contre "les esprits simplistes" qui versent dans "la caricature", "parce que, note-t-elle, c'est destructeur pour la grande majorité des habitants. Qu'on arrête de parler de Ponta sans savoir de quoi on parle !".

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