Détesté par les uns compte tenu de sa voracité, prisé par d'autres pour le marché économique qu'il peut représenter, le poulpe a fait son grand retour, dans le Finistère notamment, alors qu'il avait disparu dans les années 60 des eaux bretonnes. Cela n'est pas sans conséquence sur le reste des espèces. Le récit de cette invasion marine est à découvrir dans le magazine "La mer est ronde"
Le poulpe a une vie marine fascinante. Il est connu depuis longtemps pour sa capacité d’adaptation et son intelligence. Depuis 2020, il est revenu en force dans les eaux bretonnes, dans un premier temps au sud de l’archipel des Glénans. Ces derniers mois, il est surtout visible en mer d’Iroise et dans le Finistère nord.
Le phénomène a pris une telle ampleur que le comité régional des pêches a dû instaurer une licence pour la capture du poulpe dans le Finistère. Actuellement, 300 bateaux ont demandé le sésame pour prendre leur part dans ce nouvel eldorado. Le retour de l’animal a signé l’ouverture d’un marché d’export vers l’Espagne.
La ruée vers l'or
Hoël Carof, décharge sa cargaison sur la cale. Ses doigts sont maculés d’encre. Comme beaucoup de ses confrères, il s’est mis à cibler les poulpes au début de l’automne 2022. « Ça a été très rapidement la folie avec beaucoup de bateaux sur zones. C'est vrai que c'était impressionnant de voir la masse de poulpes qu'il y avait dans le fond." Ses caissons s’entassent sur le ponton, débordant de tentacules. Une aubaine! Contrairement à d'autres espèces marines, le prix du poulpe reste constant. Il a donc été perçu à la criée de Concarneau comme une "ruée vers l'or" offrant à certains pêcheurs un chiffre d’affaires conséquent.
Mais en parallèle, d’autres espèces se retrouvent décimées par cette prolifération de poulpe : « C’est un prédateur redoutable. Il peut rafler les coquillages, les coquilles en un temps record » précise Julien Dubreuil.
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Une conséquence du réchauffement des océans ?
La pieuvre commune, Octopus vulgaris, aime surtout les eaux chaudes. Sa prolifération rapide en Bretagne peut donc paraître surprenante de prime abord. Serait-ce une conséquence directe des effets du réchauffement des océans ? L’hypothèse est tentante, mais on n’en a aucune preuve.
À la station marine, Samuel Iglésias, ichtyologue spécialiste des organisations spatiales en milieu marin ne croit pas à un scénario catastrophe. Ce n’est pas une arrivée, mais un retour, puisque les poulpes étaient déjà présents en Bretagne dans le passé. En fouillant dans les archives de la station, il retrouve des films de 1920 où l’on observe des poulpes ramassés sur l’estran en quantité importante. Il semblerait que cette espèce était très présente avant le fameux hiver 1960. Un hiver très rude où la glace se formait sur le bord de mer. 45 jours de températures arctiques. Le poulpe a alors presque complètement disparu du littoral breton.
Toujours à la station marine, Guillaume Massé collecte des données sur le poulpe. Il étudie l’importance de l’implantation de l’animal sur la zone Concarneau Glénan. Les captures ont progressé ici plus qu’ailleurs, avec plus de 1200 tonnes pêchées en 2022. Ce biologiste marin spécialiste des zones arctiques voit dans ce déséquilibre un signe comme un autre des grandes modifications que notre mer est en train de vivre: « C’est plus compliqué d’évaluer les changements au niveau marin car l’océan est moins accessible. Et puis il a une certaine inertie par rapport au milieu terrestre… Mais les céphalopodes sont des prédateurs voraces, qui s'adaptent facilement, notamment grâce à une croissance rapide et une durée de vie relativement courte.
Une espèce volatile
Qu’en est-il aujourd’hui en avril 2024 ? Le vent semble déjà tourner pour cet étrange animal. L’invasion marine a perdu de son intensité ou elle s’est en tout cas déplacée :
"Le poulpe est très volatil. On a observé le même phénomène qu’en Bretagne dans plusieurs zones dans le monde comme en Mauritanie" précise Julien Dubreuil, biologiste et sécrétaire général adjoint au comité régional des pêches. « Il s’installe un temps donné dans un territoire mais forcément, quand il a épuisé l’essentiel de sa nourriture, il disparaît. Avec les prises conséquentes qu’il y a eu ces trois dernières années autour de l’archipel des Glénans par exemple, le stock a fini par diminuer ».
Dans le Finistère, pêcheurs et scientifiques commencent à réfléchir à la mise en place d'une fermeture de la pêche durant certaines périodes.
Retrouvez l'intégralité du reportage réalisé par Sébastien Thiébault dans le 1er numéro de la collection magazine "La mer est ronde" sur france.tv.