Ecrivains, artistes, scientifiques bretons, ces "grands témoins" nous racontent ce que la pandémie a changé et comment ils envisagent le monde d'après. La chanteuse Nolwenn Korbell, confinée dans sa maison à Douarnenez partage ses questionnements et ses espoirs.
J'avoue qu'il y a eu des hauts et des bas. Je suis restée chez moi, à Douarnenez, où je vis seule. La solitude, quand elle est choisie, c'est bien mais là, quand on en a assez et qu'on ne peut pas sortir voir des gens... J'attendais aussi des réponses pour mon travail. J'ai appris, pendant le confinement, l'annulation du festival d'Avignon où je devais jouer pour la première fois avec une création de Pauline Ribat, "Dans les cordes". Puis a suivi celle du Festival Interceltique de Lorient où j'étais progammée également. Quand les perspectives de travail s'envolent les unes après les autres, on attrape de gros coups de blues.
Comment avez-vous vécu le confinement?
Dans ce genre de métier, on a besoin de projets pour trouver l'envie de créer. Pendant les quatre premières semaines, j'étais incapable d'écrire alors que je pensais au début profiter de tout ce temps. J'avais sorti toutes mes guitares, tous mes cahiers de chant. Tous les jours j'étais prête. Et je n'y arrivais pas. Il n'y avait pas la serenité qui donne l'élan pour écrire. Au contraire, c'était presque un début de déprime. Au bout d'un moment, je me suis dit : soit tu continues à sombrer ou soit tu fais quelque chose. Le lendemain, j'ai écrit la chanson "Kintsugi" et ça m'a sortie de cette morosité. Etre dans l'action ça fait du bien. Ça peut-être de faire des gâteaux, moi c'était d'écrire une chanson. Je savais que c'était la seule chose qui pouvait me rendre heureuse.
J'ai composé la chanson "Kintsugi" en référence à cet art japonais qui consiste à réparer la poterie cassée et qui sublime la fêlure en y déposant de l'or. Derrière cela il y a une philosophie de vie. Plutôt que de cacher ses faiblesses ou ses souffrances, pourquoi ne pas en faire quelque chose de beau? Cela peut-être un chagrin d'amour, la perte d'un proche, mais en ce moment ça résonne avec le contexte actuel. Comment allons-nous rebondir après cette crise? Parce que forcément, il y aura des séquelles. Comment le monde va en sortir? Ce serait bien qu'il aille mieux après, mais ça c'est pas gagné.
J'aimerais tellement croire à ce changement parce que ce n'est que comme ça qu'on pourra avancer. Ce qui se passe aujourd'hui révèle des dysfonctionnements et des déséquilibres à tous les niveaux : économique, sanitaire, social, culturel. Depuis des décénies, on est dans ce déséquilibre. Alors quand il y a un grain de sable dans la machine et qu'elle s'enraye, c'est tout le système qui s'effondre. J'aimerais qu'on retrouve le bon sens mais j'ai peur que ceux qui ont des gros intérêts financiers fassent tout pour rattraper le temps perdu et qu'on reparte comme avant. Plus fort encore.
Est-on au seuil d'une transformation de nos vies? A quoi ressemblera le monde d'après?
Ce qui pourrait nous mettre du baume au coeur c'est de voir que des enseignements sont tirés de cette période. Ce serait apaisant de constater que l'on est enfin plus respectueux de l'environnement. Tout le monde s'est rendu compte des effets de l'arrêt de l'activité économique sur la pollution. C'est la preuve que l'on peut agir pour changer le cours des choses. Rapidement. Privilégier le train plutôt que l'avion quand c'est possible. Ce qui n'était que des questionnements doit maintenant se traduire par des actes, des décisions concrètes. Dans ce cas on pourrait retrouver de l'espérance.
C'est difficile pour l'instant de savoir comment tout va repartir. Mais je pense qu'on va être marqué par cette trouille. Surtout que tout est fait pour nous apeurer. C'est comme ça qu'on rend une population planétaire docile. Moi qui n'ai pas de compétences scientifiques ou médicales, qui dois-je croire? Est-ce qu'on a raison de ne pas paniquer? Est-ce qu'on devrait paniquer plus? Y aura t-il une deuxième vague? Je pense qu'on nous laisse dans le flou pour nous empêcher d'exploser le 11 mai. Mais c'est clair qu'on n'est plus dans l'insouciance d'avant la crise.
Depuis que je suis gamine j'entends parler de la croissance. Mais on ne peut pas croître indéfinement, surtout quand la croissance est placée au mauvais endroit. Je pense qu'il faut revenir à du local, à du proche, à de l'humain. Au niveau culturel, seuls les gros festivals perdurent. On a perdu tous les petits lieux de création. On concentre les gens et les moyens dans les grandes villes. Ce n'est plus possible. Il faut redistribuer tout cela. C'est naïf de dire ça mais c'est vrai. La crise le prouve et montre aussi qu'il ne faut pas tout attendre de l'état. Il y a toutes ces initiatives citoyennes, de distributions de repas, de fabrications de masques par exemple. Il faut retrouver l'invention du terrain. En culture aussi. On peut imaginer délivrer une parole poétique ou une chanson dans un salon, dans la rue. Ça existe déjà mais il faut que la proximité se développe davantage.
Cette crise a-t-elle mis au premier plan la question des injustices et des solidarités?
D'avoir été privés à ce point de vie sociale, ça va peut-être nous donner l'envie de mieux apprécier la relation à l'autre. Tout ce qui nous paraissait évident avant, l'est moins aujourd'hui. On prend conscience de la chance qu'on a d'avoir des amis. Malgré la solitude de chacun pendant le confinement, on voit bien l'importance des petits mots qu'on échange, des petites attentions, des coups de fil, des réseaux sociaux. C'était un moyen de garder le contact, malgré la distance.
Après cette période de confinement, comment penser la relation avec les autres? Quel sera l'impact des gestes barrières et de distanciation sociale?
Alors après quand on aura le droit de se voir, de se toucher, quand on aura le droit de s'embrasser, de boire des coups ensemble, je pense qu'on va l'apprécier grandement. Ca risque d'être assez émouvant cette réouverture des vannes de la circulation des âmes.
Mettre au feu toutes mes attestations! Je ne supporte plus de devoir remplir un ausweis pour sortir, de penser :"est-ce que j'ai dépassé mon heure?". Ça va être déjà une première libération.Qu'est-ce qui vous a le plus manqué pendant le confinement? Quelle sera votre priorité lors du déconfinement?
Et puis j'ai très envie de courir sur la plage et de mettre mes pieds dans l'eau et peut-être même de nager. Bon, je ne sais pas si on aura le droit, mais tant pis, je le ferais peut-être quand même. Entre la loi et la bêtise de la loi par rapport à la réalité du terrain, y a un moment, il faut retrouver son propre libre arbitre. On existe aussi en tant qu'être pensant. Evidemment on ne va aller s'entasser sur la plage, on est capable de se réguler. Parce que le danger c'est aussi de tout accepter et tout gober comme une masse obéissante. Il faut être très vigilant.
On a été des bons petits soldats, le confinement on l'a respecté, on a rempli nos attestations, mais un moment il faut garder sa propre intelligence et son bon sens. Il faut aussi qu'on nous fasse confiance. Il faut dire à ceux qui peuvent le croire que non, on ne suivra pas l'imbécillité de la docilité.
Je ne me priverai pas des libertés qui me seront rendues et même d'en prendre certaines qui ne me sont pas encore données.