Jean-Luc Coatalem fait partie des finalistes pour le prix Goncourt avec son roman La Part du fils. Dans ce dernier, entre fiction et réalité, il tente de retracer le parcours de son grand-père déporté, dont l'histoire a toujours été tue dans la famille.
"Ce n'est pas une histoire comme les autres, elle est intime, profonde." Jean-Luc Coatalem évoque La Part du fils son dernier roman, l'un des plus personnels et qui l'aura occupé dix années. Dix ans à chercher, à buter, à trouver au compte-goutte des informations sur son grand-père, dont il ne sait rien ou presque.Paol, comme il le nomme dans son livre, est né à Brest en 1894. L'homme est arrêté en 1943, détenu à Compiègne, déporté à Buchenwald Dora, puis Bergen-Belsen dont il ne revient pas. Pourquoi a t-il été arrêté ? Était-il un résistant ? "Qui était-il vraiment, au-delà des derniers moments ? C'est ce que j'ai essayé de trouver. J'ai essayé de LE trouver, de mettre la main dessus." Le roman alterne les chapitres entre les recherches de l'auteur, entre faits réels et "échappées romanesques", pour faire vivre ce grand-père et sa famille, faire vivre les endroits où il a vécu, notamment l'Indochine et la Bretagne.
Une quête devenue indispensable
Jean-Luc Coatalem a toujours su qu'il mènerait des recherches sur le passé de son grand-père, et qu'il conterait cette histoire. Il se lance dans cette quête, seul, car le "mystère a toujours été alimenté par le silence familial", imposé par le chagrin. Son père lui a toujours dit : "On ne parle pas de ça, c'est une histoire qui me fait souffrir". Jean-Luc Coatalem ajoute : "Je comprends sa douleur. Il a aussi fallu que lui se construise avec ça. Il avait douze ans quand son père a été arrêté."
La quête devient nécessaire : "Au fond, ce que je ne savais pas de lui m'entamait, me réduisait", constate l'auteur. "Le temps passait, les derniers témoins de cette époque disparaissaient. Mon grand-père était mort à 49 ans et je me retrouvais plus âgé que lui. Il n'était plus un grand-père mais plutôt un petit frère disparu."
"J'ai toujours eu une interrogation à son sujet, voire une inquiétude, car je ne savais pas ce que j'allais trouver sur son arrestation. Je ne savais pas quels mystères j'allais percer. C'était une période de guerre, où les choses se sont effacées, cristallisées ou confites."J'avais peur de trouver. Et de ne rien trouver au final.
La part du fils, c'est une part que nous avons à porter, de génération en génération, par ricochet. Celle de mon père, celle de mon oncle qui est aussi un personnage important
"Une histoire qui me dévore"
Pour retracer le parcours de son grand-père, Jean-Luc Coatalem écume les archives, les administrations, françaises, allemandes, les organisations liées à la déportation, rencontre d'autres témoins ou lit d'autres récits de l'époque. Il finit par se rendre sur place à Buchenwald Dora, où il se rend compte qu'il sature. "Tout d'un coup, j'étais sur le lieu-même de la souffrance de mon grand-père. C'était difficile d'être là en touriste. Il n'y a à la fois plus rien mais en même temps il règne une sorte d'émanation mortelle. C'est à ce moment-là que je me dis que je n'en peux plus, que je m'aperçois que l'histoire me dévore."
Aujourd'hui, l'histoire est donc derrière lui. "J'ai franchi quelque chose, je suis passé de l'autre côté. Je ne peux pas être que l'homme qui cherche son grand-père."
Pour sa famille, il a compilé tout ce qu'il a trouvé, dans l'ordre chronologique. Son père, auquel il dédie son livre, lui a finalement fourni des documents, permettant d'attester que Paol faisait partie de la Résistance, une manière de participer "à l'entreprise mémorielle".
"Ce livre c'est aussi l'attachement à un rivage"
La Bretagne est omniprésente dans ce roman : le Finistère, la presqu'île de Crozon, Brest, où est né Paol, où vivra sa grand-mère Jeanne et où il viendra plusieurs fois enfant. "Ce sont des Finistériens qui sont là depuis des siècles, dans des petits villages, qui étaient soit paysans, soit ouvriers à l'arsenal comme mon arrière grand-père. C'est une fin de terre, une fin de continent, il y a mille possibilités d'y rester ou d'en partir", confie l'écrivain. "Je suis attaché à ces paysages-là, où ils ont vécu."
La maison de Plomodiern, où Jeanne et Paol vivaient, existe toujours. "Je rôde toujours autour mais j'ai renoncé à l'acheter", glisse l'auteur.
Jean-Luc Coatalem fait partie des finalistes pour le Prix Goncourt, aux côtés d'Amélie Nothomb avec son roman Soif, de Jean-Paul Dubois avec Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon et d'Olivier Rolin avec Extérieur monde. Le prix littéraire sera décerné le 4 novembre prochain. Jean-Luc Coatalem est aussi en lice pour le Renaudot. "Si j'en gagne un des deux, ce sera miraculeux. Mais je n'ai pas écrit ce livre pour ça", conclut-il.