588 millions d'euros. C'est l'enveloppe que reçoit la France de l'Europe pour le secteur de la pêche et de l'aquaculture. 43% arrivent en Bretagne. Mais la contrepartie, les quotas, les règlementations, sont jugés trop contraignants par les professionnels. Ils veulent une Europe plus réaliste.
On a beau ouvrir les yeux, il n'y a rien à voir dans la chambre froide de la criée du Guilvinec, où devraient être stockés le "zéro rejet".
C'est cette part de la pêche qui est hors-taille ou hors-quotas, que les pêcheurs n'ont plus le droit de remettre à l'eau depuis la mise en œuvre du règlement européen "zero rejet en mer", le 1er janvier dernier.
Mais depuis cette date, seuls quelques kilos ont été effectivement débarqués. Une mesure décidée à Bruxelles, mais difficilement applicable sur les quais.
"À terre, il n’y a aucun dispositif pour le traitement de ces produits, donc on ne va pas poser ça sur le quai, et partir" argumente Anthony Coïc, le patron du Lagon, "ce n’est pas faisable pour nous. On marche sur la tête."
Un surplus de travail
"De toute façon les bateaux ne sont pas équipés pour les ramasser, on a rien pour les conditionner" ajoute Stéphane Porsmoguer, le patron du Kan an Aelen, "et c’est du travail en plus pour les équipages, et ils ne sont pas payés pour ce travail qu’ils font en supplément."
Pas assez de concertation, trop de règlementation. Le règlement "zero rejet en mer" illustre bien le divorce entre la majorité des pêcheurs bretons et Bruxelles, même si à l'heure du Brexit, ils s'inquiètent des conséquences d'une sortie de l'Union.
La profession a, en quarante ans de politique commune de la pêche, fait de gros efforts pour amoindrir son impact sur les stocks de poissons. Il y a 10 ans, 10% des ressources étaient exploitées durablement. Aujourd'hui, c'est quasiment la moitié.
Julien Lebrun ravaude ses filets sur le port bigouden du Guilvinec. Il est à la tête d'une flotille de six côtiers, dont quatre qu'il a fait construire sans aucune subvention européenne. A 37 ans, il voudrait avoir plus de visibilité.Ce sont les gens qui n’y connaissent rien au métier qui vote pour vous
"Pourquoi ne pas fixer des quotas de pêche pour 3 ou 4 ans" demande-t-il, "on a assez de métier sur les bateaux, et des scientifiques, qui peuvent démontrer ça".
Seulement selon lui, l'Europe est avant tout une machine bureaucratique, et un jeu de dupe entre pays membres.
"Ce sont les gens qui n’y connaissent rien au métier qui vote pour vous" estime-t-il, "des pays comme l’Autriche qui n’ont pas de côtes, vont voter pour des pays comme la France, l’Irlande ou l’Espagne… Ils s’arrangent entre copains, et puis voilà. C’est du lobbying, c’est catastrophique."
Une Europe necessaire
Son sentiment est conforté après une visite du Parlement Européen à l'initiative du comité des pêches il y a quelques années. Et pourtant, il ira bien voter le 26 mai prochain. Car malgré tout, la crainte du Brexit est là pour le rappeler : l'Europe, les pêcheurs savent qu'elle est nécessaire.
C'est en tout cas la conviction de Solenn Le Guennec-Robard, du comité départemental des pêches du Finistère.
"On a besoin de normes de commercialisation identiques, de normes sanitaires identiques, de traçabilité identique, pour ne pas subir un dumping qui mettrait à mal les entreprises" plaide-t-elle.
Une Europe nécessaire, mais "qui doit mieux s'adapter aux secteurs qu'elle gère".
Alors que se renégocient actuellement les fonds européens pour la pêche, la filière milite pour une aide au renouvellement de la flotte, vieillissante, sans augmentation de l'effort de pêche.
Des mesures qui pourraient rendre le métier plus attractif. D'ici 5 ans, 40% des patrons finistériens devront passer la main. De quoi prolonger le secteur dans un océan d'incertitudes.