Alors que sortent leurs albums respectifs, les Corses de I Muvrini et le Breton Denez Prigent clament haut et fort leur attachement aux chants et musiques traditionnels qui, selon eux, renforcent la République bien plus qu'ils ne la divisent. Pour eux langues riment avec rassemblement.
"En France, on pense que mettre l'accent sur les langues régionales c'est diviser, se replier sur soi, or c'est l'inverse", affirme Jean-François Bernardini, le chanteur-auteurdu groupe I Muvrini, dans un entretien à l'AFP. "La langue corse comme le breton, l'occitan ou le catalan, ce sont nos racines, et les racines c'est le contraire de la division. Plus vous avez de racines, plus vous pouvez ouvrir les bras, tendre la main", ajoute-t-il.
Depuis 1979, et son premier album "Ti Ringrazianu", la formation créée par Jean-François et son frère Alain est le porte-étendard de l'Ile de Beauté et de ses chants polyphoniques à travers le monde. Mais le groupe, né dans le petit village de Taglio-Isolaccio, s'est peu à peu ouvert aux musiques du monde et à la variété pour mieux partager les valeurs d'humanité et de tolérance qu'elle prône depuis plus de trente ans. Ils ont d'ailleurs mêlé leurs voix à celles d'une multitude d'artistes, de Véronique Sanson à Sting, de MC Solar à Jacques Dutronc. Dans les bacs depuis lundi, leur dernier opus "Invicta" ("Invaincue") est une ode à la résistance et à la rébellion non violente "face à une société qui aplanit les différences, qui déracine, où tu ne sais plus qui tu es et d'où tu viens". Une référence explicite à Nelson Mandela qui avait fait d'"Invictus" le poème de l'écrivain britannique William Ernest Henley un guide pour sa vie et pour son action. "Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme..., ces vers de Henley ont permis à Mandela de rester debout pendant 27 ans de prison sans trahir celui qu'il était", raconte Jean-François Bernardini. "On demande souvent aux artistes d'être superficiels, consensuels", dénonce-t-il. Le groupe, lui, s'est toujours opposé à ce diktat "commercial", se référant avec humilité "à ces grands frères de l'humanité que sont, outre Mandela, Martin Luther King ou Ghandi". Vendredi, le groupe fera halte à l'Olympia dans le cadre de sa tournée européenne. Et sous le nom d'I Muvrini écrit en lettres rouges sur la façade, on pourra lire : "Music for non violence".
Le chant et les langues pour exorciser tensions ou peurs
Un discours qui fait écho à celui du Breton Denez Prigent, chantre de l'identité bretonne mais aussi du métissage des musiques et de l'ouverture aux cultures du monde. "Dans un monde qui s'uniformise, les gens ont besoin de repères", a dit à l'AFP l'auteur compositeur qui réfute le terme de "langue régionale". "Les langues, les cultures par définition n'ont pas de frontières de la même façon qu'il n'y a pas un ours des Pyrénées mais des ours dans les Pyrénées", nuance-t-il.Douze ans après son dernier album, le chanteur finistérien revient avec "Ul liorzh vurzhudus" ("Le jardin enchanteur"), douze compositions originales où il mélange les thèmes celtiques, grecs, slaves, tziganes et yiddishs, des musiques dont il s'est imprégné au fil de ses voyages, de ses rencontres. Ses thèmes de prédilection rappellent étrangement ceux d'I Muvrini: l'attachement à la terre, la ruralité, la mer. Aux polyphonies des premiers répondent les "Guerz" du second, ces complaintes bretonnes venues du fond des âges où il parle des catastrophes, des génocides, de la mort comme pour mieux exorciser tensions ou peurs enfouies.
Dans son dernier opus, plus intemporel, il est question d'amours malheureuses, de duplicité et de bonheur retrouvé. "La Corse et la Bretagne parlent, dans des langues différentes, le même langage", estime Jean-François Bernardini qui, avec son groupe, fut l'invité du festival Interceltique de Lorient en 2013. Pas un hasard. "C'est un peu comme si l'on jouait la même partition mais avec des instruments différents", lui répond Denez Prigent. Kenavo et pace e salute !