Alors que l’obligation du port du masque se généralise, Malo vit de plus en plus contraint dans les espaces publics. Il doit fournir une dérogation et affronter l’incompréhension. Cela bouscule son intégration sociale, acquise difficilement. Ses parents plaident pour plus de tolérance.
Le port d'un masque pour Malo est impensable. Il en fait un rejet physique et psychique. Enfant déjà, il ne supportait pas de porter des lunettes ou des chapeaux. Il est hypersensible.
Pour Bernard Kerouédan, son père, Malo ne comprend pas non plus l’intérêt et la nécessité du masque. "Pour lui, les personnes avec un masque sont tels des fantômes autour de lui" ajoute-t-il.
Brutalement, de nombreux endroits sont devenus difficiles d’accès pour Malo, ce jeune autiste de 24 ans, qui vit à Douarnenez avec ses parents. Il lui faut montrer patte blanche, régulièrement.
Malo et sa famille doivent se heurter à l’incompréhension du personnel, dans bien des cas, qui semble ne pas connaître l’existence d’une dérogation possible.
"Il faut toujours se justifier, présenter un certificat médical, qui nous a été fourni par le médecin généraliste. C’est ingrat. Vu la surprise qu’on génère, on a l’impression d’être des extra-terrestres !", regrette le père de Malo.
Les supermarchés, les cafés et restaurants, les boutiques deviennent des forteresses pour Malo, alors qu’il affectionne tant ces lieux publics.
Comme dans cette jardinerie, à Quimper, qu’il fréquentait assidûment avant le confinement. Le gérant, qu’ils ont été obligés de solliciter à l’entrée du magasin, a donné son accord, sans attendre. Ce qui n’est pas toujours le cas.
"On a l’impression de régresser. On a eu tellement de mal à faire entrer Malo dans les magasins. Aujourd’hui, il faut supplier pour qu’il puisse entrer. On marche sur la tête !", poursuit-il. Sa mère ajoute : "C’est comme si tout était remis à plat. Alors que Malo a gagné en autonomie et en aisance dans les lieux publics ! Il avait appris à s’affranchir du regard des autres".
Cette petite famille a l’impression de ne plus pouvoir rien faire comme avant. Leurs habitudes, calquées sur celles de leur fils, sont toute chamboulées. « C’est un peu lui, la météo de la maison ! »
Ses parents précisent que ce frein social peut être, de plus, générateur de troubles du comportement.
"Malo est, en général, très patient et accepte de jouer le jeu. Mais s’il est arrêté un peu plus brutalement par un vigile ou si on lui impose de faire demi-tour, il peut exprimer sa frustration avec des cris, des mouvements ou de l’auto mutilation". Une souffrance pour ce jeune et sa famille et ses quatre frères et sœurs.
Ses parents n’osent pas imaginer comment se profilera la rentrée. Malo travaille à l'Esat d'Ergué-Gabéric, où son poste a été aménagé pour qu’il puisse y travailler sans masque. En septembre prochain, ses parents ne seront plus disponibles pour l’y déposer. Il sera alors confronté au problème des transports communs, où le port du masque y est aussi obligatoire.
"Ce masque constitue une véritable entrave dans sa vie de jeune adulte", pour ses parents.
Une vie sociale essentielle à l’équilibre de Malo
"Les journées doivent être rythmées. On doit le solliciter et l’occuper, tout comme il est nécessaire de le lever, le matin. Il ne prend que très peu d’initiatives".Pourtant, ces sorties sont de véritables rituels pour Malo. Elles sont nécessaires à son équilibre psychique
Depuis plus de vingt ans, l’accompagnement de Malo dans les actes de sa vie nécessite beaucoup d’énergie et de sacrifices de la part de ses parents.
Il progresse et s’intègre mieux grâce à cet entourage bénéfique. Des acquis précieux, sans-cesse fragilisés par les nouvelles contraintes.
Le confinement a été éprouvant pour Malo. Ses parents ont dû rivaliser d’imagination pour revoir l’organisation familiale, ce qui a obligé sa mère à arrêter son travail ponctuellement.
Le gouvernement a concédé que lui et les autres personnes autistes bénéficient d’une sortie quotidienne plus longue en temps et en distance. Un aménagement spécifique salvateur.
Mais, hormis la dérogation du médecin généraliste, le port du masque se généralise, en tenant compte des spécificités de chacun.
Le droit à la différence
"On n’est pas tous égaux devant ce masque. Même s’il nous uniformise tous, on peut être différent, sous le masque" insiste Bernard Kerouédan.
Ce père de famille souhaiterait que le logo « port du masque obligatoire » soit agrémenté de cette mention « sauf dérogation ». Pour lui, cela permettrait "d’ouvrir les esprits et les portes, tout simplement !". Et que ce ne soit plus vécu comme un dictat. "Pour l’instant, on stigmatise une différence, alors qu’on avait réussi à la gommer, après tant d’années d’efforts".
Il veut apporter des solutions constructives.
"On a toujours été les premiers à défoncer les portes, pour que les autres suivent derrière. C’est comme ça depuis vingt ans".
Ils appellent, avec sa femme, à plus de tolérance et de bienveillance à l’égard de Malo.
"On s’expose au regard des gens, aux interrogations. Une personne qui se promène dans un supermarché ou dans un magasin sans masque est forcément regardée. C’est dur, même si Malo a appris à vivre avec ce regard-là".
Ils dénoncent une certaine promptitude de certains à faire la morale. "Il ne faut pas juger sans essayer de comprendre" s’empresse-t-il de dire.
Gaëlle Ansquer, la gérante du café Le Poullig, que Malo fréquente avec plaisir avec sa famille, reconnaît qu’il faut faire preuve d’un peu d’indulgence : "Ici, pour moi, ce n’est pas un souci, parce que je le connais. Donc évidemment, je vais le laisser entrer dans le bar sans masque, mais ailleurs, effectivement, ça peut être un sacré problème. Je suis ravie quand je les vois arriver, c’est une famille magnifique !".
Les parents de Malo sont prêts à s’adapter, comme ils l’ont toujours fait. Mais, ils ne sont pas très sereins, à l’aube de leurs prochaines vacances qu’ils partageront avec Malo.
A l’heure où des communes étendent l’obligation du port du masque en extérieur, quelle sera la marge de manœuvre de Malo et de ses parents, dans cette période des plus complexes ?