Entretien. "Les ouvrières ont relevé la tête", l'historienne Fanny Bugnon revient sur la grève des sardinières de Douarnenez

On fête cette année le centenaire de la longue grève des "Penn sardin" de Douarnenez. Les ouvrières des conserveries y ont conquis en 1924 des droits, et de l'estime. Au point de permettre l'élection inédite de Joséphine Pencalet au conseil municipal l'année suivante. Entretien avec l'historienne Fanny Bugnon, qui a étudié ce tournant dans l'histoire sociale de la Bretagne.

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On fête cette année le centenaire de la grève des sardinières de Douarnenez, connue sous le nom des "Penn sardin", ces ouvrières des conserveries, en 1924. Longue, dure, cette grève a été un tournant dans l'histoire des droits des femmes.

"Elles étaient quasiment sûres de perdre...et pourtant, elles ont gagné". Il y a un siècle, la grève des sardinières de Douarnenez

Fanny Bugnon, maîtresse de conférences à l'université Rennes 2, a retracé l'histoire de ce mouvement social. Dans "L'élection interdite", elle raconte comment l'ouvrière et syndicaliste Josééphine Pencalet a été élue conseillère municipale à la suite du conflit. Or, en 1925, les femmes étaient inéligibles.

La grève des sardinières, c'est une grève féminine, ou féministe ?

C'est une grève qui mobilise essentiellement des femmes. Les trois quarts des grévistes sont des femmes, mais il y a un quart d'hommes parmi les ouvrières des usines de Douarenez. Pour autant, il n'y a pas de revendication d'égalité salariale entre les femmes et les hommes, c'est donc plus une grève féminine qu'une grève féministe.

On l'a appelée "la grève de la misère", cela veut dire quoi ?

Les ouvrières sont très faiblement payées. Elles travaillent dans des conditions très difficiles. Elles sont payées à l'heure de travail depuis 1905. Mais le salaire horaire qu'elles touchent dépend d'un jour sur l'autre. Ça dépend du calendrier des pêches. Donc le salaire est irrégulier.

Les journées peuvent s'étirer très longtemps. Celles qui sont emboîteuses, les plus nombreuses, elles gagnent 0,80 franc de l'heure. 0,80 franc, c'est le prix d'un litre de lait en 1924. C'est la moitié des salaires ouvriers proposés aux femmes sans qualification en région parisienne à la même époque, donc c'est très très bas.

On arrive quand le poisson arrive, on repart quand il n'y a plus de poisson à traiter. Donc ça peut être des journées qui durent 3-4 heures à la période un peu calme du calendrier des pêches. Et puis en pleine saison, des journées qui peuvent s'étirer sur quatorze, quinze, seize ou jusqu'à 18 heures d'affilée, de jour comme de nuit. Et la rémunération est la même quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit où on travaille.

Quel est le contexte, au moment de la grève ?

Le contexte de la grève à Douarnenez, c'est une vingtaine d'usines, des petites usines, jusqu'à 250 ouvrières et ouvriers qui travaillent dans des conditions difficiles et qui sont très mal payés. On est dans une période d'inflation très forte. Donc, il y a des difficultés économiques.

L'inspection du travail au début du mois de novembre, dans son rapport mensuel pour le Finistère, écrit : "Des grèves sont à prévoir dans le secteur de la conserve, parce que les ouvriers, les ouvrières, sont très faiblement payés et que les usiniers refusent de prévoir une augmentation pour faire face aussi à cette envolée du coût de la vie."

Comment s'est déroulée cette grève et quels en ont été les résultats ?

C'est une grève d'abord victorieuse, donc ce n'est pas rien. Elle va obtenir effectivement l'immense majorité des revendications dans l'ensemble des usines et elle va réussir à inverser un rapport de force avec le syndicat patronal qui refusait de négocier dès le début.

C'est une grève qui fait venir beaucoup de gens, c'est une grève qui dure. Il y a une mobilisation importante, il y a une structuration avec un comité de grève, avec un syndicat qui vient épauler, organiser la distribution des secours, garder le moral des troupes aussi.

La population ouvrière a vraisemblablement eu le sentiment de relever la tête et de pouvoir affirmer aussi une forme de dignité sociale, une dignité populaire, en obtenant une augmentation de salaire pour les femmes comme pour les hommes, une majoration des heures de nuit, une reconnaissance de la liberté syndicale, le non-renvoi des grévistes. Et puis, du temps dédié à la formation pour les apprentis.

Quel a été l'impact politique de cette grève, notamment sur l'implantation du Parti communiste à Douarnenez ?

Il y a une volonté politique de la municipalité d'accompagner, de soutenir les revendications ouvrières puisque la mairie est communiste depuis l'été 1921. Et depuis quelques semaines, il y a un nouveau maire communiste à Douarnenez qui s'appelle Daniel Le Flanchec, qui va faire de sa mairie une véritable caisse de résonance des revendications ouvrières.

Cette implantation locale va durer. Daniel Le Flanchec restera dans ses fonctions en changeant d'étiquette politique jusqu'en 1940, où il va être suspendu de ses fonctions au moment de l'occupation allemande.

Pouvez-vous nous parler de Joséphine Pencalet et de son élection historique ?

Au printemps 1925, il y a une situation inédite : c'est l'élection d'une femme en France, alors que les femmes sont dépourvues de droits politiques. Elles le resteront jusqu'en 1944. Mais il y a une brèche dans la loi électorale qui n'interdit pas explicitement aux femmes de se présenter aux élections.

Joséphine Pencalet, qui est ouvrière d'usine - c'est la qualité qui figure sur le bulletin électoral - figure en quatrième position de la liste de Daniel Le Flanchec. Et c'est une victoire également symbolique pour le Parti communiste que de réussir à faire élire une femme, une ouvrière, en écho à la grève victorieuse qui s'est déroulée quelques mois plus tôt.

L'expérience de Joséphine Pencalet a visiblement été furtive. Une expérience intense. Elle a des responsabilités syndicales, elle participe à Paris à des congrès syndicaux. Elle siège pendant six mois au conseil municipal. Mais ensuite, son nom va être rayé des registres parce que la préfecture a fait son boulot, c'est-à-dire a enclenché une procédure d'annulation de son élection au motif qu'elle est une femme.

(Avec Christine Vilvoisin)

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