François Rousseaux publie "Pour tout l'or du monde" chez Fayard. Le fruit de quatre ans d'enquête sur l'affaire Troadec, un quadruple meurtre sur fond de paranoïa et de trésor disparu. Le procès du principal accusé, Hubert Caouissin débute en juin.
Dans la nuit du 16 au 17 février, à Orvault dans la banlieue Nantaise, un couple et ses deux enfants disparaissent. Pascal, Brigitte, et leurs enfants Sébastien et Charlotte ne répondent plus aux appels. Pascal, le père ne se présente pas à son travail, Brigitte non plus. Les soeurs de Brigitte alertent les forces de police. Le domicile familial est vide, quelques traces de sang sont retrouvées, mais pas de corps. L'enquête démarre.
Les soupçons vont peu a peu se porter sur Hubert Caouissin, compagnon de Lydie, la soeur de Pascal. Hubert et Lydie sont arrêtés le 6 mars, à leur domicile de Pont-de-Buis-lès-Quimerc'h, dans le Finistère. Hubert Caouissin avoue.
Il a tué toute la famille Troadec, a démembré les corps, en a brûlé une partie et dispersé le reste sur son terrain. Le mobile? un trésor de pièces d'or dont il aurait été spolié par les Troadec.
François Rousseaux a enquêté durant quatre ans sur cette affaire hrs-normes. Il en sort un ouvrage, "Pour tout l'or du monde", dans lequel il s'efforce de marcher sur les traces de la famille Troadec.
François Rousseaux, vous êtes journaliste pour Télérama, un magazine culturel, qu'est-ce qui vous a amené a enquêter pendant quatre ans sur cette affaire ?
A l'époque, je ne travaillais pas encore pour ce journal, mais pour un magazine d'actualités de France 2. Quelques jours avant que la disparition de la famille Troadec apparaisse à la une des journaux, j'avais réalisé un sujet sur l'affaire Dupont de Ligonnès, un rappel des faits.
Je m'étais beaucoup documenté sur l'affaire Ligonnès, je m'y étais immergé. Et seulement quelques jours après ce sujet surgit cette nouvelle disparition, toute une famille, qui habitait à quatre kilomètres à peine de la maison des Ligonnès. J'étais supéfait, et intrigué.
Au fur et à mesure des révélations effroyables, le mystère s'épassissait. C'était une véritable énigme. Comment un homme seul, Hubert Caouissin, le meurtrier présumé a t-il bien pu maîtriser quatre personnes et les assassiner ?
Et puis, cette histoire de pièces d'or, c'est anachronique. Comment de l'or disparu à l'aube de la seconde guerre mondiale a pu se retrouver dans cette famille ordinaire. Pour moi c'est une énigme, un rébus, et c'est pourquoi j'ai décidé de mener cette enquête, pas pour un journal non, une enquête personnelle.
Le père de Pascal Troadec aurait trouvé des pièces d'or sur un chantier à Brest. Un peu d'or perdu lors de l'évacuation vers le Canada de la réserve d'or de la Banque de France pendant la débâcle en 1940, face à l'avancée des allemands. Le père de Pascal s'en était ouvert à ses enfants. Renée Troadec, la mère de Pascal, et son gendre Hubert Caouissin, étaient persuadés que ce trésor, "eut-il existé" rappelez-vous dans le livre, avait été détourné par Pascal Troadec. Ces pièces d'or, que personne n'a jamais vues, c'est l'Histoire dans l'histoire?
Oui, c'est le passé qui rattrape le présent, la seconde guerre mondiale qui s'invite à la table d'une famille ordinaire. J'ignorais cette histoire d'or perdu à Brest par la Banque de France, alors j'ai enquêté longuement là-dessus. J'ai été reçu à la Banque de France, je me suis déplacé au fort où été entreposé l'or avant d'être embarqué, j'ai rencontré un historien. Je me suis demandé comment la famille Troadec avait bien pu être prise là-dedans : un trésor que personne n'a jamais vu.
Ce Nöel sera le dernier tous ensemble, et un conflit aurait d'ailleurs éclaté dès le début de la soirée à cause du plan de table. On fait mine de passer à la suite. Que se souhaiter alors pour la nouvelle année qui s'annonce ? Brigitte et Pascal se projettent et évoquent à voix haute leurs envies de voyages. En 2014, ils aimeraient prendre l'air à l'étranger, partir en weekend avec les enfants, découvrir les capitales européennes facilement accessibles depuis l'aéroport de Nantes. Pour eux, cel n'a rien d'extravagant. Pour Hubert et Lydie, c'est la goutte d'eau. Des voyages après les "berlines". "Oui les flambes ont commencé" jugera des années plus tard Renée Troadec. "Oui son train de vie a changé, il venait ici nous snober, il était fier comme je ne sais pas quoi" pestera-t-elle à l'égard de son fils sur RTL. Si le doute était encore permis, pour eux cette fois c'est sûr : ils roulent sur l'or. Ce soir-là, Renée Troadec verra ses petits-enfants, Sébastien et Charlotte, pour la dernière fois de sa vie.
Hubert Caouissin est intimement convaincu d'une spoliation. Son beau-frère et sa belle-soeur ont dérobé l'or, et lui se voit comme un laissé-pour-compte. Pourtant il a une situation, il est propriétaire, il a une famille, une compagne et un enfant. Mais tout se délite, il y a comme une cassure. Alors il observe les Troadec, il estime leur train de vie, il regarde tout. Il les jalouse. Les analyses psychiatriques disent de lui qu'il est dans un "vécu délirant", avec une forme de paranoïa. Les experts parlent "d'altération du discernement", ce sera d'ailleurs l'un des enjeux du procès en juin.
En 2014, les ponts sont rompus entre les familles Troadec et Caouissin. La mère de Pascal Troadec, veuve depuis 2009, refuse de voir ses enfants et ses petits-enfants, elle-même persuadée d'avoir été spoliée par son fils. Les Troadec se défendent d'avoir volé quoi que ce soit. Comment vivent-ils celà ?
Cette histoire de vol d'or exaspère les Troadec. Ils ont une vie simple, une vie modeste. Leurs voitures allemandes, une Audi et une BMW, sont des voitures achetées d'occasion. Ils font des voyages low-cost, ils louent des logement à leurs enfants étudiants en Vendée, comme le font des millions de famille en France. Cette accusation de vol les dépasse complètement. Et ça les inquiète aussi.
Les soeurs de Brigitte n'ont jamais cru à cette histoire d'or. Elles sont très remontées contre l'idée qu'on puisse faire passer la famille Troadec pour des voleurs. Même les avocats de la défense le reconnaissent : "il n'y a eu de l'or que dans la tête de Caouissin", m'ont-ils déclaré, "il s'est enfermé dans cette conviction".
En dehors des heures de classe, le fiston reste avec papa et maman, à la ferme. Son père lui a appris à jouer aux échecs. Et lui a assigné une mission qu'il tient très à coeur : protéger les poules du renard. Le bonhomme reste des heures durant, dehors, à tendre l'oreille, guetter le moindre pas dans les herbes folles, avec l'aide de sa chienne de garde, un berger malinois, appelée Heïdi (...) Hubert protège son fils, qui protège les poules, la chienne protège le fils et les poules. Hubert se méfie des Troadec, l'enfant a peur du renard, Heïdi craint Hubert, et la ferme du Stang, abrite, observatrice et inquiète, ces entrelacements psychologiques sans départ ni arrivée, ce méli-mélo de vie où la détresse ne dit pas son nom et où suintent la peur et la solitude.
Votre livre dresse un portrait sensible, circonstancié, de chacun des protagonistes, des accusés aux victimes, y compris des acteurs judiciaires. Même Pascal Troadec n'est pas dépeint comme un personnage très sympathique au début du livre. Le récit avance comme un feuilleton, il y a même une forme de suspense. Vous avez travaillé une certaine forme littéraire?
C'est mon premier livre, et c'est vrai, j'écris dans un magazine culturel, je ne suis pas du tout spécialiste du récit de fait divers. Cette histoire m'a happé, elle m'a pris aux tripes. J'y ai travaillé quatre ans, et oui, j'y ai mis un peu de forme littéraire. C'est un très long travail, avec exactitude et rigueur. Un regard sensible oui, sans être sensationnaliste, mais scrupuleux et attentif.
J'ai fait ce travail sans jugement, en faisant coexister les deux visions des parties qui s'opposent. J'ai observé Hubert Caouissin comme un homme, pas comme un monstre. J'ai voulu comprendre l'humanité intime et complexe de cet homme.
Il était important de plonger dans le temps long, je ne voulais pas traverser la vie des Troadec en 24 heures. Je voulais redonner un visage à des victimes dont on n'a pas retrouvé le crâne. Il a fallu trouver les témoignages, remonter le fil de leur vie, rencontrer la famille, les amis, dresser un portrait fidèle.
Oui, Pascal Troadec est un voisin irascible, mais voyez comme son portrait évolue au fil des pages. Pascal est consciencieux, rigoureux. Les collègues et les amies de Brigitte disent qu'elle a le sourire dans les yeux. Charlotte et Sébastien sont généreux, il dépanne les copains et la famille, elle veut travailler dans le social, aider les autres.
Sébastien s'apprête à dormir. Peut-être pense-t-il aux prochains jours, quand, rentré dans sa chambre d'étudiant, il fêtera son anniversaire avec ses amis. Au lieu de quoi, journaux et télés placarderont son visage. Devant la France entière, sa mémoire sera salie. Téléphone en main, calé sur l'oreiller, l'écran et la vie devant lui, il s'est endormi.
Le procès va se tenir aux Assisses de Loire-Atlantique à partir du 21 juin prochain, et deux positions vont s'affronter : un meurtre calculé, selon les parties civiles, même si l'accusation n'a pas retenu la préméditation ; et l'accident, une bagarre qui a très mal tourné selon la défense. Qu'en attendez-vous?
J'entends rappeler ici la présomption d'innocence d'Hubert Caouissin, tant qu'il n'est pas jugé. Du procès, je n'en attends rien pour mon propre compte évidemment. J'en attends beaucoup pour les familles des victimes.
Selon moi tout va se jouer au procès, dans les débats. Un procès, c'est de l'oralité, il y aura des échanges, les parties civiles auront des questions à poser, sur l'arme du crime, sur les crânes, les avocats vont pousser Hubert Caouissin dans ses retranchements.
Un procès, c'est une mise en situation. Il faudra qu'il réponde à ces questions. Les yeux dans les yeux des familles des victimes.