"Cette matière permet de mieux comprendre notre territoire". Cédric collecte le Gallo, une langue régionale bien vivante

Cédric Malaunais, animateur à l'association "La Granjagoul", Maison du Patrimoine Oral de Haute-Bretagne en Ille-et-Vilaine, multiplie des actions pour sauvegarder la culture gallèse. Il collecte et fait vivre cette matière. Il se définit comme un couteau suisse qui transmet et diffuse la mémoire vivante de ce monde singulier. Il nous raconte.

Vers 18 ans, pour se faire de l'argent de poche, Cédric Malaunais travaille dans des champs de tabac situés près de chez lui, à Bourgbarré, une commune au sud de Rennes. Parmi ses collègues saisonniers, certains un peu plus âgés que lui, jouent de l'accordéon diatonique, du violon et chantent des chansons traditionnelles en gallo. Il reconnaît quelques mots. Ses grands-parents parlent encore un peu cette langue de Haute-Bretagne.
Ses amis lui expliquent qu'elle n'est pas un mauvais français, mais une de ses cousines latines. Un dialecte en voie de disparition. Un patrimoine linguistique qui appartient à la culture de tradition orale de la moitié Est de la Bretagne historique. 

Il apprend que des associations œuvrent à conserver ce patrimoine et qu'une amie de sa mère travaille dans l'une d'entre elles, Dastum (ramasser, rassembler, recueillir en breton). Cette organisation collecte, sauvegarde et diffuse le patrimoine oral de l'ensemble de la Bretagne historique : chansons, musiques, instruments, contes, légendes, histoires, proverbes, croyances, dictons, récits, photos, témoignages... Elle l'y invite. Dans les rayons, de nombreuses cassettes suscitent son intérêt. Sur place, il y passe du temps, un casque vissé sur ses oreilles. C'est une découverte, voire une révélation.


"Piqué de curiosité, moi qui à l'époque n'écoutais que du rock, je découvre un vaste monde passionnant" dit-il en souriant, soulignant qu'en gallo selon la manière de dire des anciens, son nom de famille se prononce "Malaonaï".

Il commence à jouer de l'accordéon diatonique et à chanter des chants traditionnels. Ses grands-parents lui confient avoir dansé sur tel air, que les anciens dansaient telles danses, qu'untel jouait de l'accordéon... Par le bouche-à-oreille, il obtient des noms de personnes à visiter."Petit à petit les choses se sont faites jusqu'à devenir en 2012 animateur Patrimoine Culturel Immatériel (P.I.C) à l'association La Granjagoul (la grange à parole en gallo) maison du patrimoine oral de Haute-Bretagne à Parcé, au sud de Fougères" nous confie-t-il. 

Collecter quoi ?


" Mes journées d'animateur P.C.I sont très variées. Par exemple, le matin, je vais animer un atelier de découverte du gallo pour les enfants, l'après-midi, je visite une personne pour faire une séance de collectage, le lendemain matin, j'anime un bal enfant, puis donne un cours de veuze (cornemuse historique de Haute-Bretagne et du nord de la Vendée) et le soir file jouer en fest-noz ou chanter en veillée dans un café...

Avec des bénévoles de l’association, il poursuit la collecte de la langue : des récits de vie, des airs d’accordéon et des chansons de tradition orale, parfois vieilles de plusieurs siècles, nous raconte-t-il fièrement. Elles ont été cataloguées. Leur thème intemporel l'aide à les repérer : amour, trahison, violence, guerre, infanticide... Elles racontent la vie des gens, se reconnaissent par leur style poétique et leur lecture à plusieurs sens. Elles sont fonctionnelles, peuvent faire rire, chanter, danser, effrayer...nous précise-t-il. Par exemple, pour un mariage, une chanson peut durer et avoir la bonne cadence pour accompagner un cortège qui, pour se rendre à l'église, parcourt un long trajet à pied . 

Ces "chansons de marche" ont évolué sous forme de balades ou de randonnées chantées. Un bel exemple d’adaptation de la tradition. Leur pratique est  très populaire en Haute-Bretagne.


Certaines versions de chansons rendues très populaires comme "Dans les prisons de Nantes"  des Tri Yann se sont transmises par le bouche-à-oreille. Elles sont d'auteurs anonymes et existent sous d'innombrables formes. Leurs interprétations, airs, paroles sont multiples et voyageuses. On en retrouve au-delà de toute la Francophonie, en Belgique, en Louisiane, à la Réunion, au Québec...

Il faut sauvegarder cette matière brute comme la recette de la galette, farine de blé noir, eau et gros sel. Avec une base, on peut toujours inventer.

Cédric Malaunais

Collecter pourquoi ?

"Cette matière permet de mieux comprendre notre territoire, notre histoire, notre environnement, notre rapport au monde, comment il évolue" expose-t-il. L'idée est de la rendre vivante.

"La granjagoul n'est pas un musée. La collecte n'est pas un folklore que l'on range dans un carton ou que l'on expose dans une vitrine devant laquelle on s'exclame "ça, c'était le bon vieux temps !  Il ne s'agit pas de se déguiser, de jouer le paysan passéiste, voire un peu arriéré dont on se moque, mais de transmettre la tradition, tout comme le mot tradition (en latin tradition, « acte de transmettre ») nous y invite. Cet héritage va de l'avant."

C'est un passé qui enrichit le présent.

Cédric Malaunais

Le quadragénaire remet la matière dans un circuit vivant, s'y adapte et la valorise. À l'issue d'une de ses balades contées, il demande aux gens de raconter à leur tour les histoires qu'il vient de livrer. 
Il nous explique que cette matière ne doit pas revendiquer un caractère exclusif propre au territoire ni servir à des fins identitaires. Nous avons tous autant de points communs que de différences."Lors d'un voyage récent en Estonie, j'ai entendu un air ancien de Haute-Bretagne passé de mode en Europe, une belle surprise"  témoigne-t-il enorgueilli.
Rien n'est neutre autour de nous. Cette matière vivante fait partie de notre réalité. 

Collecter comment ? 

À la fin du 19e siècle, l'activité économique change de nature. C’est la révolution industrielle, les mentalités se transforment. Des passionnés, conscients que ces bouleversements menacent ce patrimoine, commencent à collecter. On les appelle à cette époque des folkloristes. Ils notent à la main. "Les écrits sont insuffisants pour restituer la matière dans sa globalité. Impossible par exemple, sur une portée, de retranscrire toutes les nuances d'une mélodie, ni son esthétique, son ornementation, sa manière d'être interprétée, le placement de la voix..." nous détaille-t-il.

Ce patrimoine ne se transmet que par l'écoute, le mimétisme.

Cédric Malaunais

La manière de faire, de sonner, donne à ce patrimoine une esthétique très singulière. "Je cherche ces particularités uniques au monde de la chanson traditionnelle gallèse, c'est là que mon métier prend tout son sens."
Les enregistrements et les vidéos permettent depuis les années 50 de sauvegarder de manière intégrale les données. 
Pierrick Cordonnier, ancien président de La Granjagoul lui confie qu'il y a quarante ans de cela, il suffisait aux collecteurs de se rendre au café du coin et de faire une annonce pour trouver de nouveaux contenus ou de nouvelles pistes de recherche.

Le bouche à oreille permet toujours de trouver des personnes ressources.

Cédric Malaunais

Notre notoriété nous permet, de temps en temps, de recevoir des appels pour des rendez-vous de collecte. Aujourd'hui, beaucoup d'anciens ont disparu. Heureusement, certains ont transmis cet héritage à leurs enfants qui à leur tour nous le donne.

Collecter où ?

"Au quotidien, j'interviens autant dans des écoles, que dans des Ehpad. Nous travaillons avec de nombreux partenaires, participons à des projets d’expositions, d’animations, de colloques, de publications avec le Musée de Bretagne, l'écomusée de la Bintinais de Rennes, la Maison des Cultures du Monde de Vitré, des offices de tourisme, ainsi que d'autres associations comme La Bouèze, Le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, l’AFAP, Dastum.... Nous proposons des initiations au gallo dans des médiathèques et des écoles. Nous organisons des conférences, des stages, des bals, des animations autour du conte, de la chanson, de la musique, de la danse, et des jeux… Nous soutenons la production de livres, disques et spectacles. Nous mutualisons nos moyens et nos compétences dès que possible" argumente-t-il. 

Pour réussir à collecter, il faut faire vivre la matière, il faut lui créer des espaces d'expressions.

Cédric Malaunais

Dans les Ehpad, ses animations éveillent parfois des souvenirs à certains résidents. Cédric les identifie et retourne les voir individuellement. Le passé des anciens enrichit la base de données.


Les animations peuvent déclencher de belles rencontres. "Dernièrement, lors d'une balade contée dans le pays de Vitré, à la fin du parcours, une femme vient me raconter l'histoire de son père. Un joueur d'accordéon qui animait des noces. Celui-ci vient de décéder. Elle ne sait que faire de son vieil instrument ainsi que de ses photos. Elle m'a tout légué. Les instruments ont pu être présentés lors d’une exposition consacrée à la musique et au chant en haute Bretagne, à la Maison des Cultures du Monde de Vitré." 
"À chaque fois, au fil des discussions, des souvenirs réapparaissent. Les gens se surprennent à me livrer bien plus que ce qu'ils imaginaient savoir. À leur époque, comme il n'y avait pas de radio, le seul moyen de retenir une chanson était de la chanter et le seul moyen d'enrichir son répertoire était de se confronter aux autres, d'aller par exemple à des mariages...  A priori, une bonne école pour mémoriser ! Les témoignages lui permettent de recouper, vérifier des informations, de donner plus de fiabilité à leur base", nous précise-t-il.

Collecter pour qui ?

Cette matière brute inspire de nombreux artistes, sert à alimenter le répertoire des musiciens de festoù-noz, nourrit la création de spectacles originaux autour du chant, du conte ou de la musique…En Français ou en gallo... Musicologues, docteurs éthologues, sociologues, historiens, élèves chercheurs, curieux et passionnés... un large public l'étudie. L'association Dastum s’est appuyée sur sa base de données (Dastumedia), pour compléter le dossier de demande d'inscription des festoù-noz au patrimoine immatériel de l'Unesco. Son accès est gratuit

"Beaucoup de gens ne se rendent pas compte que cette matière est présente autour de nous.
Comme les langues françaises et gallo sont cousines, on va de l'une à l'autre facilement et nous en faisons un mix" souligne-t-il amusé. . Il n’est pas rare d’entendre des gens intégrer des mots de gallo dans leur français quotidien.
Quelques exemples :
 "Dame oui ! ou "Dame non" pour dire vraiment oui ou vraiment non. Le mot "Dame" accentue l'affirmation ou la négation. "Je suis benaise" pour dire "je suis heureux", "pochon" pour signifier  "un sac plastique", "A la perchenne" pour dire "à la prochaine", "à tantôt" pour exprimer "à cet après-midi".

"Tous ces mots émaillent nos conversations. Le gallo suscite un regain d'intérêt auprès des jeunes. Ma mission est de faire le lien entre l'ancienne et la nouvelle génération" conclut-il, intarissable sur le sujet.

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