Un prêtre comparaissait devant le tribunal correctionnel de Rennes, poursuivi pour agression sexuelle. Au-delà de l'individu, les débats ont aussi porté sur l'Église et sa capacité à saisir la justice plus rapidement. Le procureur a requis 5 ans de prison dont 2 ferme.
"C’était parole contre parole, contre lui et tout ce qu’il symbolise, tout ce qu’il y a derrière lui, une paroisse", Dominique (prénom d’emprunt), 31 ans se tient à la barre du tribunal de grande instance de Rennes. Le jeune homme explique pourquoi il a mis autant de temps à parler des agressions sexuelles dont il a été victime. Lorsqu'il prend la parole, son avocat Maître Stichelbaut se lève systématiquement et se place à ses côtés, comme pour l'assurer de son soutien.
Ce lundi 17 juin, 10 heures d’audience ont permis de retracer son parcours et celui du prévenu, un homme de 46 ans, ancien prêtre du diocèse de Rennes.
Le père spirituel
Le prêtre croise la route de Dominique par le biais des scouts. Dominique vient d'une famille catholique pratiquante. Très jeune, il se questionne sur sa foi et une possible vocation. "Pour moi, c'était une chance de parler à un jeune prêtre" relève-t-il. "J'étais très intéressé de connaître son quotidien." Il considère le prévenu comme son père spirituel "une personne à qui l'on peut confier ses questionnements, impliquant une relation qui se créée, de l'ordre de la confiance, à qui on peut parler de tout."
Les liens se tissent. La famille de Dominique accueille l'homme régulièrement chez elle.
En 2004, ils partent tous les deux à Rome. La présidente du tribunal affiche son incompréhension. "Pourquoi partir seul avec lui ? N'est-ce pas le moment d'un partage ? Pourquoi vous retrouvez-vous dans la même chambre que lui ?"
C'est en Italie que se déroule la première agression. "Un choc. Je ne savais pas quoi faire" raconte Dominique "J'étais loin. Je me suis demandé si je devais appeler mes parents." Sur les faits pendant ce voyage, c'est parole contre parole. Le prévenu détaille des actes selon lui voulus et consentis, ainsi q'une "scène inexistante" pour Dominique. Chacun campe sur sa version.
D'autres agressions auront ensuite lieu, en Ille-et-Vilaine. "Assez rapidement, il me demande de me confesser à genou, devant lui, et de demander pardon pour ce que je faisais. Il me donnait l'absolution." une manière selon Dominique de le rendre responsable de ce qu'il se passait.
La question de son autorité, de part son statut, le prêtre ne la renie pas. Mais il conteste en avoir abusé. Il répéte "J'ai toujours respecté, même si c'est mal ce que j'ai fait, sa volonté et sa liberté." Il ne nie pas non plus son attirance sexuelle et son désir.Il m'a demandé pardon plusieurs fois, je ne comprends pas comment il ne peut pas se rendre compte (Dominique à propos du prévenu)
Un homme en marge des règles
Le prévenu placé sous contrôle judiciaire depuis 2010, est désormais domicilié dans une abbaye de l’Orne. Exclu de tout ministère public depuis 2008, il continue cependant de percevoir une rémunération de la part de l'Église.
Sa vocation arrive très tôt au sein d'une famille pas particulièrement fervente et avec laquelle il dit ne pas être en accord. Après le Bac, il affirme son engagement en passant par l’Ecole de la Foi de Coutances et intègre le grand séminaire de Rennes. Il devient diacre, puis vicaire et est envoyé à Saint-Malo. Il s'y occupe notamment des jeunes, des scouts.
Très vite sa personnalité suscite les réactions, y compris dans sa paroisse. Plusieurs voix indiquent "qu’il n’est pas le prêtre de tous mais affiche des préférences." Beaucoup relèvent qu’il ne sait pas garder la bonne distance. Il affiche une proximité évidente avec les garçons. Perçu comme un prêtre isolé, qui fait cavalier seul et s’affranchit de l’autorisation des parents, ses tournures de langage sont aussi évoquées. Provocateur, moqueur, lourd dans ses blagues qualifiées de "cochonnes". Il accueille souvent des jeunes avec lesquels il reste seul au presbytère. Il offre des cadeaux aussi : des vêtements, des instruments de musique, invite au restaurant. La consommation d'alcool est courante.On sent de la confusion, le manquement aux règles de l'Église, à la morale, à la loi des hommes (le procureur de Rennes)
La présidente du tribunal interroge : "Personne ne fait ça, c'est un principe de précaution, pourquoi vous isoler avec eux ?" "J'ai commis des imprudences" répond le prévenu, invoquant son immaturité et insistant "je ne faisais pas ça dans un but d'agression sexuelle." Elle insiste : "ce genre de question ne font-elles pas partie de votre formation au séminaire ?" "Ces questions brûlantes aujourd'hui étaient moins brûlantes à l'époque" répond-il.
"Il me manquait à l'époque la case 'morale'." La présidente s'insurge "Un prêtre à qui il manque la case 'morale', c'est le poissonnier qui n'a plus de filets !"
Un réveil tardif de l'Église ?
Dominique finira par se confier, d'abord au prêtre de la paroisse de Dinard, Jean-Michel Le Moal, cité à comparaître. Ce dernier prévient rapidement son supérieur Monseigneur d’Ornellas, archevêque de Rennes, "confiant qu’il allait prendre les choses en main", face à la gravité de la situation. "J'ai senti un garçon qui souffrait, qui voulait que tout s'arrête, que ça n'arrive pas à d'autres."
L'archevêque également cité comme témoin raconte avoir convoqué le prêtre, ainsi que Dominique. Le jeune homme se rappelle bien de cet entretien "où on m'a posé très peu de questions." Lorsqu'il précise d'abord qu'il ne veut pas porter plainte, Monseigneur d'Ornellas lui aurait répondu "On ne peut pas condamner deux fois une même personne". Plus tard, l'archevêque aurait carrément déconseillé au jeune homme de porter plainte.
Monseigneur d'Ornellas réfute ces propos, indiquant ne pas se souvenir. Il précise qu'il lui a été difficile d'avoir accès aux faits, lors de ses conversations avec Dominique. A l'époque, il mandate alors un autre prêtre et le charge de réaliser une enquête canonique. "L'enquêteur" de 86 ans, proche du prévenu rendra ses conclusions en deux mois, sur quelques feuilles manuscrites et en ayant interrogé uniquement deux personnes. "Feriez-vous la même chose aujourd'hui" demande la présidente ? "Je ferais une enquête plus approfondie" concède l'archevêque.
L'archevêque assure avoir pris toutes les mesures nécessaires : la fin de tout ministère pour le prêtre mis en cause, son déplacement, l'interdiction d'encadrer des jeunes. Il avait également demandé un suivi psychologique. La présidente attire son attention sur ses possibilités de contraintes, limitées. Le prévenu n'a consulté que deux ans après la demande de son supérieur. Et il a entre temps pu accompagner des groupes de mineurs sur deux événements. Monseigneur d'Ornellas finit par écrire au procureur de Saint-Malo en 2010 affirmant se tenir à sa disposition. Il quitte la salle d'audience directement après son intervention.J'ai bien senti cette souffrance abyssale. Je me suis senti démuni, je n'ai pas fait ce qu'il fallait. Je demande pardon. (Monseigneur d'Ornellas)
"J'ai été atteint dans mon corps et mes convictions"
Pendant l'audience, le prévenu demande pardon à Dominique, sans lui jeter un regard, assurant prendre la mesure des conséquences de ses actes sur la vie du jeune homme.
Celui-ci attend de ce procès la reconnaissance de son statut de victime, et la fin d'un long parcours judiciaire de 9 ans. Il regrette qu'en première instance les faits n'aient pas été reconnus et qualifiés comme viol. Une ordonnance de non-lieu partiel avait en effet été rendue en janvier 2016. Une déception. Le prêtre était aujourd'hui poursuivi "pour agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction."
Après les plaidoiries et les arguments de la défense, Dominique ne comprend toujours pas le positionnement de son agresseur qui inverse les rôles."Je pense qu’il s’en sort assez bien par rapport à ce que j’ai vécu. Je ne comprends pas qu’on me reproche encore des choses après ce qu’il s’est passé" Sa foi n'est pas entamée mais sa confiance en l'institution oui "Je ne reconnais plus l'autorité de l'Église" et d'ajouter "toutes ces années, ce sont des repères que j'ai perdus."
De son côté, la défense a fait valoir "l'absence de preuves" et une accusation qui voudrait tout voir "en noir ou blanc". Elle a également souligné l'absence d'autres plaignants.
Au terme des débats, le procureur de la République a requis 5 ans de prison dont 3 avec sursis, 8 ans de suivi socio-judiciaire, une injonction de soins, une interdiction définitive de contact avec des mineurs, assorti d’un enregistrement au fichier des délinquants sexuels. La décision a été mise en délibérée au 4 juillet prochain.