Robin Poligné, alias Rouge Gorge écume la scène, tranquillement. Son nouvel album "René" a été écrit dans un contexte particulier, à un moment où sa voix a littéralement pris une autre voie. Rencontre.
"Il a vraiment sa façon à lui, d'être seul sur scène". Ces mots sont ceux de Jean-Louis Brossard, patron des Trans Musicales, lorsqu'il évoque Rouge Gorge. Robin Poligné, rennais de 30 ans a récemment fait la première partie d'Etienne Daho pendant le festival. Le public a alors pu y apprécier son déhanché si particulier, et ses textes.
DJ Rouge Gorge
La musique a toujours régné dans la famille Poligné. Un père gratteux, fan de Neil Young, une mère qui aimait chanter des comptines. Robin débute petit par la chorale puis se met au chant lyrique, au conservatoire de Vitré. Sa voix reste son instrument de prédilection."Quand j'ai mué, je suis devenu baryton martin (entre baryton et ténor). Dans le lyrique, j'aimais le répertoire de Bach, de Schuman, la musique de chambre." Les instruments viendront plus tard, piano et guitare pour pouvoir s'accompagner et écrire. Il sait qu'il sera chanteur et se dit très tôt "Il fallait que je fasse en sorte de me fabriquer mon métier."
Rouge Gorge change de ramage et "René"
"Cet album 'René', c'est une photo du changement de ma voix", raconte Robin. En 2018, sa voix a pris une autre tonalité, qu'il a dû apprivoiser. Atteint d'une maladie auto-immune et après une crise d'épilepsie en avril, il tombe dans le coma. Les soins abîment ses cordes vocales. Au réveil, il est aphone, a perdu la mémoire et les codes sociaux habituels. "J'ai dû tout réapprendre, en sachant que j'ai su", se souvient-il. "Enfermé dans un corps de vieillard, je devais re-conquérir des apprentissages que l'on fait habituellement entre 1 et 3 ans." À ce moment-là, il a la sensation de pouvoir "redistribuer les cartes", de pouvoir se redéfinir.
Sa voix revient, mais elle a changé.
L'ancienne lui manque, surtout sa puissance. "La voix de tête, je ne peux plus. Elle ne sort pas." Il relève pourtant : "C'est une chance d'avoir un nouvel instrument."Cela a joué les changements de voix, sur mon écriture. Je peux moins me réfugier sous la virtuosité. Là, elle est moins parasitée. Elle apporte plus aux mots que je peux mettre
"René" c'est une blague avec "renaître", "un nom choisi pour mettre un peu d'absurde et de désuet dans le dramatique." L'album s'écrit rapidement, en un an, le temps de sa convalescence.
"Ce disque m'a permis de m'approprier cette voix, de me laisser séduire par elle."
Avec ses textes, il aime pouvoir toucher tout le monde, différentes générations, ne pas rester uniquement dans son pré-carré. Il écrit en français. "Mon écriture est plus exigeante avec cette langue". Il puise dans sa vie, dans celle des autres. Les autres qu'il aime contempler, dans la rue, dans le bus ou en faisant ses courses.
Il est touchant, un peu border-line, on ne sait pas trop où il va aller, il n'est pas formaté (Jean-Louis Brossard, programmateur des Trans Musicales)
Les Trans Musicales
Les Trans Musicales lui offrent deux passages, deux premières parties. D'abord celle de Fishbach en 2016. C'est là qu'il fera ensuite sa première tournée en solo, en Allemagne. En 2019, il est programmé avant Etienne Daho. "Là j'étais plus entouré, avec un label, un tourneur. Mon nouvel album "René" sortait en même temps", raconte-t-il. "Il m'a fallu l'après, pour réaliser ce qui s'était passé. C'était excitant de chanter sur une scène de théâtre. Le public est en hauteur, cela met en confiance, en valeur. Tout devient une proposition."
Jean-Louis Brossard ne se souvient pas exactement la première fois où il l'a entendu. "Peut-être dans un bar" réfléchit-il. La présence de Rouge Gorge au festival Visions en 2019 achève de le convaincre. "J'ai adoré. Les gens chantaient. Il y avait une ambiance extraordinaire !". Le patron des Trans Musicales est séduit. "Il a des textes qui ne ressemblent à personne d'autre. J'aime bien sa musique, ses chansons, avec une préférence pour "Les primevères des fossés". Il est très particulier, il a une façon d'être sur scène." "Il lui reste désormais une carrière à développer en dehors de Rennes, et c'est bien parti..."
Rouge Gorge fait l'éloge de la lenteur, dans une époque où il faut que le succès aille vite. Lui se voit plutôt sur un rythme de croisière, "comme Bertrand Belin". "Je n'ai pas envie de griller mes cartes, de me dégoûter, de ne plus avoir le temps de composer."J'ai envie de faire de la musique toute ma vie, je n'ai pas envie que ça aille trop vite