La Bibliothèque Vagabonde fait halte au Parlement de Bretagne à Rennes, dans la magnifique salle décorée par Félix Armand Jobbé-Duval. C'est sous sa représentation du "Triomphe de la Vérité" qu'Irène Frain nous présente son dernier livre consacré à l'assassinat non élucidé de sa soeur aînée en 2018.
"Denise a dû passer cent fois devant ce Palais de justice de Rennes lorsqu'elle était étudiante ". Assise près de la Bibliothèque vagabonde, dans la splendide salle décorée par Félix Armand Jobbé Duval, Irène Frain plonge dans ses souvenirs. La voilà au temps où sa soeur adorée, sa marraine "pas seulement au sens du baptême mais au sens spirituel" avait quitté le modeste deux-pièces de ses parents dans le Morbihan pour faire ses études à Vannes dès 14 ans à l'Ecole Normale pour devenir institutrice, puis à Rennes par la suite.
Denise, "la fée-marraine"
"C'était une fille très brillante dans un milieu très modeste de la Bretagne des années 50 et 60. Elle a introduit, dans cette maison où nous vivions à sept, des choses quasiment inconnues: des livres, de la musique classique, du jazz, le théâtre..."
Quand Irène Frain évoque cette grande soeur magique, ses yeux pétillent et sa reconnaissance est réelle. "C'est à elle que je dois d'être devenue écrivain."
Un crime non élucidé et un silence pesant
Et justement, c'est à cette soeur tant aimée qu'Irène Frain a consacré son dernier livre."J'ai entrepris d'écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le silence m'est devenu insupportable." Denise est en effet décédée à l'âge de 79 ans, en novembre 2019, sept semaines après une agression très violente dans son pavillon de banlieue parisienne. Depuis le crime n'a toujours pas été élucidé. "Je n'en pouvais plus d'insomnie, de questions que je me posais à moi-même. Ma famille se taisait, la police se taisait et la justice se taisait."
La Justice, un monde un peu inconnu jusque là pour Irène Frain. Elle savait qu'elle avait son langage, ses procédures, mais ignorait tout de sa lenteur. "La justice, je l'appelle le Mastodonte, elle est très, très lente. Elle n'a pas notre temps. Le temps judiciaire n'a rien à voir avec le temps des émotions. Pour certaines choses, c'est bien. Pour ce cas d'espèce, c'est destructeur."
Ecrire pour survivre
Irène Frain prend les choses en main, un avocat et même son bâton de pélerin. Elle se rend sur place dans cette cité pavillonnaire de banlieue parisienne où sa soeur s'était installée, au fond d'une impasse. Elle y découvre ces zones commerciales sans âmes qui s'alignent sur des kilomètres, elle y interroge les habitants, mène sa propre enquête... Dans ce livre, elle s'adresse même à un juge imaginaire, celui dont elle rêve la désignation. Un juge d'instruction pour qu'enfin l'enquête progresse, que l'on comprenne ce qui s'est passé ce samedi matin de septembre dans ce pavillon de banlieue. Pourquoi une vieille dame a-t-elle perdu la vie?
"L'écriture et notamment l'écriture littéraire - car c'est un texte de littérature- permet de mettre du sens là où il n'y en a pas. La littérature permet d'explorer l'inconnu de nos vies." Ces mots ont trouvé un écho très important chez les lecteurs. Depuis sa parution, ce livre a été nommé par les plus prestigieux prix littéraires. Il est encore en finale pour le Renaudot et l'Interallié.
C'était une bouteille à la mer et quand ce livre a eu du succès, c'est comme si la bouteille à la mer avait atteint un rivage. Et c'est là qu'est arrivé le soulagement pour moi.
Un appel à une révolution de la Justice vers plus d'humanité
Un soulagement certes avec cet hommage rendu à Denise... mais le combat judiciaire n'est pas achevé. Un juge d'instruction a enfin été nommé et il s'avère que l'agression subie par Denise fut certainement la plus violente, mais pas la seule. Toute une série de faits de cette nature dans cette petite ville de banlieue ont été recensés. Reste à mener les investigations jusqu'à leur terme.
Un long chemin encore, chemin qui devrait être plus accompagné..."Beaucoup de gens ne sentent pas entendus de la justice parce que dans ses procédures, elle est très bureaucratique. A certains égards, c'est très bien parce qu'on respecte les règles, mais elle est inhumaine dans son accueil des victimes ou des proches. Je trouve que la justice devrait faire sa révolution comme l'hôpital l'a fait. On traite les patients de façon beaucoup plus humaine depuis une vingtaine d'années, on les associe au parcours de soin, on leur explique les choses et la justice ne l'a pas encore fait. J'ai une demande d'humanité tout simplement."'
Sous les plafonds peints par Félix Armand Jobbé-Duval, au Parlement de Bretagne, sous cette peinture du Triomphe de la Vérité, cette requête d'Irène Frain prend tout son sens.
Je dois aux livres ma victoire contre le silence. Ce sont des passeports. Ils abattent les murs, les remparts, les frontières, toutes les barrières que les humaines ont inventées pour s'ignorer, se déchirer.
Le livre fétiche d’Irène Frain
De l’autre côté du miroir de Lewis Caroll
Titre original "Through the Looking-glass and What Alice Found There"
"Je l'ai choisi car la littérature, c'est comme ce que j'ai fait dans "Un crime sans importance", c'est aller chercher la vérité de l'autre côté du miroir" nous explique Irène Frain.
Le tiroir des libraires
Xavier Rossi de la librairie rennaise de bandes dessinées M’enfin partage son coup de cœur sur la BD
Carbone et Silicium de Mathieu Bablet (Ankama Editions).
"C'est l'histoire de deux intelligences artificielles Carbone et Silicium qui vont devoir découvrir le monde, apprendre à vivre avec une idée d'absolescence programmée. Comment vont-ils s'en sortir? Comment vont-ils réussir à continuer à vivre? C'est une BD absolument fantastique que j'ai vraiment adorée notamment par cette vision fraîche sur l'avenir de l'humanité."
Le tiroir des jeunes lecteurs : nos suggestions
Les enquêtes de Mina, Apolline Delporte et Caroline Petit (Les Petites Bulles Editions)
Dans la collection Premières lectures des Petites Bulles Editions. Mina et ses amis vont tenter de résoudre des mystères qui se déroulent dans leur immeuble. Les illustrations en noir et rouge de la morbihanaise Caroline Petit donnent un aspect BD à ces histoires originales signées Apolline Delporte.
Les fantômes du Loch Lomond, Christine Le Dérout et Joël Legars, Locus Solus
Polar pour les 9-12 ans. La quimpéroise passionnée de sport et de voyage envoie ses 4 petits héros amateurs de tennis en séjour linguistique en Ecosse. Ils vont se retrouver au milieu des légendes et des superstitions.
Bienvenue à l’école Aimé, Anne Isabelle Le Touzé, L’école des Loisirs
C’est l’histoire d’Aimé, un petit garçon timide qui en ce premier jour d’école n’est pas très à l’aise mais il va se révéler finalement indispensable à ses nouveaux camarades grâce à son sens de l’observation et de l’empathie. Anne-Isabelle Le Touzé a fait ses études aux Beaux-Arts de Rennes. Un livre pour faire tomber les peurs liées aux nouvelles expériences…