Greffe inédite du larynx. 12 ans de préparation, 27 heures d'opération, 12 chirurgiens... "C'est exceptionnel dans tous les sens du terme"

"Un marathon", "une symphonie parfaitement orchestrée" qui a déjà permis à Karine de retrouver l'usage de la parole. Deux mois après la première greffe du larynx jamais réalisée en France, retour sur cette opération qui aura duré 27 heures, réuni douze chirurgiens dont un médecin rennais.

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"Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta."

Ces vers de Maurice Carême sont parmi les premiers mots prononcés par Karine après 20 ans de silence. Lentement, cette ancienne aide-soignante recouvre la voix après avoir bénéficié d'une greffe de larynx. Cette intervention chirurgicale, la première du genre en France, a été présentée lundi 20 novembre à Lyon, là où elle s'est déroulée les 2 et 3 septembre derniers. Une cinquantaine de soignants y ont pris part ; quatorze chirurgiens dont le professeur Franck Jégoux, médecin ORL au CHU de Rennes.

C'est exceptionnel dans tous les sens du terme

Professeur Franck Jégoux

Médecin ORL au CHU de Rennes

Interrogé par France 3 à la sortie du bloc opératoire, ce 2 septembre, le médecin breton n'en revient pas : "C'est exceptionnel dans tous les sens du terme. D'abord parce que c'est très rare et difficile de parvenir à réunir autant de monde, autant de compétences alors que chacun est très occupé de son côté (...). On est samedi, on avait tous des choses prévues mais on est là. Et puis c'est prodigieux l'idée de pouvoir greffer un larynx chez un patient qui n'a pas de larynx fonctionnel... en tout cas avec cette technique-là, ça n'a jamais été fait."

Vingt ans sans pouvoir parler

Victime d'un arrêt cardiaque en 1996, Karine, 49 ans aujourd'hui, avait dû être intubée. Des complications liées à la sonde avaient engendré un rétrécissement du larynx. "Au fil des ans, ce dernier avait fini par totalement se détériorer. Depuis une vingtaine d’années, Karine ne respirait plus que par une trachéotomie, sans possibilité de parler", rapportent les Hospices Civils de Lyon qui ont procédé à la greffe.

Il y a dix ans, l'ancienne aide-soignante s'était portée volontaire "pour retrouver une vie normale".

À l’époque, une seule greffe de larynx a été réalisée au monde : en 1998 à Cleveland (Etats-Unis), sur un homme qui avait perdu ses cordes vocales dans un accident de moto. L’intervention chirurgicale apparaît alors particulièrement complexe tant les organes concernés sont nombreux et minuscules. La durée de l'opération, qui doit se dérouler en deux temps avec le prélèvement puis la transplantation, s'annonce également très longue.

Des années d'entraînement

Le professeur Philippe Céruse, chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale de l'hôpital de la Croix-Rousse, choisit donc de s'entourer d'une équipe de médecins spécialistes venus d'un peu partout en France. "Formé de quatorze chirurgiens venus de Lyon, Paris, Rennes, Nantes, Toulouse ou Rouen, ce groupe baptisé ECLAT (Evaluation Clinique de LA Transplantations laryngée) se retrouve régulièrement, à partir de 2012, pour s’exercer."

Franck Jégoux, du CHU de Rennes, les rejoint il y a cinq ans. "Cinq ans d'entraînement à la fois sur l'animal et sur les [corps]."

"Malheureusement, le Covid-19 est arrivé au moment où nous allions aboutir. C’était rageant après toutes ces années de préparation. Mais nous nous sommes remis au travail, courant 2022, et, heureusement, nous avons appris que la patiente éligible avait conservé sa place sur la liste d’attente. Il ne restait plus qu’à trouver une donneuse. Une recherche difficile toutefois, car celle-ci doit posséder des caractéristiques anatomiques parfaitement compatibles avec la receveuse, en termes de sexe, poids, taille, groupe sanguin…"

Rendez-vous à Lyon moins de 24 heures plus tard

Le 1er septembre, les quatorze chirurgiens sont contactés. "Une donneuse potentielle a été identifiée". Rendez-vous est donné aux médecins à Lyon pour le lendemain 9h. Seuls deux médecins ne peuvent se libérer.

Pendant 27 heures, une cinquantaine de soignants participent à l'intervention. Les médecins se succèdent au bloc par binômes en fonction de leurs spécialités et de la fatigue. Il leur faut repérer, isoler et étiqueter une vingtaine de nerfs, veines et artères sur la donneuse pour pouvoir les replacer sur la patiente receveuse. Le professeur Frank Jégoux s'attelle, pour sa part, à la préparation de la greffe. "[Ma fonction a été] de préparer le cou, les vaisseaux, les muscles, toutes les structures pour pouvoir ensuite enlever le larynx et, ensuite, accueillir le greffon".

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Une cinquantaine de soignants dont douze chirurgiens se sont relayés pendant l'intervention. ©France Télévisions.

"Un marathon"

"Clairement, c'est un marathon ! commente Philippe Céruse, qui a dirigé l’intégralité de l'opération. Heureusement, on était nombreux, on a fait des relais. Sinon, on n'y serait pas arrivé. On avait vraiment une équipe extraordinaire qui a fait un boulot extraordinaire."

"Chaque chirurgien avait son temps d’intervention, sa partition en quelque sorte, précise-t-il. Il a pourtant fallu s’adapter car, sur l’équipe prévue, deux chirurgiennes n’ont pas pu venir. Mais chacun savait ce qu’il devait faire, le temps à consacrer à sa tâche... tout était cadré. Et, malgré les difficultés liées à la vascularisation et l’innervation, il n’y a eu aucune fausse note ! Cela m’a vraiment épaté car c’était la première fois que nous réalisions cette opération sur un humain vivant. Cela a simplement été un peu plus long que je l’imaginais, mais nous nous étions tellement préparés que tout s’est parfaitement déroulé, coordonné".

Dompter ce nouveau larynx

En dépit d'un début de rejet du greffon, Karine, la patiente, a pu regagner son domicile en octobre et démarrer la rééducation. Long, fastidieux, seul ce travail lui permettra de récupérer les fonctions du larynx greffé. "Pour l'instant, il y a tout le matériel mais il n'est pas encore vraiment à elle, résume l’orthophoniste Nathalie Crouzet-Victoire. Sur le plan neurologique, ça va repousser et [Karine] va enfin s'approprier cet organe et le dompter".

Selon l'équipe médicale, il faudra attendre une année complète pour s’assurer de la réussite définitive de la transplantation.

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