Ils regrettent la gentrification et une certaine asseptisation du centre-ville de Rennes, qui petit à petit ne permet plus aux petits lieux de concerts de vivre. Un cinquantaine de labels, groupes et organisateurs de concerts lancent un coup de gueule sur les réseaux sociaux.
"Faut-il réoccuper la Maison du Peuple? Faut-il rouvrir les squats ? Faut-il organiser une free party place Sainte-Anne ?" c'est par cette interrogation un brin provocatrice que s'ouvre le coup de gueule de 57 organisateur.rice.s de concerts amateurs, musicien.ne.s et spectateurs.rice.s rennais. Ces acteurs de la scènes électro et rock rennaise veulent alerter sur la menace qui pèse sur les cafés-concerts de la ville. Un appel rejoint depuis, par de nombreux autres artistes, musiciens et organisateurs de concerts.
Un éventail de lieux d'accueil pour une scène musicale vivante
Les auteurs de l'appel expliquent en préambule que "pour avoir une scène musicale vivante, il faut disposer de tout le panel : de la salle à grande capacité jusqu'à l'arrière-salle de bistrot en passant par la salle intermédiaire. Comme dans toute chaîne, si l'un des maillons disparaît, c'est l'ensemble qui s'effondre ou, du moins, perd son sens." Une tribune, il faut le dire très politique à quelques mois d'une prochaine échéance municipale et alors que la Métropole vient d'annoncer la création d'une nouvelle salle de type Zénith aux portes de la ville pour 2024-2025.
La politique culturelle de la ville dénoncée
Pour les patrons de ces petits lieux de concerts, la menace qui pèse sur leurs établissements, s'étend donc à toute la scène locale. Ils dénoncent la politique culturelle de la ville, qui tout en affichant un label de "ville-rock", "entreprend un travail méthodique de destruction culturelle et de muséification de son centre-ville." Les signataires de l'appel alertent contre la multiplication des mises aux normes, de décisions préfectorales, des poursuites pour nuisances, qui a entraîné la fermeture de ces petites scènes. C'est un courrier envoyé par la mairie à plusieurs de ces petits lieux, qui a semble t-il mis le feu aux poudres. Un courrier les intimant au respect de normes accoustiques plus sévères, passant d'une limite de 120 à 90 dB. De son côté la préfecture confirme onze fermetures administratives à Rennes, en 2019 , dont cinq liées à des nuisances sonores. Ces acteurs locaux dénoncent encore "la concentrations des établissements aux mains de quelques-uns" rendant difficile de nouvelles installations et la survie de ceux existants. Il annoncent pour finir qu'ils ne lâcheront rien, "nous serons toujours là, n'en déplaise à certain.e.s, avec la même envie féroce et irrépressible de concerts."
Un appel relayé par Franck Darcel
Un appel relayé par Franck Darcel, musicien et membre des emblématiques Marquis de Sade, qui présente la liste Rennes Bretagne Europe, aux prochaines élections municipales, face à la majorité actuelle. Dans son programme, rappelle t-il d'ailleurs, il évoquait déjà cette question. Le nouveau candidat explique lui aussi "que la mairie a décidé de sanctuariser le Vieux Rennes avec comme priorité de faire place nette autour du Centre des Congrès en en finissant avec les concerts de rock". Pour lui, c'est à la prochaine équipe municipale de soutenir les cafés-concerts : "c’est à la mairie de contribuer aux travaux d’insonorisation de ces lieux, les cafés concerts, qu’il faut sanctuariser."
La réponse de l'adjoint à la culture
Benoît Careil, adjoint à la culture de la ville, appelle au dialogue, en déclarant que sa "porte est grande ouverte pour entamer ce dialogue et rechercher ensemble des solutions". Pour lui, "il n’y a pas de solution toute faite à ce problème", car il faut arriver à faire cohabiter dans le centre-ville des "habitants qui revendiquent des conditions acceptables de vie" et "ceux et celles qui ont besoin de partager des temps de fête musicale collective".
L'appel sur facebook du collectif "Concerts en danger"
Le texte de cet appel
Faut-il réoccuper la Maison du Peuple? Faut-il rouvrir les squats ? Faut-il organiser une free party place Ste Anne ?Nous, organisateur.rice.s de concerts amateurs, musicien.ne.s et spectateurs.rice.s, nous sommes les utilisateur.rice.s au quotidien des bistrots et cafés-concerts. Pour avoir une scène musicale vivante, il faut disposer de tout le panel : de la salle à grande capacité jusqu'à l'arrière-salle de bistrot en passant par la salle intermédiaire. Comme dans toute chaîne, si l'un des maillons disparaît, c'est l'ensemble qui s'effondre ou, du moins, perd son sens.
Aujourd'hui ces petits lieux sont menacés et c'est tout l'écosystème musical qu'on appelle « scènes locales » qui est par conséquent menacé. Quand Rennes brandit la démocratie culturelle et se gargarise d'être une « ville-rock » pour faire joli dans ses dépliants destinés aux parisien.ne.s, en réalité, elle entreprend un travail méthodique de destruction culturelle et de muséification de son centre-ville. Alors que les fermetures de ces petits lieux se sont multipliées ces dernières années, que des décisions préfectorales et municipales, cachées sous le faux-nez de la légalité, imposent des mises aux normes impossibles, que les poursuites pour nuisances ont opportunément explosé, que des rumeurs inquiétantes de listes d'établissements à nettoyer se font de plus en plus insistantes, nous souhaitons tirer la sonnette d'alarme !
Idéologiques, politiques et économiques : tous les éléments concourent à la disparition prochaine de la scène rennaise.
Idéologiques car certains de ces lieux abritent parmi les derniers vrais espaces de dialogue, d'hétérodoxie, de contestation que beaucoup aimeraient voir disparaître au profit de lieux stérilisés et compatibles avec notre pourtant déjà bien moisie « start-up nation ».
Politiques car ces endroits font tache dans le processus de gentrification du centre-ville en général, et de la place Ste Anne en particulier appuyé par l'interdiction d'installation à moins de 50 mètres d'un autre établissement et le gel des créations de licence IV.
Économiques car la concentration de la quasi-totalité des établissements aux mains de quelques entrepreneur.euse.s qui spéculent à la hausse, ajoutée aux interdictions légales de nouvelles installations et à l'explosion des tarifs immobiliers se conjuguent pour, au final, venir à bout des derniers endroits du centre-ville qui accueillent nos scènes artistiques.
Si nos lieux disparaissent, nous serons toujours là, n'en déplaise à certain.e.s, avec la même envie féroce et irrépressible de concerts alors, question : Faut-il réoccuper la Maison du Peuple? Faut-il rouvrir les squats ? Faut-il organiser une free party place Ste Anne ?