Interprète auprès de l'armée américaine à la libération, l'écrivain Louis Guillou, a été témoin de violences dramatiques longtemps restées sous silence : viols, meurtres sur des populations civiles françaises et ségrégation raciale. Son livre "Ok Joe !" ébranle les convictions et fait l'objet d'un documentaire signé Philippe Baron.
À la sortie du roman de Louis Guillou "Ok, Joe !" en 1976, les violences commises par les soldats de l'armée américaine sont exposées au grand jour. Il témoigne aussi de la ségrégation que la justice militaire américaine exerçait sur les soldats afro-américains.
Sous forme de rencontres joyeuses et fraternelles, la libération laisse, pour de nombreuses familles, ce goût amer de malentendus. Après 80 ans de silence et de refoulement, des descendants de familles osent aujourd'hui témoigner.
L'alcool et le sexe
L'alcool favorisait les moments de convivialité, pour les Français libérés et pour les Américains délivreurs. La bouteille de gnôle ou de cidre que les paysans avaient camouflée, était brandie en guise de trophée "C'est ce que les boches n'auront pas ! " disaient-ils.
S'ensuivent les violences. De multiples viols et meurtres ont lieu durant cette période de la Libération de la Bretagne et de la Normandie. Et à chaque fois, le même scénario s'opère.
C'était la nuit. Notre père est descendu et s'est interposé entre sa fille et cet homme, il a été abattu. C'est pour défendre Catherine contre un viol que papa est mort.
Témoignage de la famille TournellecPlabennec (Finistère)
Cela se passe la nuit, dans les hameaux de campagne, non loin des camps militaires et sous l'emprise de l'alcool. Un père, un frère, un oncle, tente de s'interposer face au soldat armé pour protéger sa fille, sa mère, ou sa sœur agressée. Et c'est le drame.
L'historienne et autrice de " Des GI's et des femmes " Mary-Louise Roberts, analyse cette vague de viols. Elle explique : "Depuis 1917, l'image de la France que l'armée américaine avait choisi de véhiculer à ses soldats, est celle des jolies femmes, sexy et avenantes qui les attendaient en France. Les femmes embrassent les GI's et ils sont aussi bienvenus au lit".
Deux armées au sein d'une même force
Les camps des bataillons, chargés de ravitaillements, étaient formés par des jeunes soldats afro-américains, toujours commandés par des officiers blancs. Ils s'occupaient de logistique et participaient très rarement au combat. Venus des régions des États-Unis où le racisme était présent et sous la pression du lobby sudiste, l'armée américaine exerçait une ségrégation raciale au sein d’une même force militaire.
Pierrick Péroux, petit-fils d'une victime, connait en détail l'assassinat de son grand-père, perpétré par un jeune soldat afro-américain. "Ma mère avait été repérée dans la journée, et suivie. C'était la nuit. Alors que mes grands-parents empêchaient la porte de s'ouvrir sous les coups, le soldat a tiré. La balle a transpercé la porte, et s'est planté dans le crâne de mon grand-père qui s'est écroulé sous les yeux de sa femme".
La double peine des afro-américains
En septembre 1944, l'école des garçons de Morlaix, a été réquisitionnée par l'État-major et transformée en cour martiale.
Le meurtrier du grand-père de Pierrick Péroux y est jugé. "La plaidoirie sera brève" écrit Louis Guillou, interprète au procès. Seul noir devant une dizaine d'officiers blancs, l'accusé, soldat de deuxième classe, est alors condamné à la pendaison. "Mais pourquoi rien que des noirs ? Ce n'est pas un tribunal pour les noirs" s'interroge Louis Guillou.
D'après l'historienne Pauline Peretz, spécialiste des États-Unis, seuls étaient jugés les noirs américains, car il est fort probable que "l'armée américaine souhaitait en faire une affaire raciale".
Des dizaines d'accusés afro-américains seront exécutés sur le champ, par pendaison.
En Bretagne et en Normandie, la diabolisation des noirs fait naître un racisme qui n'était pas nécessairement présent.
Des victimes sous silence
Les victimes, elles, préfèrent taire leur souffrance pour éviter de paraître ingrates et d'être montrées du doigt.
On ne pouvait pas en parler, le mal était petit par rapport au grand bien que l'armée américaine avait fait et que tout le monde célébrait. On a créé un coffre de silence, autour de nous.
Un descendant de victime
Le documentaire "Ok, Joe !" de Philippe Baron est à retrouver dès maintenant en haut de cet article et sur Francetv.fr. Il sera également diffusé jeudi 8 juin à 23 h 45 sur France 3 Bretagne.