Dans la ville fortifiée, près de 3000 logements de particuliers sont disponibles à la location pour de courts séjours. Certains Malouins s’agacent des va-et-vient incessants sur leurs paliers et regrettent de voir la ville se vider de ses habitants.

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Avec les remparts et les anciennes façades en granit, les boîtes à clés font désormais partie du décors à Saint-Malo. Fixées sur de nombreux murs de la vieille-ville, elles permettent aux vacanciers de récupérer les clés de l’appartement qu’ils vont occuper pour quelques jours, sans avoir besoin de rencontrer le propriétaire. "Il y en a un peu partout, c’est devenu un symbole assez fort", dit Franck Rolland, Malouin, inquiet face à la multiplication des logements de particuliers destinés à la location touristique.

Des sites comme Airbnb, Booking ou Leboncoin proposent de plus en plus d’appartements en location pour de courts séjours à Saint-Malo. Près de 3000 logements de la cité corsaire sont ainsi mis à disposition des vacanciers sur ces plateformes, alors que la ville perd des habitants. Ils étaient plus de 1600 intra-muros en 2016. En 2019, il n’étaient déjà plus que 950.
 

Des clients Airbnb pour voisins


Véronique Deschamps vit depuis près de 30 ans dans une vieille maison du XVIème intra-muros. La bâtisse est divisée en trois appartements, où vivaient auparavant trois familles, entretenant de bons rapports de voisinage. En 2016, un des appartements a été racheté, les nouveaux propriétaires ayant investi pour faire de la location de courte durée via le site Airbnb. Véronique Deschamps dit avoir vu sa vie changer.

Elle a désormais l’impression de vivre dans un "hall de gare" ou un hôtel mais "sans réception, ni contrôle, ni sécurité". Dans l’appartement voisin du sien, c’est un défilé de nouveaux locataires "tous les trois jours" : "Souvent ils sonnent à tous les boutons, ils se garent en vrac, parce qu’on leur a dit qu’ils pouvaient se garer. Ils s’accaparent tout le territoire, ils déchargent les bagages sur le palier. Ils laissent la porte ouverte en bas. Pendant la route du Rhum, je descendais la fermer tous les soirs à 23h", raconte la mère de famille, exaspérée.
 

J’estime avoir le droit de vivre normalement. Je n’ai pas choisi de vivre dans un 'hôtel'.

Véronique Deschamps, du collectif "Saint-Malo, j’y vis,... j’y reste"


Saint-Malo : "ville" ou "station" balnéaire ?


Avec Franck Rolland, Véronique Deschamps a monté il y a un an le collectif "Saint-Malo, j’y vis,... j’y reste". Le groupe compte aujourd’hui une un cinquantaine de membres, des Malouins, qui ont bien du mal à reconnaître leur ville.
 

Saint-Malo a toujours été une ville balnéaire, c’est-à-dire une ville qui accueille des touristes. Mais là, elle risque de devenir une station balnéaire c’est-à-dire une ville où il n’y a plus de familles, ni de services publics et où il n'y a que des touristes, ou des retraités. Selon les études qui sont faites, Saint-Malo est à un point de bascule : soit elle reste une ville balnéaire comme la Rochelle, soit elle devient une station balnéaire comme La Baule.

Franck Rolland, du collectif "Saint Malo, j'y vis,... j'y reste"


La flambée de l’immobilier


L’autre conséquence de la multiplication des hébergements destinés à la location saisonnière, est la flambée de l’immobilier. En cinq ans, les prix des biens ont augmenté de 20 % à Saint-Malo. "Avec la montée des loyers et des prix de vente, les gens ne peuvent plus vivre intra-muros", déplore Franck Rolland.

Face à l’escalade des critiques, le site Airbnb a lancé "un club d’hôtes", qui rassemble des propriétaires et utilisateurs de la plateforme. Son but est de défendre les intérêts de propriétaires qui ont investi dans ces logements et de démontrer ce qu’ils apportent à la ville. Airbnb met notamment en avant les 117 000 voyageurs accueillis par le biais du site en 2019 et les 285 000 euros de taxes de séjour versés à Saint-Malo.

Laurence Bourdon a acheté deux appartements à Saint-Malo qu’elle met en location pour des séjours de courtes durées. Elle reconnaît qu’il est bien plus rentable pour elle de les louer à des vacanciers qu’à des locataires à l’année. Cela lui permet en plus de profiter elle-même de son appartement de temps à autre.

Elle ne pense pas être responsable de la flambée de prix, ni de la difficulté d’accéder au logement dans le centre-ville : "Nous avons voulu placer de l’argent. Si on nous l’interdit, on nous l’interdit. Si on nous l’autorise, on nous l’autorise", se défend la propriétaire. "Saint-Malo a-t-elle la capacité d’accueillir tous les touristes uniquement dans ses hôtels ?". Pour Laurence Bourdon, ce n’est pas aux propriétaires de régler la question mais "aux politiques".
 
 

Vers des règles plus strictes ?


Les politiques, justement, prennent ce phénomène au sérieux. La loi ALUR met déjà des outils à disposition des mairies pour encadrer les pratiques locatives mais l'équipe municipale du nouveau maire LR de Saint-Malo n’exclut pas d’aller plus loin.

Si le problème s’aggrave, les élus pourraient mettre en place des mesures similaires à celles adoptées par la ville de Biarritz au Pays Basque : "Ils ont déterminé une zone de forte tension sur le coeur de ville, où chaque propriétaire ne peut louer qu’un seul bien immobilier pour éviter la démultiplication de locations par le même propriétaire", détaille Jean-Virgile Crance, premier adjoint au maire de Saint-Malo.

En attendant, cet été encore, des milliers de touristes seront hébergés dans des logements loués par des particuliers. Au grand dam des Malouins qui subissent des désagréments au quotidien. "Moi j’adore les touristes. Je vis ici depuis quarante ans, je suis habituée, souligne Véronique Deschamps. Je n’avais juste pas prévu qu'ils rentrent dans mon espace de vie".

 
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