Depuis plus de deux siècles, 3000 brise-lames protègent Saint-Malo des assauts de la mer. À chaque tempête, ils sont photographiés et filmés avec grand succès. Il y a un an, un tiers des brise-lames endommagé a été remplacé au terme d'un chantier de grande envergure. Mais que faire des anciens brise-lames, ces œuvres d’art naturelles, travaillées par les vagues et le sel ? La question fait l’objet d’un débat passionné à Saint-Malo. Le documentaire "Brise-lame, le bois du souvenir" raconte cette aventure.
Ils sont devenus l’un des symboles de Saint-Malo. Leurs silhouettes tout en nœud, longilignes sont uniques en leur genre. Elles renvoient à des tas de souvenirs d’enfance pour de nombreux Malouins ou amoureux de la plage du sillon.
Les 3000 brise-lames font face à la mer et à la tempête depuis plus de 200 ans. Réalisés grâce à des chênes noueux dits tortillards, ces pieux de 7 mètres ont été érigés pour protéger les remparts et les digues des assauts d’une mer parfois capricieuse et déchainée.
Au fil du temps, avec l’exposition au sel, au soleil, au vent, une partie des brise-lames s’est endommagée. Il a donc été décidé de remplacer ou reprendre un tiers des brise-lames.
Plusieurs centaines de brise-lames à remplacer
Le choix dépendait du degré d’inclinaison, des fissurations et du diamètre résiduel de chaque brise-lame. Si ce dernier était inférieur à 25 cm de diamètre alors qu’il mesurait 40 cm à l’origine, le remplacement du pieu devait avoir lieu.
D’après les anciens, la vaillance d’un brise-lame se jauge au nombre de nœuds, visibles sur l’écorce. Ils sont disposés en quinconce, avec une grande précision. Certains ont déjà été remplacés (en 1982 et 2008). Ceux qui ont été coupés pour ce dernier chantier sont bien différents des « tortillards » du 18ᵉ siècle : « Ce type de chêne n’existe malheureusement plus », précise David Poncet, responsable du service des milieux aquatiques et prévention des inondations. Et c’est en forêt de Mayenne, de Normandie et du côté de Ploërmel que chaque pied a été coupé et mis en œuvre dans la foulée, sans séchage ni traitement.
Les travaux pour poser ces brise-lames ont démarré en novembre 2021 et se sont étalés sur plusieurs mois, au rythme des marées. Impossible forcément d’intervenir lorsque la mer chatouille la base des brise-lames. En parallèle, une question essentielle s'est mise à agiter les Malouins. Une fois retirés, que vont devenir les brise-lames endommagés, ce patrimoine si cher aux habitants ?
C'est tout l'objet du documentaire Littoral "Brise-Lames, le bois du souvenir" réalisé par Sylvie Deleule:
Les brise-lames font partie de l'identité de Saint Malo
Sylvie Deleule, la réalisatrice du documentaire, raconte :
J'ai rapidement réalisé que pour les habitants, ces brise-lames représentent bien plus qu'une protection. Ils font non seulement partie de l’architecture de la ville, mais ils sont aussi une part importante de son identité, au même titre que les remparts ou la mythologie corsaire.
sylvie Deleule
À 78 ans, Claude Loncle, a toujours vécu et travaillé à Saint-Malo. Lorsqu'il apprend le projet de remplacement des brise-lames, il sera l'un des premiers à monter au créneau pour éviter que les anciens pieux protecteurs ne finissent à la poubelle :
« Je me suis dit que pour une fois, j’allais ouvrir ma gueule. Pour moi, les brise-lames sont plus que des barrières protectrices, ils sont vraiment l'âme de la ville, on doit donc les conserver, d'une manière ou d'une autre ». Claude décide donc de lancer une pétition.
Les brise-lames sont propriété de l’État. Ce dernier va d'abord laisser planer le doute sur ce qu'il veut en faire. Va-t-il les vendre ? Va-t-il s'en débarrasser en les brulant en déchèterie ?
Sylvie Deleule poursuit son récit : "La question n’était pas encore tranchée, mais de nombreux Malouins s'inquiétaient de les voir disparaître." Beaucoup auraient aimé en récupérer, ne serait-ce que pour décorer leur jardin. Des architectes ont également lorgné sur ces grands troncs de bois sculptés pour décorer des intérieurs haut de gamme."
La pétition de Claude pour donner une seconde vie aux brise-lames et qu'ils deviennent une œuvre à part entière, a récolté 1800 signatures. Mais un an après la fin du chantier de remplacement, le projet est au point mort. Les pieux sont toujours stockés au parc de la Briantais.
Julie Beaulieu, attachée de presse de la ville de Saint-Malo, confirme que plusieurs projets pour exposer à nouveau les brise-lames ont été déposés, mais aucune décision n'a pour l'instant était prise. Claude Loncle et tous ses supporters restent donc dans l'attente d'une seconde vie pour les 600 troncs emblématiques des plages de Saint-Malo.
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