Témoignage. "Moi, j’ai rêvé grand très tôt ", la grand reporter Maryse Burgot se confie dans son livre "Loin de chez moi"

Publié le Écrit par Séverine Breton

"Moi, mon métier, c’est de raconter la vie des autres et certainement pas la mienne", commence Maryse Burgot. Mais face à l’insistance de son éditeur, elle a fini par prendre la plume pour raconter son histoire : celle de cette fille de paysans d'Ille-et-Vilaine, qui devient grand reporter. Et surtout les histoires de tous les hommes et de toutes les femmes qu’elle a croisés dans tous les coins du monde.

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Lorsqu'elle rentre chez elle après un reportage, Maryse Burgot, "souvent envoyée dans les zones de guerre, affublée d’un gilet pare-balles et d’un casque, un accoutrement parfois ridicule", a son rite. Elle embrasse son petit monde, ses deux enfants, prépare un rôti avec des pommes de terre… "J’ouvre ma valise, je jette dans le lave-linge mes vêtements sales, je fais le ménage dans la maison et je jardine. Ces gestes sont la thérapie que je me suis inventée pour vraiment 'atterrir'." 

Le goût du reportage

Car la journaliste a souvent besoin d’un sas. Son premier reportage l’a conduite en Inde en 1994 pour couvrir l’épidémie de peste qui ravageait le pays. Elle voyait les gens s’enfuir et continuait de s’avancer vers les lieux qu’ils quittaient. "Je prends conscience à cet instant que si le métier de grand reporter ressemble vraiment à cela, je vais vivre des moments insensés, ahurissants, hors norme" écrit-elle. 

Rien ne prédisposait Maryse Burgot à parcourir ainsi le monde. Fille d’agriculteurs, née à Bazouges-la- Pérouse en Ille-et-Vilaine, "je ne suis pas née entourée de livres", confie-t-elle. Elle n’a pas grandi "dans un milieu intellectuel" mais a eu la chance de vivre dans "un milieu très bienveillant avec des parents qui ont laissé leurs filles faire ce qu’elles avaient envie de faire et de rêver grand.

Sa voix comme signature

"Moi, j’ai rêvé grand très tôt dit-elle. J’ai eu très tôt envie de voyager dans le monde entier. J’ai travaillé, ça c'est sûr, ce n’est pas arrivé totalement par hasard mais j’ai cru en moi et je n’ai pas écouté ceux qui disaient, 'Non ce n’est pas possible, les concours des écoles de journalisme, tu n’y arriveras jamais parce que tu n’as pas fait tout à fait les études qui vont bien'. Moi, j'ai fait des études de lettres, par exemple, il aurait mieux valu faire Sciences Po ou faire du droit. J’y ai cru et j’ai réussi le concours."


Pas le bon acte de naissance, pas non plus la bonne voix. À l’école, on a dit à Maryse Burgot qu’avec ces notes graves, elle ne pourrait jamais faire ni radio, ni télé. Piquée au vif, elle a décidé que ce serait justement dans le petit écran qu’elle ferait carrière. Elle est entrée à France Télévisions et sa voix est aujourd’hui sa signature. 

"J’aime aller loin, voyager, témoigne-t-elle. Et je n’ai pas tellement peur, ça c’est vrai, ça ne me dérange pas d’aller dans un pays où il y a la guerre". Alors depuis 30 ans, elle parcourt le monde. Quand une guerre éclate quelque part, qu’un tremblement de terre secoue un pays, qu’un tsunami arrache des vies, elle enfile son blouson. 

La guerre à hauteur d’hommes

Dans son livre, elle se remémore les silhouettes qu’elle a croisées ici et là sur les différents fronts. "J’aime essayer de filmer la guerre à hauteur des gens explique-t-elle, et parfois à hauteur d’enfants parce que c’est une autre manière de la raconter. C’est bien de montrer les combats, les soldats, les armes etc… mais c’est important aussi de montrer les civils, de voir combien ils souffrent, comment ils subissent les choses et c’est bien de montrer la souffrance des enfants". 


"À chaque fois que je vois des enfants dans un abri, terrorisés, vomissant d’effroi, je pense à mes propres enfants et je me dis quel enfer d’hypothéquer à ce point l’avenir de ces enfants."

Dans son livre, elle évoque le petit Jerry, jeune garçon, pansement sur le crâne, brûlant de fièvre après le tremblement de terre de magnitude 7 en 2010 en Haïti en 2010 et se souvient de cette maman qui fait une soupe avec des biscuits de l’Onu qu’elle écrase dans de l’eau. 

Elle se souvient de cette boîte aux horreurs qu’un psychologue proposait de remplir avec les dessins des pires horreurs que les enfants avaient pu voir et de ce jeune garçon qui ne savait plus si son pire souvenir n’était pas aussi un des plus beaux moments de sa vie. Un jour, acte de résistance ultime, il avait fait pipi dans la nourriture des djihadistes du camp… mais avait été dénoncé. 

Sur tous les fronts

En 1999, avec Gilles Jacquier, Maryse Burgot obtient le Prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage sur les populations fuyant le Kosovo.

Syrie, Afghanistan, Maryse Burgot passe d’un front à l’autre, en essayant de ne jamais perdre l’essentiel de vue. "Je n’ai pas d’addiction à la guerre, certainement pas, affirme la journaliste. Mais c’est vrai que quand vous allez en Ukraine comme je le fais depuis deux ans et demi, (je crois que j’ai fait 13 missions en Ukraine), vous avez envie de retourner, de revoir les gens à qui vous avez parlé, les gens sur lesquels vous avez fait des reportages et surtout, vous rêvez de la fin de l’histoire. Moi j’ai tellement envie de voir les négociations de paix un jour dans un pays européen et de revoir à nouveau la paix dans ce pays."

Alors, elle raconte l’histoire de ce père ukrainien qui, en 2022, a demandé à être affecté dans le même bataillon que son fils pour veiller sur lui et qui a promis à sa femme de le ramener en vie. Elle écrit les couloirs du métro de Kharkiv où elle marche sur les traces de Svetlana et de sa fille Anastasia, à la recherche d’un abri. 

Au fil des pages, elle revient sur les beaux et plus difficiles moments de sa carrière. Car la vie de grand reporter n’est pas toujours exempte de risques. En 2000, prise en otage aux Philippines, elle est libérée après 7 semaines de détention aux mains du Front Moro islamique de libération. 

30 ans de carrière

Au fil des années, Maryse Burgot a vu le métier évoluer. Les moyens techniques d’abord. "Avant, on n’envoyait pas du tout nos reportages comme aujourd’hui. Maintenant, on se promène avec une espèce de sac à dos dans lequel on a les moyens d’envoyer les sujets sur le champ. "


Et puis, il y a les réseaux sociaux, toutes les fausses nouvelles, "les fake news contre lesquelles on doit lutter. C’est pour cela aussi que j’ai écrit : pour parler de ce métier de reporter qui consiste à aller sur le terrain, dire les faits, montrer ce qui se passe, sans donner notre avis, en laissant aux téléspectateurs le soin de faire son propre avis à partir des faits que nous lui montrons."


La journaliste qui préférait raconter les histoires des autres avant la sienne, c’est donc finalement prise au jeu. "Ça m’a intéressée de revisiter un peu mes années de reportage et puis j’avais envie de donner un message à notre jeunesse, lui dire que tout est possible. On peut être née dans un milieu rural, agricole comme le mien mais j’ai quand même réussi le concours des écoles de journalisme. J’avais envie de leur dire que tout est possible."

"Loin de chez moi, grand reporter, fille de paysans", Maryse Burgot aux Editions Fayard

(Avec Ines Tayeb)

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