Des journalistes vent debout contre la difficulté d'informer sur l'agroalimentaire en Bretagne

Une nouvelle génération de journalistes vient d'adresser une lettre ouverte au président de la Région Bretagne contre la difficulté d'informer sur l'agroalimentaire local. Depuis ce week end, des signatures affluent. Leur but : médiatiser la question auprés du public breton.


Tout est parti ce week-end d’une quinzaine de jeunes journalistes bretons, et ce sont désormais plus de 250 reporters professionnels, plus ou moins capés, indépendants ou implantés dans de grandes rédactions régionales, et même nationales.

Tous disent leur malaise et leur ras-le-bol dans une lettre ouverte à Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne. Même France Inter en a parlé ce matin. Les initiateurs de l'action n'en reviennent pas.


La lettre "du club des 15"

 

Un "club des 15" a sollicité par le bouche-à-oreille ses consoeurs et confrères avec ce courrier "Journalistes pour la liberté d'informer sur l'agroalimentaire en Bretagne". Ils ne s'attendaient pas à un tel succès. Le lien sur les signataires.

 

Agroalimentaire breton et omerta



Tous font le même constat : face à l’omerta qui règne dans le monde de l’agroalimentaire breton, il est difficile d’informer sereinement le public.

Face à l’autocensure que s’appliquent certains journalistes, la censure plus ou moins explicite exercée par certains médias, les pressions sur les témoins, ou encore les procès ou menaces de procès auxquels témoins et médias sont confrontés, ils ont décidé d’agir.

Un véritable pavé dans le monde de l'agroalimentaire qui risque de faire des ricochets, bien au-delà des frontières britto-bretonnes, car beaucoup s'accordent aujourd'hui pour dire que le modèle agricole intensif, avec ses élévages massifs et ses monocultures, a vécu et doit revenir à une certaine raison. 

L'aspect émergé de l'iceberg dans cette tribune, c'est bien sûr le procés intenté à Inès Léraud. Cette jeune journaliste et auteure de la bande dessinée "Algues vertes, l’histoire interdite" est attaquée en justice par une entreprise agroalimentaire bretonne. 

Une lettre qui fait aussi référence à la tribune du journal Libération parue le 9 mai 2020.

 

Témoignages : ils ont signé cette lettre ouverte 



Plusieurs fines plumes bretonnes, qui ont préféré rester anonymes, nous ont expliqués au téléphone pourquoi il ont signé cette lettre ouverte :

" C’est une excellente chose qu’au-delà de la concurrence entre médias, les journalistes s’entendent sur une des bases de leur travail, à savoir sortir des informations étayées."

B. est journaliste dans la presse quotidienne régionale. Il se sent solidaire de ces jeunes confrères plus fragiles, car indépendants, n’appartenant pas à une grande maison.

Il a eu l’occasion de travailler sur des sujets sensibles, liés à l’agroalimentaire breton. Et alors que son enquête n’était pas encore aboutie, il a reçu un coup de fil de la part du dirigeant de cette entreprise, lui expliquant qu’il savait très précisément ce sur quoi il enquêtait.

Il parle de divers procès intentés à son journal par le PDG d’un grand groupe breton. Des procès qui ont un certain coût financier pour les gros médias : " Alors pour les journalistes indépendants, vous imaginez les répercussions. C’est bien une manière délibérée de faire obstruction à une enquête, souvent de l'intimidation ".
 

Bémol


Mais une chose l'interroge dans cette démarche : pourquoi faire appel au président de région pour garantir la liberté de la presse ? Si d'un côté on lui reproche de construire l'avenir du territoire avec, notamment, les acteurs de l'agroalimentaire breton, comment peut-il être juge et partie dans ce dossier ?


D. travaille régulièrement sur l'agroalimentaire breton, les questions économiques et sociales,  mais aussi l'environnement :

"J’ai signé la lettre ouverte, car c’est vrai qu’on ne peut pas informer normalement sur les questions agricoles ou agroalimentaires en Bretagne. Or, les pratiques de certains agriculteurs et de certaines entreprises sont au cœur des débats actuels, sur les questions sociales ou environnementales, sur l’alimentation, sur la transition. Quand on sollicite une interview, souvent personne ne nous répond, ou alors on nous renvoie à des agences de communication parisiennes et ça ne débouche pas.  Et si on traite un sujet sans avoir les deux parties, on nous taxe d’« agribashing » ".

" Quand on veut interviewer des ouvriers, même syndiqués, souvent ils ont peur de sanctions. Ils veulent rester anonymes. Quand on interviewe des agriculteurs qui ne sont pas d’accord avec la FDSEA, qui veulent un autre modèle agricole, certains reçoivent parfois des menaces. Je pense qu’il est grand temps que la Bretagne se regarde en face. "
 


La réponse de la Région



C'est en buvant son café, alors qu'il écoutait France Inter, que Loïg Chesnais-Girard a entendu pour la première fois parler de cette lettre ouverte à la Région. Un coup à ne pas apprécier son petit corsé du matin, pour cause dans son édito Sonia Devillers parle de mécanique de représailles, de subventions qui ne doivent pas disparaître. 

Mais après une relecture attentive de cette lettre, il se rend compte qu’il n’est pas directement visé.
 
Il y a bien sûr la polémique avec la maison d’édition Skoll Vreizh et son refus d’éditer en breton la bande dessinée sur les algues vertes d’Inés Léraud. Mais toute cette polémique ne peut revenir au conseil régional. Pour preuve, le refus de la présence d’Inés Léraud au salon du livre à Quintin est plutôt à porter au crédit d’un élu local pas vraiment de son bord.
 

Un bord d’ailleurs pas vraiment favorable aux subventions régionales versées à certaines associations environnementales qui ont pourtant joué leur rôle de sentinelles sur terre, dans l’eau et dans les airs, depuis bien des années. Mais c'est un secret de polichinelle que la région et l'agroalimentaire ont composé, composent et composeront encore ensemble pour l'avenir de la Bretagne.

Mais alors, Monsieur Le Président, comment interprétez-vous cette lettre qui vous demande des moyens et un certain arbitrage, au même titre qu'un observatoire de l'agri bashing qui a vu le jour ?
 

Je veux dire aux journalistes que, pour moi, c’est oui !

Oui, je suis d’accord pour contribuer à garantir une information et une parole publique libre, sur les enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne, comme sur n’importe quel autre sujet. La liberté de la presse n’est ni anecdotique ni à géométrie variable.

Oui, je peux certifier que tous les journalistes peuvent interroger la Région, en toute transparence et indépendance, à chaque fois que cela est nécessaire. J’en serai le garant, et je suis prêt à répondre de tout manquement à ces principes.

Oui, je peux assurer, comme je l’ai dit à Inès Léraud et au président de la maison d’édition Skol Vreizh, qu’aucune maison d’édition ne verra ses subventions coupées pour la publication de la BD « Algues vertes, l’histoire interdite » en français, en breton ou en gallo. L’aide à la création culturelle et l’aide à la diffusion ne se conditionne pas, c’est un principe fort que j’assume.

Oui, je m’engage à poursuivre et à amplifier notre soutien aux lieux de formations universitaires à l’information en Bretagne, comme nous le faisons déjà avec l’IUT de journalisme de Lannion.

Oui, je suis disponible pour accompagner la création d’un observatoire régional indépendant des libertés de la presse. La liberté de la presse est un droit constitutionnel non négociable, et je m’engage à participer, à mon niveau, au démantèlement de toutes les autocensures qui empêchent les journalistes de travailler sereinement.

Oui, je suis volontaire pour faire en sorte que la presse puisse faire son travail en toute indépendance et en toute impartialité en Bretagne.

Oui, je suis disponible pour vous recevoir, collectivement ou au travers des représentants que vous choisirez. 

Loïg Chesnais-Girard


De son côté, le vice-Président en charge de l’agriculture et de l’agroalimentaire, Olivier Allain nous a contacté pour une mise au point : « Jamais je n’ai exercé la moindre pression ni le moindre chantage à l’encontre de quiconque, ni en interne ni en externe. La liberté d’expression est une de mes valeurs fondamentales. Je n’ai plus aucune responsabilité à la FDSEA même si j’en suis toujours adhérent", ajoute celui qui est désormais maire de Corlay (22). Il se dit vexé et blessé par cette affaire d’autocensure.

 

Toujours plus de signataires


Le nombre de journalistes signataires de cette lettre ouverte avoisine ce soir les 300. Les rédactions de Mediapart et Disclose se sont également associées à cette demande comme certaines plumes nationales ou internationales du journal Le Monde.

Reste à savoir si cette tribune trouvera un écho dans le monde scientifique.

Une pétition en ligne veut en tout cas associer le public au sens large, puisqu’elle est ouverte à tous. Et comme le rappelle le club des 15, le but ici est bien de sensibiliser tout le monde à cette difficulté d’informer sur le monde agroalimentaire et par ricochet, sur ce que nous mangeons.
 
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