En juillet 2018, un employé de la coopérative de matériel agricole de Moréac, dans le Morbihan, était pris au piège d'un round baller et a trouvé la mort. La CUMA condamné en raison d'un dysfonctionnement connu de la machine, c'est au tour du constructeur, basé à Safran, dans le Loiret, de rendre des comptes
La juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande du constructeur de tracteurs John Deere, basé à Saran (Loiret), qui refusait de coopérer avec le ministère de l'Agriculture suite à la mort d'un salarié d'une Coopérative d'utilisation de matériel agricole (Cuma) de Moréac (Morbihan) en juillet 2018.
Pour rappel, un accident mortel était survenu en juillet 2018 à Réguiny (Morbihan) : un employé agricole de 52 ans de Remungol s'était retrouvé coincé dans une presse à round baller Cover Edge 864 alors qu'il ramassait de la paille, en raison d’un "dysfonctionnement" connu par le président de la Cuma.
À l’époque, la coopérative de Moréac avait été condamnée à 14.000 € d'amende, dont la moitié assortie d'un sursis, par le tribunal correctionnel de Vannes. Mais aujourd'hui, c'est le constructeur de la machine qui se retrouve devant la justice administrative : des "non-conformités" ont en fait été relevées sur la machine par les services de l'Inspection du travail.
Dans ce cadre le ministère de l'agriculture - qui est aussi "l'autorité française de surveillance du marché dans le domaine des machines agricoles", rappelle le tribunal - avait donc invité John Deere, le 29 juillet 2019, à "présenter ses observations".
Les échanges n'ont "pas permis de lever les doutes" sur la conformité
Mais les "divers échanges" intervenus n'avaient "pas permis de lever tous les doutes de l'administration sur la conformité de la machine en cause", relate la juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, dans une ordonnance en date du 5 décembre 2022 qui vient d'être rendue publique.
John Deere avait alors au bout du compte été sommé de "faire part" à l'Etat, sous deux mois, des "solutions envisagées pour prévenir les risques découlant de cette non-conformité". Le constructeur devait aussi lui "communiquer les informations relatives à la période de commercialisation de la machine litigieuse", comme "sa durée de vie moyenne" ou "le nombre d'exemplaires mis en service sur le territoire français".
Mais la société avait saisi en urgence la justice administrative afin que la décision du ministère soit suspendue "jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité", par le même tribunal, cette fois en formation collégiale de trois magistrats.
Le constructeur de machines agricoles de Saran estimait en fait que la "situation d'urgence" était caractérisée dans la mesure où cette décision crée "un avantage concurrentiel au profit des trois autres entreprises présentes sur le marché".
Elle craint de perdre sa place de "leader" du marché
"Sur le marché très spécialisé des presses à balles rondes où elle occupe la place de leader, (...) ces sociétés produisent des modèles présentant des caractéristiques semblables en matière de sécurité à celles de la machine litigieuse", se plaignait son avocat. Mais "seul" John Deere "s'est vu imposer la mise en place d'un système de sécurité supplémentaire".
L'entreprise de Saran craignait donc que l'exécution de cette décision n'engendre "de graves perturbations" et désorganise "son réseau de distribution", ce qui "nuirait à son image et à son crédit auprès de partenaires". Or, le chiffre d'affaires réalisé au titre des presses à balles représente "plus d'un tiers du chiffre d'affaires total de l'usine qui fabrique ces matériels".
Reste que le courrier adressé par le ministère de l'Agriculture n'a "ni pour objet ni pour effet d'imposer à la société requérante des mesures plus contraignantes (...) d'interdiction, de restriction ou de soumission à des conditions spéciales de la mise en service", recadre la juge des référés dans son ordonnance en date du 5 décembre 2022.
Pas d'atteinte "grave et immédiate" à ses intérêts
L'Etat y écrit juste que "la levée de la non-conformité (...) ne peut être obtenue que par l'adjonction d'un dispositif de sécurisation de la fermeture de la porte sans intervention préalable de l'opérateur" ; il "se borne" pour le reste à indiquer que "l'installation d'un clapet de maintien de charge sur le circuit de commande pourrait satisfaire à ses exigences".
Cette procédure consiste donc seulement pour John Deere à "exposer les mesures correctives qu'elle envisage de prendre" et de "transmettre (...) des informations supplémentaires sur le matériel en cause", résume la magistrate.
Elle ne porte donc pas d'atteinte "grave et immédiate" à ses intérêts commerciaux, économiques et financiers, en déduit-elle. "La société (...) se borne à produire (...) un article de presse spécialisée traitant de l'évolution de son réseau de distribution ainsi qu'une attestation de chiffre d'affaires pour l'exercice clos en 2021 établie par le directeur et le responsable financier de son usine d'Arc-lès-Grey (Haute-Saône)", constate d'ailleurs la juge des référés. Par conséquent John Deere "ne justifie pas des prétendues répercussions financières et effets sur le marché qu'elle impute au courrier."
Faute de la moindre "urgence" - condition indispensable pour voir aboutir une procédure en référé - la requête du constructeur de machines agricoles a donc été rejetée.
SG/CB (PressPepper)