L'anthropologue Jean Didier Urbain étudie le rôle que tient la plage dans une société. Cet espace, désormais universel, a connu une grande évolution ces 100 dernières années. Il concentre de nombreuses émotions et sensations et révèle ce qui fait la vie sociale. Entretien.
Jean-Didier Urbain est anthropologue. Il s'est intéressé tout au long de sa carrière au tourisme et ses enjeux. Il a aussi enquêté et sillonné durant plusieurs années le littoral belge, français mais aussi le sud de l'Europe pour observer et décrypter le comportement des vacanciers sur les plages.
Littoral, le Doc c'est dimanche 15 mai à 12h55 sur France 3 Bretagne
A l'occasion du tournage du film documentaire "La plage des sentiments" réalisé par Corentin Pichon, nous avons rencontré Jean-Didier Urbain.
Comment est née la plage ?
A l'origine, il y a plusieurs siècles, la plage n'était pas un lieu convoité. Elle était rattaché à l'imaginaire des monstres, mais aussi du travail pénible des pêcheurs, des pauvres, des naufrages...Au 18éme, les choses commencent à changer avec la naissance des bains de mer curatifs prescrit par le docteur Richard Russel en Angleterre. La plage devient alors un remède. La grande révolution intervient plus tard, lorsqu'elle cesse d'être un espace médical pour s'ouvrir aux baigneurs. On a désormais plus peur de se mettre à l'eau, de flotter, de laisser le corps s'exprimer.
Vous comparez souvent la plage à une scène de théâtre, pourquoi ?
Depuis l'origine de l'industrie balnéaire, la plage est toujours constitué d'une promenade. Il faut un espace pour ceux qui regardent et un espace pour ceux qui se montrent. Il y a le côté "animal social" qui se met en scène. Je me donne en spectacle à l'autre. Je mets en scène les gestes me sachant observé. La distinction est assez amusante entre l'homme et la femme sur la passage de l'entrée ou la sortie de la mer.
Il y a du Tarzan qui sommeille dans tout homme qui se jette dans les flots, qui nage comme un fou. La femme, c'est la Vénus de Botticelli quand elle sort de son bain, l'eau ruisselle, le corps est érotisé.
La plage est-elle un espace de transformation ?
C'est en tout cas un lieu de métamorphose où le temps prend une autre dimension. A la plage, je peux vivre à mon rythme. Je quitte le quotidien où tout m'est imposé. La métamorphose intervient aussi avec le corps. L'homme habillé devient un homme nu, l'homme pâle devient bronzé. C'est aussi un lieu qui invite à l'inversion des rôles. C'est le moment où le pére va se faire plus maternel, il va jouer avec les enfants tandis que la mère va prendre la place du "roi" en somnolant, en ne faisant rien.
Que révèle la plage ?
Elle révéle tout ce qui fait la vie sociale. C'est assez étonnant de voir cette harmonie, cette pluralité...Rien qu'en France, c'est 35 millions d'individus qui s'agglutinent sur 4% du territoire national entre juillet et aout. Pour autant, il n'y a pas de guerre civile, de conflit. Tout se passe finalement fort bien.