Les cinq frères Guillemot, le clan breton qui a fondé il y a trente ans Ubisoft, sont sur le pied de guerre contre l'offensive du raider Vincent Bolloré, un autre Breton, qui convoite ce fleuron français du jeu vidéo.
L'OPA hostile qui a permis à Vivendi de s'emparer de Gameloft, l'éditeur de jeux sur mobiles fondé par Michel Guillemot et sa montée au capital d'Ubisoft, poids lourd mondial du jeu vidéo dirigé par Yves Guillemot, a sonné l'alarme dans la famille.
Discrets mais soudés
Avec Gérard, Claude et Christian, ils forment un clan discret mais très soudé qui apparaissait jusqu'ici comme un roc dans un secteur où beaucoup de studios n'ont pas survécu, comme Infogrames ou Kalisto, et luttent pour préserver leur indépendance face à Bolloré. Les fils d'Yvette et Marcel Guillemot, négociants agricoles, ont grandi à Carentoir, dans le Morbihan. Après le lycée public de Redon en Ille-et-Vilaine, ils ont tous fait une école de commerce.
Des produits agricoles à l'informatique
L'aventure commence en 1984 quand les aînés Claude et Michel reconvertissent le négoce de produits agricoles des parents dans l'informatique et notamment la distribution de jeux vidéo. Puis se lancent dans la création de jeux pour les premiers Amstrad et Commodore 64 et créent en 1986 Ubisoft. Avec à sa tête Yves, le groupe connaît grâce à Rayman un succès phénoménal : le bonhomme sans bras ni jambes, créé par Michel Ancel, séduit le monde entier, aidé par la sortie de la toute première Playstation.
Le Petit Poucet grandit et atteint une envergure mondiale avec plus de 10.000 employés à ce jour et des studios dans une vingtaine de pays, pour un chiffre d'affaires annuel de 1,4 milliard d'euros. Les frères, qui siègent tous au conseil d'administration, détiennent des parts égales du capital d'Ubisoft, comme des autres sociétés de la famille. Ils se parlent chaque semaine via des conférences téléphoniques parfois houleuses et se retrouvent régulièrement sur leur voilier amarré à la Trinité-sur-mer. "Les Guillemot sont un clan de visionnaires discrets".
"Ils prennent des risques avec des petites équipes, des projets hors des sentiers battus", observe Laurent Michaud, expert au centre de réflexion Idate. Mais cette propension à investir dans de nombreux projets pourrait les desservir : elle s'est faite au prix d'un contrôle ténu du capital par les frères, qui ne détiennent que 13% du capital et 19% des droits de vote, contre 23% et 20% pour Bolloré. Cependant, Ubisoft, entré en Bourse en 1996, a déjà contré en 2004 avec succès une tentative de prise de contrôle hostile par le mastodonte américain Electronics Arts.
A 56 ans, Yves Guillemot, yeux bleus perçants, apparaît comme le stratège du clan. "Il travaille énormément" et "sa philosophie est de faire les meilleurs jeux du monde" et de créer des licences déclinables sur d'autres supports, cinéma, séries animées... "Il veut faire un Disney européen", souligne Romain Poirot-Lellig, l'un de ses conseillers. D'un naturel discret, Yves a appris à "faire le show" pour promouvoir les nouveautés d'Ubisoft comme à l'E3, la grand-messe du jeu vidéo qui se tient chaque année à Los Angeles.
Très à l'aise avec Spielberg
Et malgré son accent français, il peut être "très à l'aise avec Steven Spielberg", rapporte Romain Poirot-Lellig. Si les cinq frères participent à la gestion d'Ubisoft, chacun a ses propres projets. Le technophile Michel a été la première victime de Vivendi, après avoir perdu en juin son "bébé" Gameloft, éditeur de jeux pour mobiles, à la suite d'une OPA menée tambour battant. Homme de réseau de la fratrie, Claude a été de 2009 à 2015 président du Club des Trente, un club d'entrepreneurs bretons... auquel a appartenu Vincent Bolloré.
Il est aussi PDG de Guillemot Corporation, spécialisée dans les équipements et les accessoires pour PC, mobile et consoles. Christian, qui milite pour une plus grande autonomie de la Bretagne, est le PDG de la société rennaise Advanced Mobile Applications (AMA) qui met au point des solutions pour lunettes connectées. Le plus américain, Gérard, est le PDG de Longtail Studios. Après avoir piloté le développement d'Ubisoft en Amérique du Nord, il dirige Ubisoft Motion Pictures, le studio de cinéma d'Ubisoft.