Enfin, disons que la créature a forme humaine, celle d’une femme, qu’elle est nue, et qu’elle disparaît dans les eaux au moindre passant... et vous avez l’amorce du joyeux roman en forme de feuilleton que nous propose Jean-Pierre Simon...
La Vouivre de Loire débute avec une série de scènes courtes, nerveuses, mettant en scène la découverte par un passant d’une étrange femme, nue, hantant les berges de Loire ou ses levées, capable de voler une mobylette qui sera retrouvée plus tard en morceaux, ou de plonger dans les eaux si longtemps qu’on ne peut s’empêcher de songer que le surnaturel y joue un rôle. A chaque fois, la scène est prétexte à introduire un nouveau personnage et à dresser, touche par touche, la galerie des acteurs de ce roman foisonnant.
Nymphe ou bionic woman ?
Ce début provoque l’apparition d’une rumeur qui ressuscite la Vouivre, déesse franc-comtoise des eaux, rendue célèbre par Marcel Aymé, et à la transposer dans la Loire, il y a un petit pas de géant que n’hésitent guère à franchir les témoins, et ceux qui colportent le récit et l’enjolivent au fur et à mesure.Seul un être à l’originalité affirmée pressent intuitivement la présence d’un mystère humain, et d’un drame. Tourneur sur bois, ancien braconnier, devenu adjoint municipal sans s’être présenté aux élections, mais exerçant en l’absence du maire élu, les fonctions municipales, Maujard est un être qui participe de plusieurs mondes, et qui saura, en découvrant la créature endormie dans sa chambre faire en sorte de l’amadouer : pour commencer, il la dissimule aux gendarmes qui la traquent, puis à des russes aux manières violentes et il lui offre une cachette tandis que la traque s’intensifie.
Tout aussi généreusement, il se montre prêt à lui offrir son cœur, mais cette femme, singulière, a trop souffert par le passé, et, si elle avoue manquer de pudeur, elle prétend que son cœur est désormais incapable du moindre sentiment...
Elle consent néanmoins à être protégée par Maujard, et, rassurée, elle lui conte, morceau par morceau, son histoire : espionne française, spécialisée dans les commandos marins, elle a été internée dans un camp situé en forêt d’Orléans, dont elle a réussi, grâce à ses capacités hors du commun, à s’échapper. De son vrai nom, Roxana Ptitsia est russe : à l’origine, elle était une de ces athlètes soviétiques, programmés comme des machines, pour gagner des médailles. Son corps a été trituré et martyrisé par des mentors qui ne se distinguaient guère de tortionnaires. Néanmoins, elle a pu surmonter ces horreurs, avant de s’enfuir en France, grâce aux bons offices du maître des services secrets français, le général Loiseau, dont elle est devenue l’épouse et l’espionne. Toutefois, la reconnaissance l’aveugle sur la moralité de son étrange époux.
Quel secret cache-t'elle ?
Ce secret, et une centaine d’autres, sont racontés avec une grande faconde dans ce premier livre de Jean-Pierre Simon, qui se présente comme un touche-à-tout, qui a toujours écrit, sans jamais être édité : aquarelle, poésie, théâtre, tournage sur bois... L’enthousiasme avec lequel il a écrit ce roman-feuilleton est communicatif, et on ne peut que lui reconnaître une qualité juvénile bienvenue, rafraîchissante et pleine d’énergie.
Nostalgie du feuilleton
Côté style, cette « Vouivre de Loire » a plutôt à voir avec « Les deux orphelines », en nettement plus dévergondée, mais un peu fleur bleue néanmoins, et son histoire suit le même rythme haletant, entrecoupé de digressions, avec un foisonnement de personnages hauts en couleur, taillés à grands traits, qui sont autant d’occasions de digressions, de rebondissements et de renversements de situations.La digression est la figure majeure de cette écriture : en A Parte, en rupture, emboîtées les unes dans les autres à la manière des poupées russes, tout est prétexte à digression ! Ou à une référence historique, ou à un petit exposé, ou à raconter un souvenir... Parfois, le lecteur s’y perd un petit peu, mais c’est le but du jeu, et l’auteur finit par revenir à un récit qui, de manière logique, avance parfois lentement. En matière de coups de théâtre, d’humour, de situations cocasses, d’invraisemblance assumée et drôle à force de grossir le trait, le roman y gagne en gaieté.
Mine de rien, l’auteur en profite pour nous promener sur les berges de Loire, de Jargeau jusqu’au-delà de Briare, à la recherche des trous cachés, des sources secrètes, des îles de Loire pleines de mystère et de charme, et il nous convie à aimer ce fleuve si capricieux et changeant.
Si Jean-Pierre Simon n’évite pas toujours les écueils de ce style de littérature, il s’y livre avec un enthousiasme plein de juvénilité, une plume quasi-rabelaisienne qui fait le bonheur des lecteurs et justifie le prix que son livre a reçu.