ENTRETIEN. L'attentat contre la synagogue de La Grande-Motte et le "djihadisme d'atmosphère" selon Gilles Kepel

Gilles Kepel, spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain, est l'invité d'honneur du salon du livre de La Grande-Motte ce week-end. Il examine dans son nouvel ouvrage les conséquences des attaques du Hamas du 7 octobre 2023 sur les géopolitiques mondiales. Dans cet entretien, il analyse également la tentative d'incendie le 24 août dernier contre la synagogue de La Grande-Motte.

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Le 7 octobre 2023, l’attaque des commandos du Hamas, lancée de la bande de Gaza, a causé la mort de 1 205 personnes du côté israélien. Les représailles militaires de l'Etat hébreu ont fait plus de 41 000 morts dans l’enclave palestinienne. Le conflit s'est depuis étendu au sud du Liban. 

Ce drame a bouleversé l’ordre du monde instauré après la Seconde Guerre Mondiale. "Les événements du samedi 7 octobre constituent le drame paroxystique du premier quart du XXIè siècle," estime Gilles Kepel. Bien plus que le 11 novembre 2001 aux Etats-Unis selon le politiste. 

Gilles Kepel propose une réflexion dépassionnée sur le conflit, "d'autant plus nécessaire que la mobilisation politique mondiale a été inspirée par des réseaux sociaux, eux-mêmes générateurs d’infos- ou de fake news".

Le dialogue de sourds obère l’avenir et réduit chacun à perpétuer des opérations militaires supposées conduire à l’élimination de l’adversaire

Mais alors, la paix est-elle encore possible au Proche-Orient ? "La prise en compte de cette tragédie s’est scindée au point que chaque partie occulte désormais la souffrance de l’autre. Sur ces bases, il n’y a pas d’autre perspective, à l’heure actuelle, que le dialogue de sourds qui obère l’avenir et réduit chacun à perpétuer des opérations militaires supposées conduire à l’élimination de l’adversaire".

Dernier exemple mercredi : l'élimination par l'armée israélienne dans la bande de Gaza de Yahya Sinouar chef du Hamas et cerveau du 7 octobre. Un pas vers la paix ? C'est l'espoir des habitants de Gaza. Benyamin Nétanyahou a assuré que la mort du chef du Hamas marquait "le début de la fin" de la guerre à Gaza.

Ce conflit marque aussi une immixtion inédite dans des échéances électorales majeures aux Etats-Unis ou en France. Le Rassemblement national a surfé sur l'insécurité et l'immigration. À l'autre bout de l'échiquier, la France Insoumise a comme "devoir moral" le soutien à Gaza. 

Conséquence du conflit, les faits antisémites en France sont au plus haut et ont bondi de 192% au premier semestre 2024 par rapport au premier semestre 2023, selon une note de la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) au ministère de l’Intérieur.

24 août : tentative d'incendie de la synagogue de La Grande-Motte

Le 24 août, la synagogue Beth Yaacov Atlan de la Grande-Motte est victime d'une tentative d'incendie. Le principal suspect, inconnu des services antiterroristes, a expliqué "avoir agi pour soutenir la cause palestinienne". Selon le parquet national antiterroriste, "il nourrissait, de longue date, une haine des juifs."

Cinq personnes, dont le rabbin, se trouvaient "à leurs domiciles""situés au premier étage du bâtiment", ajoute le Pnat, mais aucune n'a été blessée. "Nous avons échappé à un drame absolu", a déclaré Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire.

Rencontre avec Gilles Kepel 

Pourquoi avoir ressenti le besoin de proposer une réflexion dépassionnée sur le conflit ?

Chacun a tendance à considérer qu’il s'agit d'un enjeu existentiel. Il m'a semblé que c'était important de remettre tout ça en perspective. J'ai passé maintenant 50 ans à étudier ces questions dans la région. Mon utilité sociale était de mettre au service des lecteurs les connaissances que j’ai accumulées. Après bien sûr, chacun peut en penser ce qu’il veut.

Vous pointez le rôle néfaste des réseaux sociaux. Que provoquent-ils ?

Justement, les réseaux sociaux, contrairement à une démarche comme la mienne, sont dans l'instantanéité, c’est-à-dire qu'ils saisissent des images et ils les montrent. Et à partir de là, ils favorisent davantage la mobilisation et l'expression des émotions que la réflexion face à ce traumatisme. 

Après les derniers événements au sud Liban, y a-t-il un espoir de paix au Proche-Orient ? 

Nous sommes plutôt dans une accélération du processus de guerre (NDLR: entretien réalisé avant l'annonce de la mort du chef du Hamas). Benyamin Netanyaou porte la responsabilité du fait que les événements du 7 octobre aient pu se produire puisqu'il était convaincu que le Hamas et son chef Yahia Sinouar aboieraient mais ne mordraient pas.

Pour sa survie politique, il a détruit l'état-major du Hezbollah même s'il est encore capable d'infliger des pertes significatives aux troupes israéliennes présentes au sud du pays. Et d'ailleurs, on est en train de se demander dans quelle mesure Israël n'est pas encore de nouveau en train de se faire piéger au sud Liban.

Aujourd'hui, chacun retient son souffle dans l'attente d'un affrontement israélo-iranien et de la forme qu'il prendra

Mais détruire le Hezbollah, c'est aussi porter un coup très puissant à l'Iran, le chef de "l'axe de résistance à Israël". Aujourd'hui, chacun retient son souffle dans l'attente d'un affrontement israélo-iranien et de la forme qu'il prendra avec toutes ces conséquences au niveau mondial comme certainement la hausse du cours du pétrole. 

Les débats autour de l'antisémitisme, de l'immigration et de l'islam prennent de plus en plus de place dans notre société en France. Le conflit au Proche-orient en est-il la cause ?

Le 7 octobre et ses conséquences ont complètement bouleversé les fondements moraux de l'ordre du monde tel qu'il avait été établi en 1945. La question du génocide est présentée aujourd’hui par les artisans de ce qu'on appelle le Sud global où il n'est plus l'extermination des juifs mais la colonisation dont le Nord serait coupable et Israël l'ultime pays colonial génocidaire. Les pays du Sud étant fondés à demander réparation au Nord. Cela se traduit dans nos sociétés avec des polarisations identitaires qui se substituent aux affrontements de classes.

Si vous regardez ce qu'est devenue la société française sur le plan politique, vous avez à un bout du spectre la France insoumise qui se fait le représentant du Sud global avec Rima Hassan, l'avocate franco palestinienne ou le dernier discours de Mélenchon et de ce qu'on appelle l'islamo-gauchisme.

Le 7 octobre a provoqué un phénomène d'identification dans nos quartiers. Ce qui s'est passé à La Grande-motte en est l'épicentre le plus important en France.

On le voit dans la région. Aux élections législatives et à la Présidentielle, les quartiers populaires votent Mélenchon ou LFI. Ce sont des quartiers issus en grande partie de l'immigration et où la référence à Gaza est une ressource politique.
À l'autre bout du spectre, dans le département du Gard par exemple où tous députés sont RN, vous avez une exaspération face à une immigration considérée comme incontrôlable et au développement de la revendication islamiste.

Comment analyser la tentative d'incendie de la synagogue de La Grande-motte le 24 août ?

Le 7 octobre a provoqué un phénomène d'identification dans nos quartiers. Ce qui s'est passé à La Grande-Motte en est l'épicentre le plus important en France.

Fort heureusement, le gars n'était pas intellectuellement tout à fait équipé. Ce qui aurait pu être un drame a tourné à un incendie lamentable mais néanmoins c'est quelque chose de très préoccupant. Cela pose la question suivante : dans quelle mesure le conflit au Moyen-orient est capable d'avoir des répercussions sur nos propres sociétés à travers ce que j'ai appelé autrefois du jihadisme d'atmosphère ?

La personne en question n'avait pas reçu d'ordres mais sur les réseaux sociaux justement avait vu des scènes de bombardements à Gaza et avait voulu marquer sa solidarité en voulant tuer des juifs en France.

Combien d'individus semblables peuvent passer à l'action demain si le conflit continue à s'exacerber de la sorte ?

La Grande-Motte est pourtant une ville où rien n'indiquait que cela puisse arriver un jour ?

Le principal suspect habitait le quartier Pissevin à Nîmes. Pissevin - Le Mas de Mingue, ces quartiers avaient fourni des contingents de combattants à Daesh. A Falloujah, en Irak, on avait retrouvé des graffitis en hommage au Mas de Mingue avec "Daesh vaincra".

Il y a toute une atmosphère qui reste présente là même où il y avait une influence de Daesh, cela fournit le terrain sur lequel peut s'enflammer un individu. Il n'était pas radicalisé mais il respirait cette ambiance sur les réseaux sociaux.

Vous êtes l'invité d'honneur du salon livre de La Grande-Motte ce week-end, avez-vous un message à faire passer ?

Je vais essayer d'expliquer le contexte à la fois international et français dans un lieu où celui-ci a été poussé à l'exacerbation par l'attentat qui a eu lieu à la synagogue. Avec une crainte : combien d'individus semblables peuvent passer à l'action demain si le conflit continue à s'exacerber de la sorte ?

À noter un grand entretien avec Gilles Kepel, le samedi 19 octobre à 14h15 au Palais des Congrès de La Grande-Motte.

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