Depuis plusieurs décennies, la Sologne attire les grandes fortunes françaises qui viennent s'y ressourcer et faire du business entre deux parties de chasse. C'est ce que révèle le livre-enquête "Les Nouveaux seigneurs" du journaliste Jean-Baptiste Forray, paru jeudi 17 octobre 2024.
Avec ses grandes forêts et sa riche faune sauvage, la Sologne est réputée pour être le paradis des amoureux de la nature et des chasseurs. Mais elle est moins connue pour sa concentration d'ultra-riches.
Depuis quand la Sologne attire-t-elle les grandes fortunes ?
C'est une affaire ancienne. Il faut remonter à Napoléon III qui puisait une partie de ses racines dans la région. Il a voulu renouer avec ce berceau familial. Il a fréquenté les forêts de Sologne qu'il a contribué à mettre à la mode auprès des nobles, des banquiers et des capitaines d'industrie de l'époque, en les invitant notamment à des parties de chasse et des battues. Dans le sillage de l'Empereur, 400 châteaux ont vu le jour en Sologne. En même temps, Napoléon III avec l'aide des grandes familles a reboisé les environs, a asséché les marais, et la région s'est littéralement couverte de manoirs et de belles demeures. À partir de ce moment-là, la Sologne est devenue la capitale de la chasse mondaine des très riches. Ce système a perduré jusque dans les années 2000 où des nouveaux riches sont venus racheter les prestigieux domaines.
Aujourd'hui, qui sont ces ultra-riches qui possèdent un domaine en Sologne ?
Ils sont bien connus. On retrouve un certain nombre de grands noms du CAC 40 et du capitalisme français. Les frères Bouygues sont implantés en Sologne depuis quelques décennies. Olivier Dassault s'y rendait souvent jusqu'à sa disparition en 2021. Il possédait un domaine qui représentait près de la moitié de la surface de Paris. Je songe à d'autres exemples : la famille Bich, créatrice du stylo Bic, ou les frères Seydoux, propriétaires de Gaumont-Pathé, ou encore le coiffeur Franck Provost.
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Pourquoi la Sologne est-elle attrayante pour ces ultra-riches ?
La Sologne c'est le pays des secrets, l'empire du mystère. La brume cache la forêt, la forêt cache le château. Pour vivre heureuses, ces grandes fortunes préfèrent vivre cachées et c'est ce que permettent le paysage et la disposition de la Sologne. De plus, la région a comme principal atout d'être proche de Paris. On est à deux heures en voiture de la porte d'Auteuil, de Passy, du 16e arrondissement. On voit également des ultra-riches qui prennent l'hélicoptère à Issy-les-Moulineaux et qui atterrissent quelques minutes après sur leur domaine. L'avantage de la Sologne c'est qu'on n'y trouve pas de paparazzis contrairement à Courchevel ou Saint-Tropez. C'est un véritable havre de paix pour eux. Je m'amuse à surnommer la Sologne : "Saint-Tropez-sous-Bois".
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On apprend dans votre livre que la chasse occupe une place prépondérante chez ces grandes fortunes quand elles viennent en Sologne. Pour quelles raisons ?
Lors de mon enquête, l'un des habitués des battues mondaines m'a indiqué que la chasse est l'un des trois grands réseaux qui comptent avec les grandes écoles et la franc-maçonnerie. C'est très répandu dans le milieu du business. Les ultra-riches s'invitent sur leur domaine, chassent ensemble, tissent des liens forts, font des affaires. Une grande chasse dure plusieurs heures voire plusieurs jours. Forcément ça rapproche et ça peut poser les premiers jalons d'un partenariat ou d'un contrat. D'ailleurs, Olivier Dassault, qui était un grand manitou de la "chasse d'affaires", confiait qu'il avait même réussi à signer la vente de l'un de ses jets dans un sous-bois de Sologne.
Les hommes politiques sont-ils invités à ces parties de chasse ?
Oui, on peut citer quelques noms du côté des élus nationaux. L'ex-président des Républicains, Éric Ciotti, est un habitué de certains domaines de Sologne. Je pense aussi à Christian Jacob, ancien patron des Républicains, ou même François Baroin qui est maire de Troyes. Il y a beaucoup de personnalités de droite, mais aussi de gauche comme Claude Bartolone (PS), ancien président de l'Assemblée nationale.
Quelles sont conséquences de la présence des ultras-riches sur les paysages et la biodiversité de la Sologne ?
Elles peuvent être assez lourdes. Le principal impact c'est bien évidemment l'apparition des fameux grillages qui entourent les domaines. Ils ont poussé comme des champignons ces dernières décennies. En 1974, on comptait 110 kilomètres de grillage. Aujourd'hui, on atteint les 4000 kilomètres. C'est plus que le parcours total du Tour de France. Cet engrillagement de la Sologne est un piège pour la faune sauvage qui se retrouve totalement emprisonnée. Il arrive régulièrement que des cerfs ou des sangliers s'empalent contre ces murs de fer. Ils mettent à mal la biodiversité. Il y a de la surdensité animale à l'intérieur des propriétés. Les grillages pourraient aussi poser de grave problème d'accès aux pompiers et ralentir considérablement leur action en cas de méga feu similaire à celui qu'il y a eu en Gironde à l'été 2022.
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Et comment cohabite la population locale solognote avec les ultra-riches ?
Les populations locales n'ont jamais été des adeptes de la lutte des classes. Elles n'ont jamais été vent debout contre la présence des grandes fortunes. Historiquement, l'arrivée des capitaines d'industrie dans le sillage de Napoléon III a été perçue comme une sorte de don de Dieu car la Sologne était auparavant un pays miséreux. La chasse mondaine a été la poule aux œufs d'or car elle a offert de nombreux débouchés pour beaucoup de gens du coin. Ça crée des emplois : rabatteurs, gardes-chasses, armuriers, traiteurs, restaurateurs, etc. C'est encore le cas aujourd'hui car la Sologne est la capitale de la chasse française. Donc personne n'a intérêt à scier la branche sur laquelle il est assis. Les maires, eux-mêmes, sont ravis d'avoir un grand nom du capitalisme sur leur commune, ils sont parfois invités le dimanche à la chasse. Malgré tout, l'engrillagement et les pratiques de chasse des ultra-riches ont fini par susciter un vent de fronde. Pour les chasseurs traditionnels ce sont des méthodes déloyales. Des associations de chasseurs locaux ont demandé la fin de ces grillages pour 2027. Le Conseil constitutionnel doit bientôt trancher.
