En cinquante ans, le nombre de sangliers abattus a été multiplié par trente-sept en Centre-Val de Loire. Si cette chasse au gros gibier est devenu un enjeu économique et social, ses effets concrets sur la régulation de l'espèce restent très incertains.
Les dégâts causés par les sangliers n'en finissent plus de faire la Une des journaux. Qu'il s'agisse des terres agricoles calcinées, d'accidents de voiture ou, plus récemment dans l'Indre-et-Loire, d'attaque sur des personnes, les problématiques en lien avec la "bête noire" semblent causer de plus en plus de troubles.
En 50 ans, on est passé de 8 486 bêtes tuées à 312 098
À en croire les chiffres des prélèvements de sangliers en Centre-Val de Loire, la population explose ces cinquante dernières années. Depuis 1973, le nombre de bêtes tuées a été multiplié par 36,7 passants de 8 486 prélèvements à 312 098 en 2022, selon les chiffres de l'Office français de la biodiversité.
Des dégâts qui coûtent cher
Une évolution des prélévements bien supérieur à celui d'autres régions de chasse comme la Corse (x10 depuis 1973) ou l'Auvergne-Rhône Alpes (x22). "C'est parce que nous sommes d'excellents chasseurs", plaisante Hubert Louis Vuitton, le président de la fédération de chasse du Loir-et-Cher.
Peut-être, mais c'est aussi une question de gros sous. Les "Fédé" sont chargées d'indemniser les dégâts provoqués par le sanglier sur les terres agricoles. Et les montants s'envolent ces dernières années.
Dans le Loir-et-Cher, le montant a atteint deux millions d'euros en 2022, de quoi faire dire en avril 2023 à Hubert-Louis Vuitton que "la maison brûle et nous regardons ailleurs", s'inspirant de la célèbre citation de Jacques Chirac. Si ce montant englobe les dégâts provoqués par tous les gibiers, le sanglier serait responsable de 75 à 80% d'entre eux.
Dans le département voisin d'Indre-et-Loire, le montant des indemnisations est sensiblement identique avec près de deux millions d'euros en 2022. Un chiffre historiquement haut qui a poussé la préfecture à encourager les prélèvements.
"On essaie par tous les moyens de diminuer la population", promet Hubert Louis Vuitton. Une politique encouragée par les préfectures qui multiplient les dérogations pour allonger la durée de chasse ou organisent des battus administratives.
Dans le Loir-et-Cher, en 20 ans, le nombre de prélèvements a été multiplié par trois, pour atteindre, en 2022, plus de 27 000 bêtes tuées. "Heureusement que l'on agit. Sans cela, ce serait une catastrophe pour la biodiversité", affirme le chasseur. Mais en est-on si sûr ?
L'impossible évaluation
De fait, un sanglier abattu ne pourra plus faire de dégâts. Mais l'accélération des prélèvements a-t-elle un effet sur les effectifs à long terme ? Impossible à dire en réalité. Aucune statistique n'existe pour évaluer la population de sangliers : "Il existe des estimations au doigt mouillé. On parle de plus d'un million d'animaux dans l'hexagone en se basant sur les tableaux de chasse. Mais en réalité on est incapable d'avoir un chiffrage parce que le sanglier vit dans des espaces fermés difficiles d'accès", explique le géographe et écologue au CNRS Raphaël Mathevet.
Il est donc impossible d'estimer les effets de la multiplication des prélèvements, comme le reconnaît Hubert Louis Vuitton : "On agit les yeux bandés. On fait au mieux, mais chaque année on ne sait pas si nous avons tapé dans le cheptel".
D'autant que le sanglier est un animal intelligent, capable de s'adapter et de se déplacer. "Parfois, vous avez des zones où les agriculteurs vous disent "il n'y a rien cette année" et puis trois semaines après, ils sont envahis", ajoute le chasseur.
En revanche, pour les amoureux de la chasse, les conséquences sont concrètes : "On note un épuisement des chasseurs qui en sont parfois réduits à devenir des régulateurs et des destructeurs d'animaux. Or ce n'est absolument pas la même vision d'un point de vue éthique que la chasse", abonde Raphaël Mathevet.
Effets pervers
D'autant que le prélèvement peut aussi avoir des effets pervers. Selon la biodémographe, chargée de recherche au CNRS et spécialiste du sanglier, Marlène Gamelon, "dans des populations fortement chassées, on observe une reproduction à partir d’un an pour les femelles, contre deux ans dans une population peu chassée", a-t-elle expliqué en novembre 2023 lors d'une conférence organisée par la fondation François Sommer. "Ce mécanisme ne s’observe pas chez le cerf ou le chevreuil".
De là à imaginer que la chasse intensive du sanglier serait contre-productive ? Faute de données, impossible à dire, mais Raphaël Mathevet tempère : "On a vu baisser les dégâts liés aux sangliers dans des départements où il est très chassé".
"Pas de solution miracle"
Alors, que faire ? "Il n'y a pas de solution miracle", prévient le spécialiste qui rappelle que d'un "point de vue biologique", il n'y a "pas de surpopulation" de sangliers. "Il n'y a pas de preuves de saturation du milieu. C’est en termes d'acceptabilité sociale que c'est plus compliqué."
L'une des pistes pourrait être le retour du loup. Ce dernier serait un excellent prédateur contre le sanglier. Mais en 2019, dans la Drôme, les chasseurs ont poussé un cri d'alarme craignant la fin de la chasse dans le département tant la population de gibiers a diminué depuis le retour du canidé. En avril dernier, la fédération départementale a même voté une motion pour demander à la préfecture une autorisation exceptionnelle pour participer à la régulation du loup.