Rawad Al-Assad est l'un des six millions de Syriens qui ont fui leur pays depuis le début de la guerre en 2011. Arrivé en France en 2014, il a enchainé les petits boulots au point de se voir refuser la nationalité française parce qu'il travaillait trop. Désormais naturalisé, il a pris sa revanche en ouvrant son restaurant à Bourges dans le Cher.
Le sourire de Rawad, qui s'affaire derrière ses fourneaux, en dit long. Le cuisinier confectionne des fallafels qu'il façonne avant de les plonger dans l'huile frémissante. "Les soudanais et les égyptiens les font avec des fèves, mais moi je préfère avec des pois chiches", explique-t-il. Depuis fin avril, il est à la tête de ce restaurant de spécialités libanaises et syriennes et ne cache pas sa joie, sa fierté mais aussi son soulagement. "Psychologiquement, je suis stable maintenant. Avant je faisais tout le temps le cauchemar que je devais repartir en Syrie sans possibilité de revenir en France. Je crois que tous les réfugiés syriens font ça et ont besoin d'un psychologue", plaisante-t-il seulement à moitié.
Car jusqu'à l'an dernier, il lui était impossible de voir ses rêves de cuisinier se réaliser. Rawad Al-Assad a fui la Syrie en 2012 après avoir perdu une partie de sa famille. "Les djihadistes ont tué ma mère sous mes yeux. Quelques temps après ils ont capturé mon père et jusqu'à aujourd'hui, on ne sait pas ce qu'il est devenu." Il part alors à Dubaï puis au Liban où il obtient le statut de réfugié qui lui permet de venir en France.
On lui refuse la nationalité française car il travaille trop
Il arrive à Bourges en 2014 avec un diplôme de niveau Bac+ 5 en comptabilité et pense d'abord trouver un emploi dans sa branche. "J'ai voulu faire une équivalence, mais mon diplôme n'est pas reconnu en France", déplore-t-il. Il travaille alors auprès de l'association Le Relais puis enchaine les petits boulots pendant un an, pour ne dépendre de personne dit-il. "J'aime bien travailler et, sans emploi, je n'aurais pas réussi à apprendre le français". Vendanges, cueillette des pommes, entretien d'espaces-verts, chauffeur livreur… Rawad cumule parfois deux emplois à la fois. Il suit finalement une formation de cuisinier et achète un food-truck avec lequel il sillonne les marchés du Berry pour vendre ses délices du Moyen-Orient.
Devenu papa d'une petite fille et parfaitement heureux dans sa nouvelle vie, Rawad rêve plus grand et projette d'ouvrir un restaurant. En 2019, il fait une demande de naturalisation afin d'obtenir la nationalité française mais ses projets sont stoppés net. Il reçoit une lettre de la préfecture lui notifiant un refus car, selon l'administration, Rawad travaille trop: 44 heures par semaine durant 12 semaines consécutives au lieu des 35 heures autorisées par la loi.
"Une terre chrétienne qui vous donne une chance, c'est super"
"Se voir refuser la nationalisation pour ce motif c'est quand même assez consternant quand on sait tout ce qu'il a traversé. Il essaie juste d'avoir une vie décente en France", s'indigne à l'époque Léa Vaz de Azevedo. "D'autant que maintenant, il est auto-entrepreneur, donc il n'a pas de limite légale de travail". Dans la foulée, l'avocate décide de faire un recours auprès du Ministère de l'Intérieur qui s'avèrera payant. L'attente est longue, mais Rawad obtient finalement la nationalité française en mai 2022, "mais je n'ai su que je l'avais obtenue que 8 mois après", s'amuse-t-il aujourd'hui.
C'est donc grâce à sa détermination qu'il a pu ouvrir "Les saveurs de Damas" à Bourges et même embaucher un salarié qui s'occupe de faire les tournées avec le food-truck tandis que lui œuvre au restaurant. "Bravo, c'est la réussite!", lui lance une cliente. "Une terre chrétienne qui vous donne une chance, c'est super." Pour lui, fini les longues nuits à craindre de devoir repartir en Syrie, "Quand j'ai obtenu la nationalité, j'ai recommencé a bien dormir. Je travaille bien, je suis tout le temps souriant". A 38 ans, il a encore des projets plein la tête et compte prochainement ouvrir encore deux autres restaurants.