Milliards, missiles et "mégacommandes" : la filière Défense a-t-elle les armes pour remplir ses futures missions ?

Les investissements promis par Emmanuel Macron (400 milliards d'euros) et le récent "mégacontrat" d'armement signé en coopération avec l'Italie ont de quoi satisfaire les entreprises de l'armement de la région. Mais auront-elles les capacités pour répondre aux futures commandes ? Rien n'est moins sûr…

Les industriels de l'armement de la région se frottent-ils déjà les mains ? L'annonce du président de la République, le 23 janvier dernier, d'investissement massif "de 400 milliards d'euros" dans la loi de programmation militaire pour la période 2024-2030, a de quoi, en principe, les réjouir. 

Plus récemment, le 30 janvier, la signature d'un contrat estimé à deux milliards d'euros  pour une commande de 700 missiles antiaériens aux mastodontes français du secteur, MBDA et Thales, dessine un avenir encore plus radieux aux 24 000 salariés du Centre-Val de Loire qui dépendent de la filière.  

Les élus de la région s'en réjouissent, à commencer par Loïc Kervran, le député du Cher qui siège à la commission défense de l'Assemblée nationale : "La « méga commande » à MBDA est une très belle nouvelle pour notre territoire et pour la France qui avait besoin de renforcer sa défense antiaérienne et ses stocks de missiles !" a-t-il publié sur le réseau social twitter.

"Tout ce qui concerne le développement de l'emploi et de l'industrie est une bonne nouvelle. Cela ouvre un horizon avec un carnet de commande robuste dans les prochaines années", abonde le président socialiste de la Région Centre-Val de Loire, François Bonneau.

Mais est-ce aussi simple ? Pas si sûr, à en croire un ancien salarié qui a passé près de 40 ans chez MBDA, à Bourges. Il doute de la capacité des entreprises à faire face à des commandes d'une telle envergure : " Tout dépend de comment sera utilisé cet argent. Cela risque de demander de redévelopper une filière tout entière et cela va prendre du temps".

" Une perte de savoir-faire"

Pour l'heure, les contours exacts de la future loi de programmation militaire (LPM) sont encore flous. Impossible de connaître dans le détail les retombées économiques pour la région. " Tout le monde ne sera pas gagnant, la nouvelle LPM précisera les nouvelles commandes à venir pour certains industriels, alors qu’elle annoncera également à d’autres une réduction de certains programmes, voire une annulation complète", note le Portail de l'IE.

Reste que le gouvernement souhaite changer de braquet en matière de production d'armement : “ Si on ne veut pas être condamné à acheter à Moscou, à Washington, ou encore à Pékin, il faut développer et consolider notre base industrielle et technologique de défense”, a déclaré le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans les colonnes de l'Usine Nouvelle.

Comprendre, il va falloir relocaliser la filière. " Mais cela ne se fait pas en six mois", tempère l'ancien salarié de MBDA sur le site de Bourges. " Nous avons voulu délocaliser un certain nombre de filières dans les années 2000 et aujourd'hui il y a une perte de savoir-faire. Les anciens ingénieurs sont partis et il va donc falloir former les jeunes".

Une production en flux-tendu

Autre changement de taille, la fin d'une logique de production en flux tendus. Ces dernières années, les lignes de production des usines d'armements se sont développées pour répondre à la demande, en limitant les stocks.

En abolissant la logique de stock, l’impératif budgétaire s’est traduit par la montée en puissance d’une logique de fonctionnement en flux tendus, dépassant très largement le seul cadre des biens réservés pour s’étendre à celui des munitions et des parcs opérationnels.

Note de l’Institut français des relations internationales, décembre 2022

Or, les capacités de production des usines françaises sont parfois très faibles au regard des objectifs ambitieux annoncés par le gouvernement, comme le note le site spécialisé Opex360: "L’été dernier, et selon un responsable de l’Otan récemment cité par le New York Times, l’armée ukrainienne aurait tiré entre 6000 et 7000 obus d’artillerie par jour. À titre de comparaison, l’industrie française de l’armement ne peut actuellement en produire que 20 000 par an. Et cela vaut aussi pour les munitions dites « complexes », comme les missiles et autres bombes guidées."

Un point de vue également partagé par un rapport de l'Assemblée nationale, publiée en octobre 2022 : " La reconstitution des stocks n’est pas sans poser des difficultés s’agissant des munitions dites complexes, pour lesquels les délais de fabrication peuvent monter jusqu’à deux à trois ans. Or un sous-marin sans torpilles, un canon sans obus ou un fantassin sans munitions est à la fois inutile et à la merci de l’ennemi".

Dans ces conditions, il va falloir mettre les bouchés doubles pour permettre aux industriels de créer de nouvelles lignes de production. "Tout en s'assurant d'avoir accès aux pièces primaires qui ont tendance à avoir des retards de fabrication", ajoute l'ancien salarié de MBDA.

Une "force d'acquisition rapide"

Une nécessité d'accélérer la cadence d'autant plus forte, que la Direction générale de l'armement (DGA) compte bien presser toute la filière. Le délégué général de l'armement, Emmanuel Chiva prévoit la création d’une « force d’acquisition rapide », censée réduire les difficultés liées aux procédures administratives et permettre à l’État d’acheter des équipements militaires rapidement en cas d’urgence.

Devrait être également crée, une direction de l’industrie de défense qui aura pour objectif d’accompagner les industriels sur la réorganisation de leurs chaînes de fabrication et de leurs procédures internes.

Reste à attendre le détail de la loi de programmation qui pourrait être présenté au Parlement à partir de mars 2023. 

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