Derrière les marronniers de la discorde, la "bétonisation massive" de la ville de Chartres dénoncée

Des militants écologistes bloquent depuis lundi 22 août l’abattage de trois marronniers dans le centre de Chartres. Derrière cette discorde, un conflit plus ancien existe entre le maire LR Jean-Pierre Gorges et les écologistes, sur ce que ces derniers appellent la "bétonisation massive" de la ville.

[Article mis à jour ce 24/08/22 à 18h30 avec une réponse de la Ville de Chartres et des précisions de Chartres Ecologie]

Doit-on planter des arbres pour transformer les villes en îlot de fraîcheur et faire face au réchauffement climatique ? Ou les couper pour éviter qu’ils ne soient arrachés par des tempêtes et tuent des gens dans leur chute comme c’est le cas dernièrement en Corse ?

Ce débat se cristallise aujourd’hui à Chartres, autour de trois marronniers. Dans le quartier de la Courtille, les bulldozers s’affairent depuis plusieurs mois pour construire différents bâtiments : résidence hôtelière, résidence étudiante, immeuble de bureaux…  

Parmi les derniers édifices qui doivent sortir de terre, deux groupes de logements, qui doivent être construits sur la chambre des métiers et de l’artisanat, 24 boulevard de la Courtille. Juste derrière se trouve trois marronniers, dont l'abattage a été demandé par le promoteur immobilier.

Espace boisé classé

Or des militants de l’association Chartres Ecologie se relaient nuit et jour depuis ce lundi 22 août au pied des arbres pour empêcher qu'ils ne soient arrachés. Après un article sur leur site internet, ils ont également mis en ligne une pétition sur Change.org.

Au-delà d'un désaccord sur l'âge - Chartres Ecologie s'appuie sur des photos aériennes de 1925 pour affirmer que les arbres sont plus que centenaires, tandis que le promoteur avance qu'ils ont 41 ans - 

"Ces marronniers sont sur une zone protégée par le plan local d’urbanisme (PLU)", détaille Chantal Vinet, la présidente de Chartres Ecologie. Quand on regarde le PLU décidé par la mairie, on voit en effet sur le plan de zonage que le secteur est en "espace boisé classé" ou EBC, ce qui signifie qu’on ne doit pas les toucher, selon le code de l'urbanisme

Les écologistes avaient auparavant adressé un recours gracieux à la municipalité dans lequel ils indiquent par ailleurs que cet abattage n'était pas mentionné dans le dossier de permis de construire qui comprendrait des écueils : "Ils [les marronniers] sont simplement caricaturés par un dessin stéréotypé représentant de petits arbres". 

Des arbres "dangereux"

Les marronniers font en réalité 20 à 25 mètres de haut. C'est d'ailleurs pour cette raison que le promoteur immobilier en charge du projet, Philippe Bourguignon, a demandé et obtenu l'autorisation de les abattre : "Ils sont aujourd’hui disproportionnés, il y a une prise au vent qui est incroyable." Il craint que ces marronniers ne deviennent "dangereux" et ne tombent sur des gens, notamment en cas de tempêtes.

Quant à l'illégalité de la démarche, il s'inscrit en faux : "Pour avoir une autorisation pour couper des arbres dans un espace boisé protégé, vous êtes obligé de faire un dossier qui passe par la mairie, qui est présenté à la préfecture, à l’architecte des bâtiments de France… Et tous ces gens-là sont consultés. C’est un acte réfléchi, consensuel. Si on n’avait pas le droit, on n’aurait pas obtenu les autorisations."

L’autorisation de couper les marronniers le contraint d’ailleurs à les remplacer : "Cela fait partie des prescriptions. On ne supprime pas un espace boisé puisqu’on va replanter des arbres. On les choisira mieux dimensionnés." Philippe Bourguignon assure qu'une concertation aura lieu pour déterminer quelle essence mettre.

Il rappelle enfin que ce projet n’est pas isolé mais s’inscrit dans une opération d’ensemble du quartier de la Courtille, voulue par la ville de Chartres pour "ramener des habitants au centre-ville".

Le cabinet du maire nous a répondu ne pas souhaiter réagir à l'histoire des trois marronniers, qui concerne une parcelle privée et non pas du domaine public. Il précise que le recours gracieux est en cours d'étude, et que la Ville a deux mois pour répondre. 

16.000 signatures contre l'esplanade de la cathédrale

Ce n'est pas la première polémique que la commune doit gérer quant à l'aménagement urbain. L’aménagement de l’esplanade de la cathédrale avait particulièrement cristallisé les tensions en 2019. La mairie de Chartres et un cabinet d’architecture avaient présenté des images 3D de la transformation de l’esplanade en début d’année. Mais la dalle en pente devant la cathédrale n’avait pas fait l’unanimité, loin de là.

Une pétition sur Change.org avait même recueilli plus de 16.000 signatures. Elle critiquait ce projet dispendieux d’une "esplanade moderne, froide et de béton […] livrée au vent, une fois les grands arbres coupés... débarrassé de son pittoresque potager médiéval... et coupant la vue exceptionnelle (sic)" sur la cathédrale.

La municipalité avait alors fait marche arrière en déclarant que ce n’était pas la mouture finale, mais une première proposition. Elle était revenue quelques mois plus tard avec une version moins minérale et plus arborée.

"Bétonisation massive"

Derrière ces discordes, c’est un problème plus global qui existe entre le maire LR de Chartres et des écologistes. Les grands projets immobiliers sur la commune sont en effet initiés par Jean-Pierre Gorges et son équipe : le quartier de la Courtille donc, mais aussi le pôle gare et le centre culturel et sportif en cours de travaux, ou encore la transformation à venir de Chartrexpo.

A cause de ces chantiers, l'édile est fréquemment accusé par ses détracteurs d’entreprendre une "bétonisation massive" de l’agglomération. En témoigne une série d’articles sur Cactus Press ces derniers mois où les rédacteurs dénoncent un "îlot de chaleur".

"Quand on a un plan local d'urbanisme qui permet à tout le monde d'artificialiser à outrance, on n'est pas au rendez-vous des enjeux climatiques", résumait au micro de France 3 Centre-Val de Loire le conseiller municipal d'opposition Jean-François Bridet (Chartres Ecologie), par ailleurs vice-président du Conseil régional en charge de la biodiversité.

La mairie de Chartres réagit 

Contactée, la mairie affirme ne pas pouvoir nous rencontrer pour l’instant. Elle dément cependant toute bétonisation, en avançant que le végétal est intégré dans chaque nouveau projet urbain et que Chartres compte 11.000 arbres, dont 3.000 plantés depuis 2001.

Elle souligne aussi que le travail de la municipalité en matière de fleurissement et de biodiversité est reconnu par le label 4 fleurs depuis 2002.

Avec entre autres 13 hectares de boisements et un parc dans chaque quartier, les espaces verts occupent d'après elle 22% de la surface de la ville.

"...changer le climat des Chartrains en plantant 3 arbres et 4 fougères"

Par ailleurs, dans le magazine de la commune en date du 3 mai dernier, Jean-Pierre Gorges se défendait face aux critiques de bétonisation en se posant en visionnaire.

"Voir à 20 ans devant nous, c'est cela le développement véritablement durable. C'est autrement plus complexe que de prétendre changer le climat des Chartrains en plantant 3 arbres et 4 fougères au milieu d'une place historique", déclarait-il.

Il avait légèrement nuancé son propos en ajoutant : "Bien sûr que des arbres embellissent la ville, et nous en plantons d'ailleurs beaucoup. Et nous continuerons d'en mettre partout où c'est possible, mais des arbres d'ornementation, ou même des arbres fruitiers, pourquoi pas. Car cela participe de la qualité, de l'agrément d'une ville."

Un discours bien différent des expérimentations actuelles comme à Tours, où les cours d'école doivent être végétalisées. Une façon de tenter de rafraîchir les villes face aux canicules qui vont s'accentuer et se multiplier d'après le GIEC.

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